Folie diagnostique sur l'enfance vs inventions diagnostiques des enfants / Adresses et maladresses du diagnostic - Thierry Garcia-Fons

16/07/2015 12:27

Folie diagnostique sur l'enfance vs inventions diagnostiques des enfants

Adresses et maladresses du diagnostic

Longjumeau, 2 octobre 2014    -   Thierry GARCIA-FONS

 

Voici ce que m’a dit textuellement un garçon de onze ans :
« Je reprends ma Ritaline depuis trois jours. Il y a des moments où je ne suis plus là, comme évaporé, disparu, … Quand je prends un médicament, des fois je me sens dépassé. Je me sens au dessus de ma concentration. Par exemple, si j’aime bien une chose, c’est comme si j’aimais encore plus la chose … sans arriver à être bien concentré. » Ce que nous dit cet enfant, le diagnostic qu’il porte, c’est que la Ritaline le force à aimer plus et que ça le dépasse, ça l’évapore. Ce dépassement, cet aimer encore plus qui déconcentre, n’est pas sans évoquer le célèbre article de Ferenczi sur la confusion des langues. Il y a dans l’attente des adultes à l’égard de l’enfant ritalinisé, une demande qui suscite le trop, quelque chose qui excède : il y a de l’excès, tout le monde est excédé. L’enfant est le miroir du TDAH généralisé de notre monde de terreur, de zapping et d’incitation à la jouissance avec tous les objets. L’enfance a toujours été une construction mais depuis le début les années 80, au moment-même où s’est développé le capitalisme financier mondialisé, on a inventé, fabriqué, un nouvel enfant. Ça a gagné progressivement au long des années 90, pour se répandre partout au début du nouveau millénaire. En l’espace d’une vingtaine d’années on a pu constater une accélération considérable des évaluations, des catégorisations et des diagnostics concernant les enfants dès la maternelle : l’enfant est devenu « un enfant à troubles ». Les enfants arrivent de plus en plus en consultation avec une étiquette diagnostique prononcée par le milieu scolaire ou les parents. L’enfant qu’on disait en difficulté ou en souffrance, est désormais identifié par un diagnostic voire un handicap. C’est le cas de ceux qui mobilisent leur entourage, scolaire surtout, et nécessitent la présence d’une auxiliaire de vie scolaire en classe, ce qui implique que l’on ouvre un dossier à la MDPH. Ainsi, un enfant agité, « perturbateur » en maternelle, peut être diagnostiqué TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou non hyperactivité) ou Trouble des conduites ou encore « Dys-quelque chose » (dysphasies, dyslexies, dyspraxies, etc.),  dès qu’il rencontre des difficultés d’apprentissage.
Deux évènements marquent en France cet avènement : l’expertise INSERM sur les troubles mentaux chez l’enfant en 2003 qui annonçait qu’en France un enfant sur huit (12%) souffrait de troubles mentaux[1]et une seconde expertise sur « le trouble des conduites »[2]  qui sera à l’origine du collectif « pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans » dont la pétition sera signée par plus de 300000 personnes.
Ces expertises ont participé à la diffusion et à la fabrique d’une nouvelle figure enfantine que j’appelle « l’enfant du trouble » : un enfant troublé et troublant, un enfant trouble qu’on pourrait écrire avec un tiret, l’enfant-trouble, pour souligner que le trouble ne vient pas tant pour qualifier un côté trouble chez l’enfant mais bien que l’enfant est identifié, assimilé au trouble qu’on lui assigne.
N’importe qui aujourd’hui peut faire des diagnostics. L’Education Nationale encourage les enseignants à le faire ; et les diagnostics pleuvent sur les enfants considérés non conformes. Les nouvelles catégorisations ont diffusé dans le discours social ambiant via les médias et sous l’influence de petits groupes de pression très actifs dont la rhétorique est reprise sans discernement par les pouvoirs publics. Nous sommes tous aujourd’hui pris dans cette langue du trouble, nous parlons tous aujourd’hui, sans même nous en rendre compte  la novlangue des néo catégories, des dys, des TOC, TOP, TED, et autres troubles du comportement ou des conduites. Il est devenu de plus en plus difficile de parler et de penser sans utiliser ces termes et ces catégories, sans céder aux glissements sémantiques qu’ils véhiculent. Tout se passe comme si les adultes en désarroi, avaient perdu leur langue, ne savaient plus comment parler des enfants et des adolescents autrement qu’avec les mots de cette langue hégémonique.
Cette mutation anthropologique – l’extension du domaine du trouble - ce « succès » du trouble, ce hit parade des troubles pour caractériser l’enfant, ce nouveau regard traqueur de troubles chez l’enfant, constitue un fait social perceptible dans la généralisation de ce discours diagnostique, et dans les dispositifs mis en place (lois, plans, évaluations, recommandations, …) au sein duquel les nouvelles manières de classifier en catégories psychiatriques jouent un rôle central. Ces classifications sont moins scientifiques que devenues affaires d’opinion où tous les avis s’équivalent, quels que soient les compétences de ceux qui les profèrent. Cette médicalisation de l’existence, sensible dans la nouvelle langue commune du trouble psychiatrisé a requalifié les affects et le malaise. Il s’agit moins d’une évolution dans la façon de penser les états mentaux humains que de l’avènement d’un « nouveau langage normatif de la vulnérabilité individuelle » comme l’a souligné le sociologue Alain Ehrenberg.
Les enfants, du fait qu’ils sont nécessairement parlés par les adultes, sont les tous premiers à être catégorisés et identifiés à des « désordres » par cette novlangue qui traque la déviance et l’anomalie, selon des critères qui se réduisent souvent en définitive à une morale.
Au centre de cette nouvelle manière d’appréhender l’enfant et l’adolescent, et d’établir la distinction entre normal et pathologique, on trouve la classification des maladies mentales des psychiatres USAiens, devenue bible mondiale : le DSM.
Le terme de « trouble » qui qualifie l’enfant d’aujourd’hui, est en effet une traduction du desorder du DSM. La notion de désordre ou de trouble du DSM, employée ici dans le sens de déviation, de dysfonctionnement, a détrôné les concepts de symptôme, de structure et même de maladie. Le symptôme est réduit au signe. Le signe comportemental le plus surfaciel, le plus superficiellement visible, pris isolément, est érigé en catégorie ontologique. Toute manifestation hors norme peut donner lieu à catégorisation des sujets, susceptible dès lors, de bénéficier d’un traitement psychotrope ou comportemental.
A partir de sa 3ème version, en 1980, le DSM a opéré une révolution, faisant table rase des classifications héritées du passé, en substituant, justement, le trouble aux grandes structures psychopathologiques : une multiplicité de « désordres » sont désormais identifiés comme des entités pathologiques à part entière et le remplissage de check-listscomportementales détrône la sémiologie classique ainsi que l’approche compréhensive et dynamique des symptômes, sous l’égide d’une référence croissante à ce qu’on appelle l’« evidence based medecine » (la « médecine basée sur les preuves » ou « sur les faits d’évidence »).
Les catégories du DSM ignorent la complexité clinique des manifestations signifiantes et des crises subjectives qui peuvent n’être que transitoires. Le système DSM évite de penser les pathologies dans leur globalité et dans leur contexte environnemental. Il envisage les personnes comme les exemplaires d’une espèce statistique défectueuse ; et il fait le présupposé d’anomalies neurobiologiques ou génétiques sous-jacentes aux affections mentales. Or, après plus de 30 ans de recherches intensives, aucun marqueur biologique (tests génétiques ou biochimiques, imagerie cérébrale, etc.) n'a encore été validé pour aider au diagnostic des troubles mentaux et les responsables du DSM reconnaissent aujourd’hui qu'aucun indicateur biologique n'est suffisamment fiable pour contribuer au diagnostic.
Les catégories DSM, plus nombreuses à chaque nouvelle version (plus de 400 dans le DSM5), de cohérence et de validité clinique incertaines, regroupent sous une même étiquette des configurations cliniques très hétérogènes et aux limites floues. Elles conduisent à la création de chimères pathologiques et à additionner les diagnostics (la comorbidité) si bien qu’on finit par ne plus savoir de qui ni de quoi on parle. En élargissant ses critères d’inclusion pour définir un « trouble », le DSM conduit à des faux diagnostics positifs et à des pseudo-épidémies. Ainsi, l’invention des « troubles du spectre autistique » a conduit, en une dizaine d’années, à multiplier par 100 le taux de prévalence de l’autisme.
Le « système DSM », a fabriqué un nouvel enfant : enfant objectivé, sans pensée subjective ni histoire, « enfant-computer » dont il faudrait réparer ou remplacer les logiciels défectueux, un enfant sans désir ni sexualité et sans perspective d’évolution. Avec cette conception qui, au travers des évaluations et protocoles, objective l’enfant au risque d’en faire un déchet, il n’y a plus place pour l’enfant ou l’adolescent en difficulté transitoire ou celui qui traverse une période de crise normale et utile ;  il n’y a plus ni clinique, ni maladie, ni psychiatrie mais seulement un étiquetage de comportements déviants, débouchant sur le tri, le dressage et la médication dans lesquels l’enfant disparait. Un réel de l’enfance insiste pourtant, dont ne veut rien savoir le discours managérial mondialisé qui rêve d’un enfant modèle réduit d’adulte consommateur ou rat de laboratoire naturalisé, et qui ne laisse plus ni temps, ni espace à l’enfance.  La fabrique de l’enfant du trouble, conduit à ignorer l’enfant troublant et subversif du sexuel infantile. L’enfance n’est plus seulement le lieu de l’amnésie de l’adulte, mais elle est l’objet d’un aveuglement qui peut aller jusqu’à une entreprise de mort à l’enfance, où l’enfant est animalisé, et où il finit par se réduire à un déchet, parfois recouvert par la figure de l’enfant abusé ou maltraité.
Un diagnostic rencontre aujourd’hui un succès sans précédent et est susceptible de s’appliquer à tout petit écolier indocile ou rêveur : le TDAH (ADHD en anglais). On observe ces vingt dernières années, une augmentation exponentielle d’enfants diagnostiqués TDAH dans toutes les sociétés occidentales, à commencer par les USA où ils représentent selon les études, de 10 à 15 % de la population enfantine. En France, 150000 enfants seraient étiquetés TDAH Nous sommes encore loin des 800000 enfants anglais[3], du million d’enfants australiens[4], des 3 millions de canadiens et des 7 millions de petits américains[5]. Un tiers d’entre eux en France reçoit un traitement par Ritaline ou autre spécialité à base de méthylphénidate dont je vous rappelle qu’il s’agit d’un stupéfiant susceptible de causer de nombreux effets secondaires (insomnie, céphalées, troubles digestifs, troubles de la croissance et problèmes cardiovasculaires). Cette proportion peut dépasser les 50% aux USA. Les prescriptions ont quintuplés dans le monde en 10 ans et ont augmenté de 60 % en 5 ans en France. Le surdiagnostic et la surprescription de masse, concernant des millions d’enfants dans le monde occidental, se sont donc installés et continuent de se développer sans véritable questionnement : ils sont devenus des évidences.
Voici, à propos d’évidence du diagnostic, une courte séquence clinique :
Il s’agit d’un garçon que je reçois au CMPP où il est venu initialement en raison de ses difficultés d’entrée dans la langue écrite et de ce qu’il est désormais convenu d’appeler des « troubles du comportement ». J’observe, lors d’une séance, que tout en me parlant, il s’agite. Il ne peut rester tranquille, bouge constamment sur sa chaise, se balance et, soudain, tombe en arrière.
L’habitué du DSM reconnaitra plusieurs items de l’hyperactivité et conclura sans doute à un diagnostic de TDAH particulièrement évident.
Pourtant, ce qui est évident, et que la démarche diagnostique du DSM ignore, c’est ce que montre cet enfant : c’est à dire une chute. Il me montre qu’il tombe, et il me met aussi en position de m’inquiéter de sa chute, de m’inciter à aller à son secours. Il se trouve que ce jeune a une histoire particulière : le seul de sa fratrie à ne pas vivre ni avec sa mère ni avec son père, le seul à avoir été confié à sa grand-mère, pour des raisons obscures. Et ainsi nous percevons une dimension clinique essentielle : ce garçon lutte contre l’effondrement, et ce qu’on appelle ses « troubles du comportement » sont à la fois l’expression visible de sa détresse, de son angoisse d’être laissé tombé, et un appel à l’aide. C’est cette réalité clinique, donnée à voir et à percevoir, à laquelle le système DSM de relevé sommaire et prédéterminé de comportements, reste sourd et aveugle. Et par conséquent, sous couvert de pseudo scientificité, la non-clinique DSM manque la véritable évidence, que je pourrais écrire, en faisant un jeu de mots, évi-danse, c’est-à-dire la danse du symptôme que ce jeune agitait sous mes yeux ; et le diagnostic qu’il me donnait à entendre.
Arrêtons-nous au TDAH en tant qu’exemple paradigmatique de fausse maladie[6] promue par le DSM et prétendument fondée scientifiquement. Il n’existe pourtant à l’heure actuelle aucune base scientifique validée pouvant étayer le TDAH : rien de probant quant à l’hypothèse dopaminergique ou concernant un autre neuromédiateur.  Pas davantage du coté de l’imagerie cérébrale ou d’une origine génétique. Quant à l’hypothèse « neurodéveloppementale » elle demeure purement spéculative. Malgré le nombre considérable d’études et de recherches conduites depuis 30 ans sur la base de la croyance en une cause organique de cette supposée affection, aucun marqueur neurobiologique ou génétique n’est venu la fonder.
Faut-il en conclure que le TDAH n’existe pas ? Il est intéressant de savoir que le préalable de la commission qui a travaillé récemment à l’HAS sur la recommandation destinée aux généralistes concernant la conduite à tenir devant un enfant TDAH, a posé comme préalable la reconnaissance a priori de l’existence du TDAH. Ainsi, il est demandé, dans cette instance qui se présente comme soutenant une approche scientifique EBM, de commencer par établir une croyance a priori (ce qui a amené les représentants de l’API à quitter cette commission). Mais la question, ce n’est pas de savoir si le TDAH existe ou non au sens où on croit ou pas à une vérité révélée, c’est de savoir de quoi on parle :
Si l’on parle de la catégorie ou de l’entité clinique psychiatrique, le TDAH n’existe pas au sens où il n’a aucune validité clinique. En l'absence de biomarqueur et d'étiologie connue, la validité d'une pathologie repose sur une description permettant de la distinguer des autres pathologies et de la normalité. Le préambule du DSM-IV reconnaissait explicitement que la validité des définitions proposées n'est nullement prouvée, en particulier parce que la comorbidité est la règle et non l'exception et surtout, parce que la frontière entre état pathologique et normalité est peu précise. Comment peut-il en être autrement pour le TDAH, puisqu’il ne s’agit pas en réalité d’un syndrome qui supposerait plusieurs symptômes liés en une entité stable, comme c’est le cas par exemple avec le syndrome méningé, mais de ce qui peut se réduire à un signe unique, lui-même pas nécessairement pathologique et surtout peu assuré, peu précis sur le plan sémiologique. Ainsi les items du DSM confondent inattention, distraction, distractibilité et oublient que les enfants peuvent s’échapper dans des rêveries imaginaires. On ne distingue plus entre instabilité psychomotrice, tendance à l’agir et différentes formes d’agitation, anxieuse notamment. Le terme d’hyperactivité est d’ailleurs devenu un mot du langage courant qui peut être simplement utilisé pour qualifier le fait qu’on est très occupé. On pathologise, on élève au rang de maladie une simple manifestation ou conduite comme si, par exemple, on faisait d’une toux une nouvelle pathologie qu’on appellerait la « toux-trouble » qui affecterait des « tousseurs » à qui on prescrirait le même et unique médicament.
Donc, le TDAH n’a aucune validité clinique, c’est une pure invention, une chimère, une fausse maladie, et de ce point de vue, il n’existe pas.
En revanche [et je rejoins ici le neurobiologiste François Gonon lorsqu’il déclare : « En tant qu’entité diagnostique le TDAH résulte beaucoup plus de l’existence d’un médicament et d’une négociation sociale que des avancées de la psychiatrie biologique »], le TDAH existe bien comme fait social et de langage qui répond à deux registres de détermination:
-     Le TDAH est un pur objet de marketing de l’industrie pharmaceutique, support de vente d’un produit, le méthylphénidate, et pour qui l’enfant est un objet à exploiter en tant qu’il est une cible pour ce produit (les entreprises pharmaceutiques vendent le TDAH pour vendre la Ritaline).
-     Le TDAH est la forme que le discours actuel produit pour parler du trouble que suscite l’enfant chez l’adulte, un trouble qui se résume au trouble de l’infantile de l’adulte. De ce point de vue, il ne renseigne que sur l’adulte contemporain, agité et inattentif, sur son imaginaire et ses fantasmes, qu’on pourrait - comme l’a fait Yann Diener pour le titre se son livre « on agite un enfant » - écrire : « on excite un enfant » ou encore « on néglige ou on ignore un enfant ». Cet imaginaire fantasmatique sur fonds de trouble infantile de l’adulte vis-à-vis de l’enfant est un imaginaire vecteur de méconnaissance, c’est une imagerie leurrante qui rend aveugle et sourd, notamment, à ce que les enfants manifestent, inventent, tentent de construire et de faire entendre.
Revenons à la clinique avec une troisième séquence clinique, un troisième diagnostic  que nous indique un garçon venu au CMPP avec ses parents ainsi que son frère jumeau pour des difficultés scolaires et un « trouble attentionnel » comme on dit, à propos desquels il déclare : « L’école ne sert à rien, il faudrait que ce soient les parents qui apprennent » (ce qui s’entend de deux manières). Assez rapidement, c’est sa problématique d’angoisse phobique qui va émerger, notamment lorsqu’il refusera de partir en séjour de classe verte. Ce garçon met à profit ses séances pour dessiner de façon flamboyante des scènes de guerre violente où son désir de prendre la place de son père est exposé à ciel ouvert, en même temps qu’il montre une assez grande inhibition verbale. Lors d’une séance où il se montre d’abord muet et où je lui demande assez banalement : à quoi tu t’intéresses en ce moment ? il me fait part de son vif intérêt pour une histoire que leur a lu son institutrice et qui occupe ses pensées. Voici le début de l’histoire qu’il me raconte :
Un garçon a été très troublé par les propos d’un de ses camarades qui a dit qu’il n’était pas le fils de ceux qu’ils croyaient ses parents et que sa place dans sa si belle maison entouré des siens ne lui était pas assurée. Rentré chez lui il a interrogé père et mère qui l’ont rassuré. Mais un doute a subsisté en lui qui l’a conduit à aller interroger une jeune fille assez étrange connue pour pouvoir apporter des réponses aux questions. Et à sa question « mes parents sont-ils bien mes vrais parents » ? elle a répondu « Ton destin est tracé : tu tueras ton père et tu épouseras ta mère » !
Je ne sais plus à quel moment de son récit cet enfant, attentif à mes réactions pendant que je l’écoutais, s’est soudain arrêté et m’a interrogé : « tu connais cette histoire » ?
Cette thérapie, si bien engagée avec ce garçon, a été interrompue brutalement par les parents, pas du tout prêts à entendre autre chose que les diagnostics de troubles et les rééducations censées y remédier pour lesquels ils étaient venus et dont ils ne pouvaient accepter qu’elles soient différentes de celles du frère jumeau.
On voit par là que l’angoisse de séparation et de castration dans cette famille trouve un point d’appui dans le discours de l’enfant du trouble dont je vous ai parlé qui dénie le sexuel infantile. Cet enfant œdipien n’a fait que nous rappeler et que nous présenter son autodiagnostic qui n’est pas un diagnostic de maladie mentale mais celui de la névrose infantile ordinaire qui est la norme nous dit Freud.
Il faudrait revenir à la définition du terme de trouble - avec ce qu’il introduit de dynamique et en ce qu’il incite à l’éclaircissement, à la décantation - et il serait vraiment dommage de laisser ce beau terme (pensons, par exemple, au trouble amoureux) aux tenants d’une médicalisation ou d’une normalisation de l’existence. Ne faudrait-il pas plutôt restituer au trouble toute sa complexité, son épaisseur ? Revisiter la confusion des sentiments, le bouleversement ou l’excès ?  Les « troubles» ne sont-ils pas aussi une autre façon de nommer les crises que traversent l’enfant œdipien et l’adolescent ? On est ainsi ramené à la clinique de la névrose infantile ordinaire avec son cortège d’excitation, d’agitation anxieuse et d’autres manifestations d’allure névrotique, telles que les phobies (si courantes), mais aussi d’intense curiosité sexuelle (à la base du désir d’apprendre). A cet égard, la prévention des troubles de l’enfance apparait recouvrir une prévention contre les enfants, contre une sexualité infantile qui demeure massivement refoulée ou déniée.
L’enfant troublé/troublant de la folie TDAH, qui s’agite, qui n’est pas attentif à ce qu’on lui demande, interroge le monde des adultes sur ce qu’il est, l’incite à être attentif à l’enfance. Il l’interroge sur sa possibilité de vivre une enfance qui ne tire pas à conséquence, où l’enfant n’est pas en place de répondre de ses actes. Cet enfant sème le trouble. La psychanalyse comme la clinique pédopsychiatrique qui s’appuye sur l’apport analytique, loin de vouloir étouffer le trouble, récolte le trouble, réhabilite le « se troubler », l’être troublé par l’enfance troublante. Elle l’accueille en suspendant le temps diagnostique.
Tristan Garcia-Fons
[1] « Selon les enquêtes françaises et internationales, environ 12 % des enfants et adolescents seraient touchés par un ou plusieurs trouble(s) mental(aux). Certains de ces désordres se déclarent spécifiquement à cette période de la vie –autisme, hyperactivité, anorexie mentale, troubles des conduites–; d’autres se retrouvent aussi chez l’adulte –schizophrénie, troubles anxieux et troubles de l’humeur. » « 5 % des enfants souffrent de troubles anxieux, et 1 à 2 % sont hyperactifs. A l’adolescence, les troubles de l’humeur (troubles dépressifs et troubles maniaco-dépressifs,…) augmentent puisqu’ils touchent 3 % des 13-19 ans. La boulimie concerne 1 % des jeunes filles de 17-19 ans. Et l’anorexie affecte 0,2 % des adolescentes de 15-19 ans, si l’on ne considère que les formes d’anorexie restrictive pure. Quant à l’autisme et à la schizophrénie, il s’agit de maladies plus rares, qui touchent moins de 1 % des enfants et des adolescents. » Troubles mentaux : dépistage et prévention chez l’enfant et l’adolescent, Dossier de presse publié par l’INSERM en février 2003
[2] Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent, 2005
[3] Selon les chiffres de 2012 communiqués par le National Health Service.
[4] Surprescription dénoncée par le député de l’assemblée législative australienne, Martin Whitely dans son livre  Speed Up and Sit Still - The Controversies of ADHD Diagnosis and Treatment, University of Western Australia Publishing, 2010
[5] Près de 15 % des enfants américains sont actuellement étiquetés ADHD, et leur nombre est en augmentation constante, en particulier dans les catégories les plus pauvres de la population. Les prescriptions de psychostimulants ont quintuplé depuis 2002. Ces chiffres sont beaucoup plus élevés qu’en Europe. En France, on parle de 5% des enfants, mais là aussi les diagnostics et les prescriptions sont en augmentation.
[6] Le Professeur Léon Eisenberg, éminent pédopsychiatre américain considéré comme un « père de l’ADHD », a finalement déclaré au terme de sa carrière : « ADHD is a prime example of a fictitious disease »