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UN TEXTE FONDAMENTAL, DE JACQUES CHABANIER ET CONSORTS
Le centre médico psycho pédagogique : son histoire, ses pratiques, ses valeurs
AVERTISSEMENT AU LECTEUR
Les contraintes de l'édition imposent un seul nom d'auteur au frontispice de l'ouvrage. Mais que le lecteur ne s'y trompe point. Il s'agit bien de plusieurs regards posés, pour en porter témoignage, sur cette institution originale qu'est le centre médico‑psycho‑pédagogique. Il convenait alors, et dès la première page, que le lecteur en fût averti et que l'équipe de rédacteurs fût présentée.
Georges Malo l et Yann Malefant 2 ont patiemment recueilli à leur source les matériaux divers qui ont permis de reconstituer l'histoire du C.M.P.P.. Ce regard sur l'histoire, que nous avons placé en premier, n'est pas là par simple tradition d'écriture mais bien parce qu'il permet de comprendre ce qu'est le fonctionnement d'aujourd'hui, ce qu'il sera peut-être demain.
Marie‑Thérèse Valla‑Lequeux 4 et l'équipe du Centre de guidance infantile de Caen ont accepté la lourde tâche de recenser dans le vaste ensemble des dossiers de ce service ceux qui leur parurent les plus démonstratifs. Mais surtout, ils le firent dans une présentation la plus simple possible, soucieux d'une lecture facile pour qui n'était point spécialiste, restituant sans ésotérisme l'authenticité de la clinique.
Thérèse Tremblais‑Dupré 5 leur apporta son concours tout particulièrement pour ce qui a trait à l'adolescence.
L'exploitation et l'exégèse des textes réglementaires, travail nécessaire mais combien ardu, fut réalisé par Etienne‑Henri Charamon 6.
Tous sont militants actifs dans l'Association nationale des C.M.P.P., y occupant ou y ayant occupé des postes de responsabilité.
Mais encore une fois que le lecteur ne se méprenne point. Ce témoignage sur une institution ne résulte pas que de l'inspiration de quelques‑uns. C'est un point actuel sur vingt ans de réflexions en commun, tissées tout au long de nombreuses réunions locales, régionales ou nationales qui continuent à se dérouler. Au cours de ces rencontres, chaque participant fit part de son expérience, de sa connaissance ou de ses sentiments. C'est depuis ces intimités échangées, d'abord dans chaque équipe, puis se rejoignant ou se confrontant, que s'élabora patiemment une vision collective. De sorte, que tout étant prêts à dire, les ultimes ouvriers n'eurent plus qu'à retrouver les mots.
1. Georges MALO, psychologue clinicien, directeur psycho‑pédagogique et administratif du Centre Jean Charcot à Brest, fut le premier président de l'Association nationale des CMPP., il en est actuellement le secrétaire général.
- Yann MALEFANT, psychologue clinicien, docteur en psychologie, ancien directeur du C.M.P.P. de Rennes, est actuellement président du C.R.E.A.I. de Bretagne. Il est responsable du département Formation permanente de l'Association nationale des CMPP.
- Nous emploierons le sigle CMPP. pour alléger le texte.
4. Marie‑Thérèse VALLA‑LEQUEUX, pédiatre, de formation psychanalytique, est médecin‑directeur du Centre de Guidance de Caen et vice‑présidente de l'Association nationale des CMPP
5. Thérèse TREMBLA15‑DUPRÉ, pédagogue, psychanalyste, ancienne directrice du centre Etienne Marcel à Paris.
6. Etienne‑Henri CHARAMON, rééducateur de dyslexiques, directeur psychopédagogique et administratif du Centre Alfred Binet à Rouen et directeur du CREAI de Haute‑Normandie, est vice‑président de l'Association nationale des CMPP
7. Jacques CHABANIER neuropsychiatre, chargé de cours à l'Université Montpellier III, médecin‑directeur du Centre Marcel Foucault de Montpellier, est président de l'Association nationale des C.M.P.P.
INTRODUCTION
Si l'on en croit les historiens, chaque siècle a sa dominante, de l'obscurantisme jusqu'aux Lumières. Le XX' siècle est le siècle de l'enfant. Il nous est difficile de réaliser qu'il ait fallu attendre deux mille ans pour que l'enfant soit un objet de préoccupations pour notre société.
C'est en effet au début du XXème siècle que l'inadaptation d'un enfant à son environnement devint une préoccupation véritablement sociale.
Certes, il existait des expériences originales, depuis les premiers essais d'éducation des sourds‑muets par Ponce de Léon au XVème siècle, jusqu'à la tentative d'Itard pour éduquer l'enfant sauvage de l'Aveyron; mais c'est au début de notre siècle que la médecine, la justice et l'école commencèrent à s'organiser pour répondre à ces situations.
Citons simplement l'avènement de la psychométrie à l'école qui permettra le développement de l'enseignement spécialisé, l'apparition de la neuropsychiatrie infantile qui deviendra spécialité médicale, la création d'une juridiction particulière à l'enfance.
Ce mouvement d'intérêt qui se manifestait aussi dans ces grands secteurs sociaux était sous‑tendu par une idée repérer l'inadaptation et la traiter chez les enfants était une assurance sur leur vie d'adultes. C'était l'avenir des futures générations que l'on préparait. Dans le champ de la psychologie, les premiers handicaps reconnus furent liés à des états relativement importants de débilité ou d'arriération mentale, de folie ou d'altération de la personnalité. Il était inévitable que ce soient les états cliniques les plus graves qui attirent les premiers l'attention.
L'inadaptation était alors, dans ce cas, d'origine endogène, provenant d'un état particulier du sujet qui le rendait incapable de vivre de façon normale et autonome. Pour tenter d'aider ces enfants à s'insérer dans la vie sociale, furent alors créés des établissements où ils bénéficiaient à la fois d'une pédagogie spéciale et des soins nécessités par leur état. Ainsi se créa tout un ensemble d'instituts médico‑pédagogiques puis médico‑professionnels, de centres d'observation, d'établissements divers qui constituèrent ce qu'il est convenu d'appeler le secteur de l'enfance inadaptée.
Mais, peu à peu, on découvrit que l'enfant inadapté ne pouvait être appréhendé de manière isolée et le rôle des facteurs exogènes provenant du milieu fut mieux connu. Cela eut pour conséquence la mise en place d'organismes de dépistage et de soins, intervenant auprès de l'enfant laissé dans son milieu de vie habituel, dit «naturel», qu'il soit familial, scolaire ou social.
Telle est la vocation des centres médico‑psycho‑pédagogiques de cure ambulatoire.
Ce changement d'appréhension du phénomène eut une conséquence la démarche thérapeutique s'éloigna de l'acte médical traditionnel auprès de l'enfant; le dialogue avec les parents, avec les instituteurs, apparut souvent plus important pour résoudre un conflit psychologique bloquant l'évolution de l'enfant, que l'intervention sur celui‑ci.
La progression de nos connaissances sur l'évolution psychologique nécessaire à ce long passage de l'enfance à l'âge adulte, sur les facteurs en présence à l'origine des inadaptations, fit apparaître des spécialités nouvelles dont chacune correspondait à la fois à un mode particulier des troubles de l'enfant et à une démarche rééducative ou pédagogique spécifique.
C'est ainsi que se constituèrent des équipes pluridisciplinaires, médicales, psychologiques, rééducatives, pédagogiques spécialisées, qui prirent en charge l'enfant mais intervinrent auprès de sa famille et du milieu sociofamilial.
Les praticiens engagés dans ce nouveau type d'actions y découvrirent un nouveau style de travail. Le diagnostic résultait de la synthèse de différents points de vue, synthèse difficile car elle nécessite non seulement la compétence dans son domaine propre mais suffisamment d'informations sur les domaines voisins. La démarche thérapeutique était plus souple, plus facilement aménageable.
Cette pratique non traditionnelle pouvait difficilement voir le jour dans le cadre hospitalier classique très réglementé administratrivement et les structures nouvelles qui se créèrent le furent grâce à des initiatives privées fonctionnant sous le régime de la loi 1901.
Ainsi, à l'origine, ces créations échappèrent à la fois à l'appareil social de l'Education nationale et à celui de la Santé publique.
En effet, l'immense majorité de ces C.M.P.P. furent créés et gérés par des associations à but non lucratif, associations de notables constituées dans le but de pallier l'insuffisance des équipements mis en place pour lutter contre le phénomène de plus en plus préoccupant de l'inadaptation infanto‑juvénile.
Ces associations disposaient de fonds publics puisque aucun mode de financement n’avait été prévu. Elles ont pu jouer ainsi largement ce rôle de promotion dans la mesure où rien n'était en place et où elles n'avaient pas le poids d'un fonctionnement traditionnel.
Le contrôle s'effectuant par le ministère de la Santé, on retrouve là ce qui fut une des grandes options traditionnelles politiques de ce ministère, qui consiste à confier à des oeuvres privées qui lui sont conventionnellement liées une part d'activité dans son domaine.
Il est important de noter que c'est bien parce que la création des premières institutions se fit complètement en dehors d'un appareil hiérarchique directement sous le contrôle de l'Etat, qu'un dispositif multidisciplinaire moins hiérarchisé a pu fonctionner. Si cela comportait des avantages, cela comportait aussi des inconvénients. Le premier fut l'implantation quelque peu anarchique de ces institutions surtout dans la région parisienne, sans aucune étude sérieuse des besoins, sans concertation préalable avec les structures préexistantes, ni coordination par la suite entre elles. Le deuxième inconvénient fut que les promoteurs, très différents, orientèrent le fonctionnement de ces services de façons quelquefois fort différentes d'autant que la complexité du champ d'intervention s'y prêtait, créant des structures ne répondant pas forcément au
1. Centre médico‑psycho‑pédagogique.
modèle réglementaire, dont l'homogénéité examinée sous un angle rationnel était loin d'apparaître évidente.
Ces inconvénients n'étaient pas sans danger.
Si l'absence d'inféodation réelle à une organisation publique très codifiée permettait une originalité certaine, dans de nombreux cas, on avait l'impression d'une disparité préjudiciable.
C'est très probablement le danger relatif à cette disparité, le sentiment d'isolement, qui motivèrent les premières rencontres de praticiens soucieux de comparer leurs modes de fonctionnement, de mieux se définir.
Si les premières rencontres furent celles des responsables, ceux‑ci étaient cependant de disciplines différentes psychologues, médecins, éducateurs, rééducateurs, pédagogues, administrateurs. L'idée de créer un organisme permanent de réflexion en commun, à caractère national, s'imposa de plus en plus à partir de l'année 1968.
Des groupes de rencontres régionales fonctionnant déjà, il suffit de les réunir et l'Association nationale des C.M.P.P. naquit officiellement en février 1971 (ses statuts furent déposés à la Préfecture de Rouen).
Depuis cette date, l'association approfondit de nombreux thèmes de réflexion, élargit son audience, entreprit des recherches, réalisa des formations, devint un interlocuteur social.
Approfondir sans cesse le savoir‑faire était une nécessité à
laquelle se plièrent volontiers les équipes multidisciplinaires.
Mais une autre nécessité apparut le savoir‑faire n'est pas suffisant, il doit s'accompagner du faire‑savoir.
Ainsi germa l'idée de cet ouvrage. Le lecteur y trouvera quatre grandes parties.
La première retrace rapidement l'histoire de l'institution CMPP. vous verrez cette institution naître, se chercher, se définir, s'officialiser, proliférer, trouver sa maturité, faire ses preuves, devenir un modèle, s'interroger sur son existence et son avenir.
La deuxième partie est un long regard clinique sur ce qui se passe dans ces institutions : vous y découvrirez la pratique quotidienne, les phénomènes qui y sont traités et les façons d'y répondre.
La troisième et la quatrième partie aborderont les valeurs auxquelles les praticiens que nous représentons restent attachés dans leur pratique.
Cet ouvrage est donc un regard sur ce qui a été fait, sur ce qui se fait, une réflexion sur ce qui reste à faire et comment le faire, car le C.M.P.P. est une institution originale dans le vaste répertoire des institutions médico‑sociales elle permet une pratique en commun de praticiens différents, hors de leur cadre d'origine.
Le médecin y exerce dans une pratique ni hospitalière, ni libérale, le pédagogue et les rééducateurs y fonctionnent hors de la structure scolaire, les valeurs individuelles et sociales s'y aménagent hors de l'appareil de la loi.
Mais cette institution n'est pas pour autant dans une sorte d'apesanteur sociale, même si on y traite une difficulté psychologique sans crainte de psychiatrisation, une difficulté scolaire sans risque d'étiquette, ni de réorientation, une perturbation sociale sans intervention judiciaire, fût‑ce de prévention. Elle fonctionne grâce à de multiples conventions avec les puissances publiques, sous de multiples tutelles. Les C.M.P.P. ont germé spontanément entre ce que les appareils publics avaient, dès le début du siècle, mis en place. Peut‑être n'est‑ce pas un hasard!
Ils furent réellement des pionniers de ces actions dites de secteur qui fondent la politique actuelle en matière de santé mentale de l'enfant et de l'adolescent, ils furent le précurseur de ces actions d'intégration scolaire qui au début de l'année 1983 constituèrent le virage politique de l'Education nationale.
Si le C.M.P.P. demeure depuis près de quarante ans, peut‑être n'est‑ce pas non plus un hasard, mais une nécessité.
Les praticiens de C.M.P.P. souhaiteraient que cet ouvrage témoigne de la souplesse et de l'évolutivité des équipes, confrontées à la réalité quotidienne d'une clinique changeante et polymorphe.
L'élaboration s'est faite à plusieurs.
Vous découvrirez au fil des lignes la diversité des styles et l'unité du ton : n'est‑ce pas finalement cela le C.M.P.P. ?
CHAPITRE 1
PRÉHISTOIRE DES C.M.P.P.
ET RÉALISATIONS ÉTRANGÈRES
Dans les premières décennies du siècle, les troubles psychopathologiques de l'enfant étaient considérés comme manifestations des grandes constitutions morbides. Ainsi, par exemple, la délinquance apparaissait comme la conséquence la plus directe de troubles psychomoteurs et constitutionnels. De ce fait, la thérapeutique, à ce stade du développement de la psychiatrie de l'enfant, se bornait essentiellement au placement dans des internats spécialisés. Il s'agissait d'une mesure de coercition et de défense sociale.
Le développement de la psychanalyse, son application à l'adulte puis à l'enfant fait passer l'étiologie de l'équipement héréditaire au conflit intra et intersubjectif. Ce conflit met en jeu l'environnement familial. Le traitement de l'enfant ne saurait être dissocié d'une action sur son environnement. La cure ambulatoire apparaît donc, dans bien des cas, la formule adaptée à la conception du traitement. Elle est, de plus, satisfaisante pour des raisons pratiques et économiques.
Cette nouvelle conception du traitement en psychiatrie infantile va apparaître plus précocement là où la psychanalyse trouve ses premiers partisans.
Adolphe Meyer, aux U.S.A., va lancer le mouvement pour la Guidance de l'enfant, puis Beers, celui de l'Hygiène mentale. Dès les années 1920/1930, suivent des tendances se rapprochant plus ou
moins des conceptions freudiennes ou intégrant le social. Elles sont basées sur un « trépied» : psychiatre, psychologue, travailleur social, et sur la synthèse des apports de toutes les sciences humaines (biologie, médecine, psychologie, sociologie) pour la compréhension de l'individu.
En 1939, on comptait 776 centres psychiatriques de soins ambulatoires pour enfants sur l'ensemble des Etats‑Unis, sous des appellations diverses cliniques de guidance infantile, bureaux de guidance infantile, institut pour la recherche sur la jeunesse, etc., avec des modes de financement et de contrôle extrêmement variés, publics ou privés.
Ainsi, sans qu'ait été définie une véritable politique centralisée, c'est bien un réseau complet de services consacrés à l'enfance qui était implanté sur le territoire juste avant la Seconde Guerre mondiale.
Le mouvement de l'Hygiène mentale, créé en 1909 par Clifford Beers, va accentuer après la guerre sa dérive par rapport au secteur psychiatrique classique. Il s'intéresse en particulier aux problèmes de l'enfance et prend une part prépondérante dans le mouvement pour la Guidance infantile.
En Europe, les Pays‑Bas vont bientôt suivre le même mouvement. Ces pays sont moins entravés que le nôtre par le modèle médical, qui considère les enfants inadaptés comme des malades relevant d'un diagnostic médical et donnant donc peu de place aux autres spécialistes. Le meilleur témoignage de l'évolution en Europe des centres de guidance infantile est le Colloque de Lausanne.
La France est absente de ce Colloque, bien que le directeur des travaux soit le Dr Lebovici.
Le compte rendu paraît dans une monographie de l'oMs. en 1958, rédigée par Buckle et Lebovici.
Il parait important de donner un résumé du Colloque afin de montrer l'avancement des idées à cette époque.
Le centre de guidance infantile est destiné essentiellement à améliorer l'adaptation des enfants à leur entourage immédiat en se préoccupant spécialement de leurs relations affectives et sociales, afin de leur permettre de tirer pleinement parti de leurs aptitudes individuelles.
REGARDS SUR L'HISTOIRE DU C.M.P.P. 17
On prend mieux en compte le milieu familial et scolaire que dans les services cliniques traditionnels. On quitte la notion de conseil pour passer à « l'aide pour s'adapter » en envisageant un changement dans la structure de la personnalité, afin de pouvoir supprimer ce qui inhibe son comportement.
La clientèle provient des écoles, des hôpitaux, des dispensaires et services sociaux où se fait te dépistage.
L'approche est pluridisciplinaire avec examen médical, psychologique et social. La problématique prise en compte est définie comme suit :
‑ enfants mentalement insuffisants, enfants présentant des inadaptations scolaires,
‑ nervosité se traduisant par de l'anxiété,
‑ troubles du sommeil et de la conduite,
‑ délinquance,
‑ cas psychiatriques.
Les besoins estimés vont jusqu'à 1/6ème des populations urbaines.
Les techniques utilisées sont multiples : la thérapeutique peut être somatique, psychologique, sociale ou plus souvent une combinaison de ces méthodes. On adjoint aux trois spécialistes de base un psychothérapeute, un pédagogue spécialisé (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie), un rééducateur de la motricité, un rééducateur du langage.
On affirme l'importance de l'équipe, donc de structures peu hiérarchisées.
La guidance infantile moderne estime que non seulement l'enfant, mais toute sa famille, ont besoin de soins. C'est sur la famille que doit porter le diagnostic des examens de chacun de ses membres, considéré à la fois séparément et dans ses rapports avec les autres.
C'est toute la famille qui a besoin d'une thérapeutique individuelle et collective, tenant compte de l'interaction complexe des individus et du milieu.
Cet ouvrage a été le livre de chevet de nombreux créateurs de C.M.P.P. dans les années soixante; bien qu'ayant actuellement vingt ans, il a peu vieilli. La plupart des analyses portant sur l'anamnèse,
le diagnostic, le travail d'équipe, les différents types de traitement recueillent encore l'assentiment général. Seules certaines données sur le dépistage et la classification des troubles ne sont plus reprises. Néanmoins, l'évolution s'est faite tant au niveau des valeurs, des rapports institutionnels, de la perception de l'enfant et de sa famille que dans la théorie et la pratique qui se sont affinées en vingt ans.
CHAPITRE 2
PREMIÈRES EXPÉRIENCES FRANÇAISES
LE CENTRE PSYCHOPÉDAGOGIQUE DE L'ACADÉMIE DE PARIS
1945 : premier projet de c.p.p. Le but était de faire pénétrer dans l'Université le souci de l'éducation affective et caractérielle jusqu'ici négligée ou ignorée au profit presque exclusif de l'instruction. En même temps, le Centre devait faire bénéficier les parents, maîtres et élèves des possibilités offertes par la psychologie moderne (notamment par la psychanalyse et le rêve éveillé), pour réduire les troubles psycho‑pédagogiques du comportement tant chez les éducateurs que chez les enfants.
Mars 1946 installation du Centre. L'équipe de base (M. Berge, Mme Boutonier, Mme Dolto et M. Mauco), s'inspire des réalisations suisses de Répond et Bouvet.
L'enseignement primaire et secondaire détache des instituteurs et professeurs et prête les locaux (lycée Claude Bernard à Paris). Les services de l'Enfance et de l'Hygiène sociale participent aux frais.
Sur l'impulsion du Dr Lagache, le C.P.P. de Strasbourg se crée (directeur médical Mme Favez‑Boutonier, et directeur pédagogique M. Debesse) et s'installe dans les locaux de la Faculté des Lettres avant d'ouvrir un centre annexe à Mulhouse.
L'Association des c.p.p. des établissements d'enseignement, créée pour gérer les centres dès 1947, est présidée par H. Wallon, puis G. Heuyer, ensuite D. Lagache.
Actuellement son président est le Pr Boulard de Tours.
Les centres relèvent à la fois de la Santé publique et de la Population, de l'Education nationale et de la Sécurité sociale.
Pour bien marquer l'approche psychanalytique, l'appellation « psycho‑pédagogique » avait été choisie, de préférence à « médico‑pédagogique
Le c.p.p, est ouvert aux élèves (garçons et filles) des lycées et collèges présentant des troubles du caractère et du comportement : timidité, émotivité, anxiété, énurésie, tics, nervosisme, petite délinquance, anomalies du comportement sexuel, mais aussi fatigabilité, échec scolaire, mauvaises habitudes de travail et de discipline...
La compréhension immédiate du corps enseignant détermine d'emblée l'impossibilité de répondre à toutes les demandes.
Sur le plan administratif, les difficultés de départ furent importantes. Georges Mauco raconte : « Le rattachement à l'Hygiène scolaire et universitaire impliquait des règles financières étroites ne permettant pas des rétributions appropriées aux qualifications exigées des psychothérapeutes. On se heurtait ainsi rapidement à la rigidité administrative du ministère de l'Education nationale. D'autre part, nous souhaitions faire bénéficier les élèves et leurs familles de la gratuité en matière de psycho‑pédagogie utilisant la psychanalyse et faire que celle‑ci, dans toute la mesure du possible, soit libérée des rigidités institutionnelles et de la tutelle d'un ministère particulier.
Après de difficiles négociations et grâce à la compréhension des dirigeants de la caisse de Sécurité sociale, le principe du remboursement de l'acte psychopédagogique fut admis, cet acte étant conçu comme travail collectif de l'équipe sans discrimination de ce qui était «médical, pédagogique, psychanalytique ».
A notre avis, trois éléments ont été déterminants dans la création des centres psychopédagogiques :
1. Tout d'abord les conséquences de la guerre 1939‑45. Cette guerre avait profondément bouleversé les structures éducatives, et il fallait renouveler la formation des jeunes générations pour préparer l'avenir. Ce climat de reconstruction générale matérielle et spirituelle (au sens large) était favorable à la conception de nouvelles structures intervenant au niveau des difficultés psychologiques et scolaires des enfants et adolescents dont les conditions de vie, pendant la période de guerre, avaient provoqué des expressions caricaturales.
2. La création de la Sécurité sociale. Elle allait être le support
financier privilégié de nos centres. Ses effets s'étendaient à des couches plus larges de population que les assurances sociales. Les
troubles psychologiques et les inadaptations scolaires psychogènes allaient entrer dans le champ de la santé mentale, et cette conception nouvelle justifiait l'intervention de la Sécurité sociale.
3. L'apport des sciences humaines. A la pédagogie et à la conceptualisation de la psycho‑pédagogie sous l'influence de Henri Wallon et de Debesse, s'ajoute l'apport clinique du Dr Berge, de Georges Mauco, et de Juliette Boutonier.
L'unité de la personnalité de l'enfant était affirmée et chaque symptôme d'inadaptation ne pouvait être compris que par rapport à la personnalité globale, d'où la nécessité d'une approche pluridisciplinaire médico‑psycho‑pédagogique.
LE CENTRE MÉDICO‑PSYCHOLOGIQUE : L'INSTITUT E. CLAPARÈDE
II est important de retracer le contexte dans lequel, entre 1945 et 1950, l'idée des C.M.P.P. a vu le jour avant de relater dans le détail la création du Centre Claparède, qui a été l'initiateur du courant dont les C.M.P.P. de notre association émanent.
En 1945, ii n'y a pas de spécialité officielle concernant l'enfance inadaptée. Cependant, des médecins cherchent depuis de nombreuses années à comprendre la psychopathologie infantile, et en particulier Georges Heuyer (qui ne sera reconnu comme professeur dc psychiatrie infantile qu'après 1950). D'autres, comme Léon Michaux, Clément Launay, arrivent à grand‑peine à spécialiser une partie de leur service hospitalier pour recevoir en consultation des enfants. La partie traitement est à l'époque très inférieure en importance à la consultation et tous ces médecins reçoivent, en même temps, des adultes.
Du fait de la guerre, beaucoup de problèmes sont à résoudre, beaucoup de séquelles et de traumatismes à traiter. Des œuvres privées, souvent confessionnelles, prennent en charge à 80 % le secteur de l'enfance inadaptée.
Des praticiens, comme Deligny, Maria Montessori, font état de leurs pratiques et de leurs recherches, mais ces différents intervenants éducateurs, pédagogues spécialisés, médecins, ne se considèrent pas encore comme faisant partie du même secteur d'intervention.
Ambroise Croizat, ministre communiste chargé de la Santé dans le gouvernement du général de Gaulle, signe le décret instituant la Sécurité sociale, dont l'importance pour notre action ne s'est jamais démentie depuis.
Louis Le Guillant, psychiatre, élève de Heuyer, est conseiller technique du directeur de cabinet du ministère de la Santé. Il sefait l'avocat de la psychiatrie infantile, auprès du ministre.
Georges Mauco est secrétaire du commissariat de la Famille. Ce poste lui permettra de démontrer, auprès du ministère de l'Instruction publique, l'importance d'aider les enfants en difficulté scolaire. Il s'agit par ailleurs d'un courant extérieur au milieu médical
hospitalier, bien que les docteurs Berge et Favez-Boutonier aient été également élèves du Pr Heuyer.
Le deuxième courant qui a donné naissance au Centre Claparède s'organise autour du Dr Henri Sauguet, qui a été interne, puis assistant chez Heuyer et qui est également psychanalyste.
La psychanalyse ne connaîtra son plein développement dans les milieux de la psychiatrie infantile qu'après 1945, sous l'impulsion de Serge Lebovici qui, interne de Heuyer, introduit dans le service des techniques de psychothérapie pour pallier les insuffisances de la chimiothérapie.
Le Dr Sauguet propose à Heuyer le projet d'un organisme extrahospitalier, faisant la synthèse de ce qui existait alors en France
- utilisation des techniques psychanalytiques dans le traitement des enfants,
- travail d'équipe avec assistantes sociales spécialisées, psychologues (effectuant des tests d'intelligence Binet-Simon, Termarin).
Il prend en compte l'expérience anglaise conception de l'enfant inadapté social, scolaire, autre que celle d'un enfant malade.
Le Dr Heuyer le propose comme conseiller technique à l'Association de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence inadaptées de Paris, qui va être l'organisme gestionnaire de l'Institut Claparède, centre médico-psychologique, centre de réadaptation sociale et familiale. On peut aussi le définir comme centre de diagnostic et de traitement dans le sens utilisé par le Pr Debré, qui propose à la même époque des réformes profondes de la pratique médicale allant dans le sens d'équipes dépendant d'associations privées.
En 1948, le Don Suisse cède ses locaux (des baraquements en bois) à la Sauvegarde de l'enfance de Paris. Le démarrage officiel a lieu en 1949.
A sa création, le centre fonctionnait uniquement grâce à une subvention du ministère de la Santé. Tout est payé par référence aux tarifs des O.P.H.S. (Offices publics d'hygiène sociale) mais sans que l'Etat supporte les frais d'infrastructure. De plus, le ministère n'envisageait pas de supporter le déficit. Ainsi, par exemple, quand un enfant était absent, le psychologue n'était pas payé pour sa vacation et les responsables administratifs n'en étaient pas choqués.
Par la suite, d'autres instances sont venues apporter leur aide financière mais tout dépendait de plusieurs commissions interministérielles (dont relevaient les enfants inadaptés) qui ne voulaient rien perdre de leur pouvoir. Ainsi la caisse d'Allocations familiales rémunérait les assistantes sociales. L'O.P.H.S.. intervenait pour l'équipe de diagnostic car O.P.H.S. = pas de traitement.
L'Education nationale intervenait également pour une petite part.
Ce n'est que progressivement que la Sécurité sociale a pris le relais.
On comprend ainsi quelles victoires a représenté le décret de 1963 officialisant les C.M.P.P., la circulaire de 1964 définissant leur mode de financement et les conventions collectives dont celle de l'enfance inadaptée de mars 1966.
Le décret de 1963 unifiait au plan de la reconnaissance les deux courants initiaux et l'on voit comment le sigle C.M.P.P. est né de la reunification des centres psycho-pédagogiques (C.P.P.) et des centres médico-psychologiques (C.M.P.).
CHAPiTRE 3
LA RECONNAISSANCE LÉGALE DU C.M.P.P.
Nous avons vu comment les deux courants principaux, parapédagogique et médical, ont été amenés à se réunir en 1963 sous un même sigle C.M.P.P., à se donner une même organisation administrative tout en gardant par ailleurs leurs spécificités.
Cette réunification administrative est acceptée essentiellement pour des raisons financières. En effet, les modes de financement antérieurs trop variés, trop aléatoires, fragilisent considérablement le fonctionnement de ces structures.
De 1945 à 1962, les responsables des centres et les ministères ont recherché la meilleure formule de répartition du coût de fonctionnement des centres de cure ambulatoire relevant d'associations privées.
Les O.P.H.S. (Offices publics d'hygiène sociale), surtout répandus dans la région parisienne et correspondant aux dispensaires d'hygiène mentale, sont des organismes publics. Leur conception et leur fonctionnement s'apparentent, surtout en ce qui concerne les consultations diagnostiques, à ceux des centres privés. Cependant, avant 1955, ils réalisent moins de traitements. Leurs activités sont «gratuites» pour les familles qui font appel à eux. II y a donc là un précédent qui ne sera cependant pas retenu pour les centres du secteur privé.
L'idée d'un prix de journée est étudiée, puis rejetée. On en reste à la notion du prix de séance, avec, dès 1956, une répartition nouvelle 40 % pris en charge par l'Hygiène mentale, et 60 % par les organismes de Sécurité sociale.
Mais de 1956 à 1962, le nombre des institutions de cure ambulatoire augmentant, une législation particulière finit par s'imposer. C'est l'annexe xxxii (décret du 18 février 1963) au décret du 9 mars 1956 qui fixe les conditions techniques d'agrément des C.M.P.P. de cure ambulatoire.
La définition du C.M.P.P. est la suivante : «Il pratique le diagnostic et le traitement des enfants inadaptés mentaux dont l'inadaptation est liée à des troubles neuropsychiques ou à des troubles du comportement susceptibles d'une thérapeutique médicale, d'une rééducation médico‑psychologique ou d'une rééducation psychothérapique ou psycho‑pédagogique sous autorité médicale.
«Le diagnostic et le traitement sont effectués en consultations ambulatoires sans hospitalisation du malade.
«Ils sont toujours mis en oeuvre par une équipe composée de médecins, d'auxiliaires médicaux, de psychologues, d'assistantes sociales et autant que besoin, de pédagogues et de rééducateurs.
«Ils ont pour but de réadapter l'enfant en le maintenant dans son milieu scolaire ou professionnel, familial et social.
« Le traitement comprend une action sur la famille qui peut recevoir au centre toutes les indications nécessaires à la réadaptation de l'enfant et éventuellement toutes les thérapeutiques lorsque, dans l'intérêt de l'enfant, elles ne peuvent être dispensées ailleurs. Les soins s'étendent à la post‑cure», définie comme un contact à maintenir après la fin du traitement pendant une durée minimum de trois ans de manière à pouvoir provoquer éventuellement un nouvel examen ou rechercher, s'il y a lieu, les causes d'une mauvaise adaptation.
Dans notre perspective historique, relevons simplement la modernité de ces définitions et même l'anticipation de leur contenu quand elles insistent sur l'importance de la prévention et la nécessité (fréquente) d'une prise en charge de la famille.
C'est également la première fois en France qu'un texte officiel nomme le psychanalyste parmi les thérapeutes.
On peut considérer légitimement le C.M.P.P. comme précurseur et pionnier de ce que sera « l'intersecteur de pédopsychiatrie » dix ans plus tard, alors que l'annexe XXXII ne fait aucune référence à la circulaire du 15 mars 1960 que nous étudierons ultérieurement.
L'annexe XXXII reste non seulement le texte de base du C.M.P.P., mais la référence conceptionnelle et même fonctionnelle de ce type d'institution.
A noter qu'aucune référence précise n'est faite à l'âge des enfants reçus; de ce fait, certains C.M.P.P. sont agréés de 0 à 21 ans (puisque c'est l'âge de la majorité légale au moment de la promulgation du décret) alors que d'autres, et plus fréquemment ceux créés à l'initiative de pédagogues, ne sont agréés que de 6 à 16 ans.
Cette annexe XXXII est complétée par la circulaire du 16 avril 1964 relative aux modalités de financement des C.M.P.P., qui dit notamment que « le cas des enfants est particulier car les difficultés, même bénignes, qu'ils rencontrent sont susceptibles, en s'aggravant, de provoquer à l'âge adulte des comportements véritablement délictuels ou pathologiques »
En outre, l'efficacité du dépistage ou du traitement dépend de sa précocité, par conséquent de la mise à la disposition des jeunes et de leurs parents, d'organismes spécialisés animés par un personnel particulièrement informé des troubles de l'enfance et de l'adolescence.
Tel est l'objet des C.M.P.P., dont l'activité est double au dépistage des troubles assuré par les centres comme par les dispensaires d'hygiène mentale, s'ajoute la mise en oeuvre de soins et de traitements appropriés.
Il a été décidé d'établir un forfait de six séances par personne examinée, ce qui signifie que les six premières séances sont prises en charge par le service départemental d'Hygiène mentale, relayé par les organismes de Sécurité sociale à partir de la septième.
Ces deux textes permettent l'extension des C.M.P.P Chaque ville importante (couronne parisienne et villes universitaires) se dote d'un centre soit autonome, soit sous la forme d'une antenne.
D'autres documents officiels viennent, par la suite, moduler, organiser ou tenter d'organiser le fonctionnement des CMPP. Ils seront étudiés dans un chapitre ultérieur.
De nombreux C.M.P.P. ont donc présenté un dossier d'agrément aux commissions régionales d'agrément, puis aux commissions régionales des institutions sociales et médico‑sociales (C.R.I.S.M.S.) avec des succès divers, tant au niveau de l'agrément technique que de l'acceptation par les organismes de tutelle et les caisses régionales d'assurances maladie du budget de fonctionnement.
L'intérêt des C.M.P.P. pour la prévention des handicapés mentaux (au sens large du terme) semble avoir soulevé de nombreuses craintes et de nombreux espoirs. De nouveaux textes sont en préparation concernant la possibilité pour un C.M.P.P. d'ouvrir une section C.A.M.S.P. et remettent en cause la circulaire de la direction générale de la Santé demandant aux C.M.P.P. de se mettre en conformité avec les textes concernant les C.A.M.S.P.
On peut considérer le contrôle par les médecins de santé scolaire, le passage devant la C.D.E.S. et, à un moindre degré, l'intégration des C.M.P.P. dans les intersecteurs de pédopsychiatrie, comme autant de tentatives pour surveiller étroitement le fonctionnement des C.M.P.P., vus comme des organismes complexes et coûteux. Nos propositions de comparer de manière précise et claire le coût du fonctionnement d'un C.M.P.P. à celui d'un dispensaire d'hygiène mentale effectuant des traitements n'ont jamais été retenues.
Cependant, nous avons le sentiment qu'une comparaison intégrant tous les aspects du fonctionnement ferait apparaître le coût de la séance de C.M.P.P. plus modique que ce qui correspond à une «séance» en dispensaire. Notre gestion est totalement transparente, donc facilement contrôlable, alors que le coût des services publics, qui concerne plusieurs ministères, est au contraire très peu apparent. Et c'est sur cette illusion savamment entretenue que l'on prétend que le service public est moins cher, qu'il faut bloquer et même restreindre l'évolution de notre secteur dit «semi-public» ou «semi‑privé », puisqu'il dépend d'associations privées «loi 1901», mais fonctionne grâce aux finances publiques émanant soit de nos impôts, soit de nos cotisations aux différents régimes de Sécurité sociale. Comme on le voit, l'existence et le fonctionnement de centres de soins dépendent également de considérations sociopolitiques.
Pourquoi cette méfiance à l'égard des C.M.P.P.? On peut penser qu'elle repose très largement sur une méconnaissance de leur fonctionnement, de leurs finalités et de leurs références.
Il est certain que la parution des textes officiels facilita les créations de très nombreux centres de manière anarchique, principalement autour de Paris, sous l'égide des municipalités, des C.R.E.A.I., des associations de sauvegarde de l'enfance, des associations des pupilles de l'école publique et d'associations diverses.
Le plus souvent, aucune étude des besoins, aucune coordination ne précédaient ces ouvertures. De nombreux centres déjà existants prenaient le nom de C.M.P.P., bien que ne répondant pas aux exigences de l'annexe XXXII car il s'agissait alors d'une structure utilisant des techniques nouvelles et répondant aux critères de prévention, de maintien de l'enfant dans sa famille, etc.
Cette prolifération n'étant pas sans dangers, les équipes ont très vite souhaité définir leur spécificité dans le cadre d'une association nationale.
Le C.M.P.P. à orientation thérapeutique a d'emblée été une structure de pointe par rapport aux dispensaires d'hygiène mentale, aux structures hospitalières et à la pratique des autres centres du secteur privé de l'enfance inadaptée en ce qui concerne le traitement des troubles de la personnalité.
Du fait de sa souplesse et de son évolutivité, il intégrait rapidement les courants nouveaux. Il faut reconnaître qu'il a tiré profit des zones de faiblesse des institutions du secteur public. Il a fonctionné comme une structure interstitielle prenant les positions qui n'étaient pas prises par d'autres, comblant les carences qualitatives, quantitatives et géographiques. Il a été un lieu où la psychiatrie non officielle a pu s'affirmer librement.
Il s'est rapidement démarqué par rapport à la psychologie des aptitudes et des facultés, à la caractérologie, à la psychologie de l'essence et de la structure des individus, en valorisant une psychologie génétique, dynamique, de la construction et de la création de la personnalité. Une compréhension trop linéaire de l'enfant, encore en vogue dans les milieux de la psychologie scolaire, de l'orientation scolaire et professionnelle et de la rééducation pédagogique, a été rapidement rejetée pour une position théorique plus ouverte.
Le C.M.P.P. a pris aussi ses distances par rapport à une psychiatrie organiciste et constitutionnaliste d'une part, à l'encontre d'une pédagogie s'inspirant d'une morale traditionnelle et du scoutisme d'autre part.
Le symptôme demande à être décodé et non pris comme tel. L'inconscient doit être pris en compte. L'unité de la personnalité de l'enfant est un principe essentiel qui fait rejeter le découpage en enfant‑être social, etc.
Les idées de développement de la personne et du rôle joué par le milieu se sont concrétisées dans l'émergence des C.M.P.P. Ils avaient, dès le départ, plusieurs raisons de se constituer en équipes pluridisciplinaires d'abord leur situation les adossant à différentes institutions et les interpellant de plusieurs lieux à la fois, le prestige d'un modèle de coopération dans la recherche scientifique, nouveau à l'époque, enfin, dans une certaine mesure, l'idée que différents facteurs sont toujours à l'ouvre dans la détermination d'un mode d'existence.
Pour toutes ces raisons, les C.M.P.P. «institutions‑carrefours», offraient d'excellentes conditions à la coopération effective de praticiens de fonctions et de formations différentes.
Mais on peut se poser la question de savoir si ces praticiens ont tiré tout le parti possible et souhaitable de la polyvalence de leur structure de travail.
Les C.M.P.P. ont dû leur succès à l'application dans un nouvel espace social de la psychologie de l'enfant dans son milieu familial. C'est à juste titre qu'ils ont, dans cette orientation, donné une place très importante à la psychanalyse, laquelle y a apporté la dimension de l'inconscient ainsi qu'une pratique rigoureuse et éprouvée.
Après trente ans d'existence, le C.M.P.P. a apporté la preuve de son efficacité, de la souplesse de son adaptation à la réalité le rapport direct avec les familles en fait un lieu d'écoute privilégié.
Il convient cependant de mener une étude critique permanente, de repenser les systèmes de financement, de mieux ajuster notre action à celle des autres structures de l'enfance inadaptée.
Ces trente années d'existence ont vu le C.M.P.P. naître, se chercher, se définir, s'officialiser, proliférer, trouver une maturité, faire ses preuves, devenir un modèle, craindre pour son existence et son devenir. TI est à l'âge des bilans, des réflexions approfondies.
C'est cette réflexion portant sur la place du C.M.P.P. dans le contexte sociologique actuel que nous nous proposons.
CHAPITRE 4
LA PHASE ACTUELLE DES C.M.P.P.
OU DES CONDITIONS DE LA RENAISSANCE
L'évolution du C.M.P.P. est articulée à l'évolution sociale globale. Elle est en même temps un témoin et un révélateur, mais aussi un des auteurs et des reproducteurs des différents courants d'idées et de valeurs qui traversent la société.
Ainsi, pour donner un exemple, les prises de position des spécialistes des C.M.P.P. sur la relativité de l'échec scolaire et l'importance secondaire de la mauvaise orthographe par rapport à la qualité de l'expression personnelle, ont largement été entendues et cela se retourne contre l'activité même des CMPP, qui voient leur clientèle diminuer et les échecs scolaires s'aggraver sans qu'on songe à faire appel à des spécialistes.
Le C.M.P.P. est né dans un certain contexte social. Il est lié à un certain changement dans les modes de vie familiale et au développement des formes d'encadrement social mises en oeuvre par l'Etat
Il se voudrait neutre, répondant simplement à la demande et au désir de l'enfant et de sa famille, mais il prend douloureusement conscience qu'il ne l'est pas.
Nous sommes pris, en tant que membres de la société, dans l'évolution des valeurs, de la culture, des normes sociales. Notre institution subit également des pressions diverses qui l'amènent à se modeler.
Les demandes qui nous sont adressées portent la marque de la souffrance psychologique d'un individu et nous voulons être «du côté de l'individu», mais cet individu est aussi un être social, un
écolier, un participant à différents groupes sociaux et c'est souvent la perception de sa non‑conformité aux normes sociales qui induit son orientation vers une structure de soins.
Le C.M.P.P. risque alors de devenir, d'une part un instrument de reproduction d'un mécanisme d'hyperindividualisation mais aussi un collecteur et un transformateur de l'anxiété sociale et, à ce titre, un instrument de dépossession, de prise en charge et d'assistance.
Il peut d'autre part reproduire des systèmes périmés, des images de famille et de « normalité » dépassées. Il nous faut prendre la mesure de l'accélération des mutations sociales, comprendre les sens multiples de nouveaux types de comportement et nous situer par rapport à eux.
La souplesse de nos institutions, leur évolutivité potentielle, devrait nous permettre de dégager de nouvelles finalités de notre action thérapeutique, à savoir permettre à l'enfant
‑ de retrouver une identité personnelle (et pas seulement individuelle) : fils ou fille de... lié à mon père ‑ ma mère, mais aussi être fondamentalement social,
‑ de se recréer une situation d'existence vraie, où il serait à la fois une personne et un membre d'une communauté.
Le rôle des institutions comme les nôtres, espace de liberté, d'échanges, de concertation, et de contestation, n'est‑il pas de permettre aux individus de s'y retrouver et de se situer dans les évolutions sociales qui les traversent et les dépassent? L'adaptation sociale n'est pas notre mot‑clé. «Etre », c'est parfois se situer de manière désadaptée, mais en sachant le sens que notre position sociale prend par rapport à notre vie intérieure.
Nous ne sommes pas des récupérateurs sociaux, mais des spécialistes permettant un travail sur soi, le moment du choix social ne relevant pas de notre compétence mais de la liberté individuelle retrouvée.
Il nous est apparu important de situer comment le C.M.P.P. a développé ses pratiques et son élaboration théorique dans un champ professionnel et social déjà délimité par d'autres courants professionnels (la médecine, la psychiatrie de l'enfant, la pédagogie traditionnelle la psychologie scientifique, etc.).
Nous souhaitons, maintenant, montrer comment, depuis sa création officielle, le C.M.P.P. a vu son activité modifiée et colorée par l'évolution des valeurs et des regards portés sur l'enfant, la famille, l'école et la société. Nous emprunterons largement, pour la période 1965‑1980, aux apports des sociologues.
LA FAMILLE ET LE DÉSIR DE L'ENFANT
La crise économique actuelle a provoqué une baisse de la natalité sans que l'on sache si elle est conjoncturelle ou fondamentale.
Il y a cependant une homogénéisation du modèle familial quelle que soit la couche sociale, du fait d'une extension des modèles culturels. En 1930, les classes favorisées avaient beaucoup d'enfants, de même que les couches défavorisées de la population. Dans ce même temps, les classes moyennes voulaient l'enfant unique. Actuellement la norme est d'avoir deux‑trois enfants.
Le désir de l'enfant reste fort. Le développement florissant de l'adoption en est la preuve. Mais la venue de l'enfant est programmée depuis l'avènement de la contraception féminine médicalisée. De ce fait également, la régulation a fait passer la responsabilité de la fécondité de l'homme à la femme. Cette dernière veut avoir ses enfants entre 20 et 30 ans et mener conjointement son rôle de mère de famille et l'acquisition d'un statut social.
Les pères se sentent dépossédés de la responsabilité sur l'enfant, sur sa venue et en éprouvent un sentiment de malaise. Mais, par ailleurs, ils s'intéressent beaucoup plus tôt à leurs enfants, les voient beaucoup plus tôt comme une personne et effectuent, en collaboration avec leur femme, des tâches de maternage.
Il y a actuellement une évolution des mentalités qui crée de nouvelles normes, une nouvelle représentation de l'idéal et de la mise en pratique de cet idéal.
Le partage des rôles dans le couple se fait différemment il est fondé par l'économique. C'est le manque de pouvoir des femmes qui crée les rôles traditionnels. Or, actuellement, les femmes revendiquent un pouvoir économique à l'intérieur du couple. Elles veulent travailler pour s'autonomiser, se revaloriser en pensant, à juste titre. que cela peut avoir un effet positif sur l'épanouissement de l'enfant.
L'impression qui prévaut, c'est que si la famille se porte bien, tes enfants se portent bien, quel que soit le modèle familial auquel on adhère.
LA FAMILLE COMME ÉLÉMENT DU CORPS SOCIAL
La société tient à la famille un double discours
‑ d'une part, «c'est votre enfant, vous en êtes propriétaire et responsable »,
‑ mais d'autre part, « il est aussi propriété de la collectivité ; il doit devenir un écolier qui réussit, un travailleur qui produit, un citoyen qui s'adapte».
Si la famille échoue dans ce double rôle, c'est que les parents sont «possessifs, abusifs, etc.» et doivent, de ce fait, aller consulter un spécialiste ou une institution, pour être «pris en charge», risquant alors de voir le problème de l'enfant réifié et échappant à leur maîtrise sous le couvert du discours psychologique. On peut évoquer ici les dangers de l'œdiposcopie tels que les souligne Ph. Meyer (p. 105‑110 et p. 147‑151, op. cit.).
On comprend dès lors que les parents soient réfractaires à ce genre de démarches et se sentent floués. Les sociologues nous décrivent la famille actuelle comme déprimée, sans pouvoir et sans espoir. Le milieu familial est dévalorisé et sécrète, même, chez le jeune enfant, des sentiments d'échec.
Le discours dépressif des familles se traduit directement dans les consultations de C.M.P.P. «Il est nul, il n'arrivera à rien», mais aussi « De toute façon à quoi sert l'école, si c'est pour aboutir au chômage. »
Les parents n'osent plus faire preuve d'autorité, déclenchent chez les enfants des sentiments d'insécurité. Mais par ailleurs ils ont le sentiment que la société devient de plus en plus intolérante et ils ont peur du plus petit écart à la norme.
La famille est pourtant toujours située comme «la cellule de base de la société » et encensée par le discours politique. Cependant, l'ensemble de ses fonctions semble être repris et codifié par l'Etat
Le travail est dessaisi de son sens par la parcellisation des tâches, «on ne produit plus ce que l'on consomme ».
Dans la vie quotidienne des familles, les tâches ménagères ont perdu leur originalité et leur fonction de communication par l'utilisation de l'appareillage électroménager et les effets de la multiplicité qui uniformise les modes de consommation restauration, ameublement, etc.
L'habitat, stéréotypé, vise à diminuer les relations de voisinage et la pratique de la solidarité.
Les modes d'éducation, les pratiques familiales sont normalisés, codifiés sous des apparences scientifiques plus ou moins conscientes de leurs liens avec les normes sociales en vigueur, dont la finalité est la production d'un individu «normé».
Les équipes de C.M.P.P. sont‑elles conscientes du fait que, en tant qu'éléments du corps social baignant dans une culture dominante, elles véhiculent une image traditionnelle et normative de la famille? On ne peut qu'être frappé par la stéréotypie familiale qui s'exprime dans les réunions de synthèse et par sa différence avec l'image plus ouverte qui s'élabore dans les relations interpersonnelles trouvant place dans les couloirs et les réunions spontanées de l'institution.
Nous restons pénétrés de l'idée qu'une certaine image sociale du père, de la mère, de l'enfant, de l'écolier, est la condition sine qua non du bien‑être individuel. Nous nous voulons neutres par rapport aux comportements sociaux, et pourtant, du fait de notre appartenance sociologique, nos perceptions sont induites par des valeurs, la référence à une morale précise. Toute tentative consciente pour intégrer de nouveaux modèles de comportements liés à des «cultures» différentes, se heurte à notre inconscient social et aux aspects socialisés de notre surmoi, qui nous ramènent aux normes intégrées pendant la prime enfance.
L'ÉVOLUTION DE L'ÉCOLE
La réforme Haby en est la plus récente expression. Les conséquences se sont nettement fait sentir dans les C.M.P.P. les parents, tout en étant conscients, dans bien des cas, de la pauvreté des icquisitions scolaires et intellectuelles de leurs enfants, préfèrent l illusion du passage dans la classe supérieure, sur lequel le système ,colaire leur donne maintenant pouvoir, et attendent que l'enfant soil vraiment en situation de blocage scolaire, créant par là une problématique supplémentaire un vécu de l'échec plus intense et une réadaptation plus aléatoire.
Les pédagogues, eux‑mêmes désespérés et insatisfaits, baissent leur niveau d'exigence, ne sachant plus quel rôle leur est dévolu par lu société. Certains proclament qu'« apprendre à lire, écrire, compter, reste une nécessité». Comme si cela n'était pas une L' idence, comme si l'entrée dans le monde de la culture n'était pas iiiie condition sine qua non pour participer à la vie sociale.
L'image donnée par les sociologues du corps enseignant actuel confirme ces analyses
- il a moins de prestige social,
- il est essentiellement constitué de femmes émanant du milieu bourgeois,
- le choix professionnel est souvent négatif : c'est parce qu'ils ont échoué ailleurs, que beaucoup s'orientent vers l'enseignement ci non plus pour des raisons de «vocation»,
- la motivation professionnelle est en décroissance quatre sur dix seulement se déclarent satisfaits par l'exercice de leur métier,
- le langage psychologique est à l'honneur parler de transmission de connaissances, c'est se montrer réactionnaire,
- l'enseignant se sent culpabilisé alors, il rationalise son scutiment d'échec en oscillant du fatalisme biologique au fataIKme sociologisant (c'est la société qui...) en passant par le titalisme institutionnel (le système scolaire broie tout, il empêche toute initiative et toute évolution, etc.),
- l'enseignant est plus instruit, surtout en sciences humaines, il se veut plus proche des enfants, mais il est plus vulnérable et plus intolérant aux comportements difficiles.
Il faut reconnaître qu'il est plus malaisé d'enseigner à des enfants plus mûrs socialement et disposant, hors de l'école, de distractions plus variées et d'une information générale présentée sous forme audiovisuelle.
Cette plus grande maturité sociale, réelle ou apparente, va encore s'accentuer du fait qu'on transforme plus précocement l'enfant en écolier. La généralisation de la préscolarisation (environ 50 % des enfants de 2 ans vont à l'école et la majorité dès 3 ans) est une mutation sociale de grande importance qui va marquer profondément les attitudes sociales des générations qui en sont l'objet.
Si l'école permet à l'enfant de sortir du cercle familial, de l'orbite maternelle et de rencontrer d'autres enfants et d'autres adultes, elle lui fait subir un apprentissage social intense à une époque de son évolution où il n'a pas encore une vraie image de lui‑même. Or, l'apprentissage par imprégnation, comme le dit Liliane Lurçat, est celui qui fait le mieux intégrer les préjugés, les normes sociales les plus rigides et tout cela se structure dans une sorte «d'inconscient social » qui va marquer fortement les comportements ultérieurs et, en particulier, modifier l'image de l'adulte.
Par ailleurs, le système scolaire s'est bureaucratisé, technocratisé, déshumanisé, par réactions aux mouvements internes qui le constituent, à l'impossibilité d'avoir un consensus quant aux finalités de l'action éducative et pédagogique.
Après une période post‑mai 1968 où les mots‑clés étaient liberté, autonomie, motivations, expression, création, désir, bonheur, il semble que nous retrouvions une ère d'autorité où le vocabulaire reprend la terminologie traditionnelle nécessité de l'effort, de connaissances solides, de discipline, de devoir, d'efficacité, tout cela lié à l'ambiance de crise économique et sociale.
Si cette évolution conforte les tendances à l'encadrement social de l'Etat, il faut reconnaître que de nombreux enseignants désabusés et inquiets, après avoir tenté de pratiquer (souvent sans succès, parce que sans préparation) une pédagogie ouverte, entonnent les mêmes refrains et reviennent à une pédagogie plus traditionnelle, conscients qu'ils sont, dans ce nouveau courant d'idées et de valeurs, qu'une pédagogie basée sur la motivation des enfants n'a pas porté ses fruits, ne correspond pas au désir des parents dépassés par une évolution trop rapide et fragilise l'enfant dans la poursuite de son cursus scolaire.
Tout cela représente un considérable changement des mentalités dont l'école est, bien sûr, un des révélateurs, mais se retrouve également en filigrane dans le discours tenu par les parents en C.M.P.P. L'inadaptation scolaire reste le symptôme le plus souvent mis en avant pour expliquer la démarche vers nos, centres. L'expression de l'écart à la norme change en fonction de l'évolution des normes scolaires et nous sommes passés du «il parle trop en classe, il chahute», des années 1960, au « il n'est pas épanoui, il s'exprime peu, il n'a pas d'idées personnelles> des années 1970, pour en revenir à une fixation sur les résultats scolaires à l'orée des années 1980, sur fond de désespérance et d'inquiétude profonde. Avons-nous bien suivi l'évolution de tous ces discours ? Ne sommes‑nous pas restés parfois bien installés dans nos convictions psychologisantes et hyperindividualisantes, mettant à distance une inadaptation scolaire, trop prise dans l'ordre du réel, trop éloignée de l'imaginaire et du symbolique pour que nous y reconnaissions la souffrance de l'enfant et de sa famille malmenés par le réel et sa concrétude?
Il nous est apparu important de développer brièvement ces quelques données sociologiques, démographiques, politiques, sociales et culturelles, car nous sommes en face d'une situation paradoxale ces notions fondent fréquemment la trame des réflexions des spécialistes des C.M.P.P. quand ils! sont en situation amicale ou dans les échanges spontanés «de couloir», or, elles sont évacuées dès que l'on entre dans la salle de synthèse où ne fonctionne plus que le modèle «personnologique» freudien pour l'analyse de la problématique du sujet, comme si ce dernier n'était pas également un être social.
CONCLUSION EN FORME D'INTERROGATION
Les C.M.P.P. sont entrés dans un deuxième temps de leur histoire. D'autres services se sont organisés sur un modèle analogue au leur, c'est le cas des dispensaires d'hygiène mentale infanto-juvénile et, dans une moindre mesure, des groupes d'aide psychopédagogique (G.A.P.P.).
Par ailleurs les pouvoirs publics ont pris des moyens pour reconquérir le plus largement possible un secteur qu'ils considèrent comme ayant été trop complaisamment abandonné aux associations. Or, presque tous les C.M.P.P. sont gérés par des associations fondées selon la loi 1901. En revanche, on a favorisé l'exercice libéral dans les professions médicales ou «paramédicales», où le nombre des praticiens exerçant en privé s'est considérablement accru depuis une dizaine d'années (médecins-psychiatres, orthophonistes, thérapeutes psychanalystes, etc.).
L'addition de tous ces moyens constitue, en volume, un équipement suffisant et même pléthorique s'il est trop uniforme. La concurrence devient âpre.
On est de plus en plus fréquemment amené à constater que, sous la pression des événements, les C.M.P.P. qui, à eux seuls, sont au nombre de 300 environ, décentralisent leurs lieux d'intervention (création d'annexés ou d'antennes) et cherchent à avoir d'autres formes de prise en charge (convention de secteur, ca.m.s.p.).
Le dispositif d'ensemble qu'ils constituent avec les services qui sont dans le même espace social, se diversifie donc quant aux formules administratives et aux lieux d'exercice.
Mais représente-t-il une différenciation interne suffisante quant à ses modes d'approche et à la nature des réponses qu'il peut offrir ? Sous cet angle, il apparaît actuellement trop uniforme et trop répétitif.
Les concepts à partir desquels se fait la lecture des comportements et qui déterminent le mode de réponse proposé sont essentiellement d'ordre psychologique.
Ils constituent l'héritage de Freud, Piaget et Wallon dont on ne peut nier l'importance.
Dans la pratique des C.M.P.P., la problématique interpersonnelle qui est celle de la famille, pour aussi centrale qu'elle soit, n'introduit pas une dimension réellement culturelle et sociale.
Tout part de l'individu et y ramène. La catégorie du transindividuel n'est pas véritablement pensée. La représentation de l'être est celle d'un individu premier donné à lui-même, qui, en se développant, voit le monde se dessiner autour de lui et, secondairement en se «socialisant», échange avec son environnement et son entourage.
L'individu n'est pas compris à travers l'individuation, mais bien l'individuation à partir de l'individu.
Or, la compréhension des conduites humaines ne peut être satisfaisante sans l'ouverture d'une perspective allant du biologique au social où chaque système d'intégration fonctionne comme un filtre et un redresseur dans une série de montages successifs.
Adopter ce point de vue, ce n'est pas nier l'individu et sa subjectivité, mais bien au contraire lui reconnaître une extraordinaire richesse et un singulier destin, mais au sommet d'une série d'organisations fabuleusement complexes et non comme origine.
C'est bien parce que les C.M.P.P. ont la maîtrise d'un certain mode d'analyse — celui de la place d'un enfant dans le désir de ses parents, pour reprendre une formule fréquemment employée — qu'ils ont à franchir une autre étape.
La famille n'est pas en état d'apesanteur sociale. Elle doit être resituée dans le réseau des relations qui la traversent de part en part. Travaillée au plus profond d'elle-même par les institutions (au sens le plus général du terme) elle prend l'enfant dans ce travail. C'est pourquoi la problématique familiale, telle qu'elle était comprise jusqu'à présent, doit désormais s'ouvrir dans de nouvelles directions. Elle doit s'interroger sur les valeurs, les modèles, les codes qui informent, orientent et canalisent la conduite des individus, sur les vérités qui leur servent de foi profonde et sur l'idéal vers lequel ils tendent. L'identité individuelle est impensable sans référence à l'identité collective.
Dans leurs conditions effectives d'existence, comment les consultants se situent-ils devant le plaisir et la privation, la sexualité, l'argent, le pouvoir, le travail, etc. ?
L'un des effets de l'individuation, c'est inconstestablement de préserver et d'entretenir le pouvoir qu'a l'individu d'infléchir sa propre ligne de conduite. Mais, dans la complémentarité profonde individu-milieu, comment ne pas voir que les jeux du désir obéissent à des mises en perspectives préalables déterminées puissamment par la collectivité ? C'est seulement dans le cadre de ces mises en perspective que s'exerce la liberté individuelle. Il en résulte que la liste des questions pour les consultants dans les C.M.P.P. est à compléter.
Quelle est la base qui leur est assignée dans les différents groupes sociaux auxquels ils appartiennent, quels rôles y jouent-ils? Quelles sont les populations impliquées dans l'histoire de chacun d'eux et quelles circonstances en datent et localisent les manifestations?
Comment chacun est‑il à la fois capable de s'assumer comme sujet et de se dessaisir de ce pouvoir, capable de dire «je» et de vivre des expériences qui le dépassent?
A quoi chacun s'est‑il ouvert ou fermé? Quels sont ses investissements fondamentaux, ses modes d'organisation dominants?
Quelles sont ses réalisations, ses devenirs, ses réussites et les joies qui en découlent ? Ou, au contraire, ses stagnations et ses échecs, ses captures par des réseaux névrotiques, voire ses chutes dans des «trous noirs» psychotiques et en contrecoup le manque‑à‑vivre ou la souffrance qui en sont le prix?
*
**
L'éventail des réponses possibles à ces questions est extrêmement large dans le cas des C.M.P.P.
Certains enfants remplissent les conditions requises pour une psychothérapie analytique. Mais, en raison de l'évolution des équipements médico‑psychologiques, leur nombre sera relativement moins important.
Les C.M.P.P. acceptent de plus en plus de cas dits «lourds». Il leur revient déjà, dans un nombre non négligeable de situations, d'assumer une démarche dans le mouvement qui consiste à «aller vers».
Il est des enfants qui ont vécu a minima, dans des milieux à économie libidinale basse et qui ont précocement figé leur évolution, d'autres dont la nervosité et l'agitation s'exercent à vide. Ils ont en commun d'être victimes de codages rigides beaucoup plus que d'être inéduqués.
En raison de la variété des situations présentées, les C.M.P.P. doivent avoir un éventail assez large de solutions à proposer psychothérapie analytique, psychodrame, rééducation (en particulier, selon la méthode P.R.L.) mais aussi psychothérapie familiale, groupe d'éveil, groupe d'accompagnement, et dans certaines conditions actions combinées, individuelle et de groupe en institution et sur le terrain.
Enfin, au‑delà de leurs modalités de réponse aux demandes individuelles qui leur parviennent, les C.M.P.P. ne peuvent pas faire l'économie de leur action globale. Cette dernière, pour être indirecte, n'en est pas moins importante.
Ils ont à s'interroger sur leur place dans l'équipement médico-psychologique et plus largement sur leur mode d'inscription dans le système social.
Ce sont là des lieux d'écoute, mais cette écoute peut‑elle être inconditionnelle, absolue, totale?
N'est‑elle pas sélective et limitée? N'ont‑ils pas leur zone de surdité ?
Pour le reconnaître, ils ont à analyser leur forme d'offre silencieuse et leur mode de neutralité, à travers leur création, leur évolution et l'idéal qu'ils proposent.
À quels fonds culturels puisent‑ils ?
Quelles sont leurs références théoriques ?
Quelle idée de l'homme font‑ils valoir ?
Quel est leur désir d'être conscients de cette place et de ces rôles ?
Nous terminons volontairement cette partie historique sur un questionnaire, car il est évident pour tous que le C.M.P.P. n'est plus à l'ère des certitudes. Il entre dans une seconde phase de son histoire, et sa place dans les années à venir dépendra pour beaucoup des réponses qu'il saura apporter aux questions de fond.
L'objet des chapitres qui suivent est de commencer à cerner les réponses, de montrer la dynamique de la réflexion, de manifester notre vitalité et notre insertion active dans les nouveaux courants sociaux.
DEUXIÈME PARTIE
REGARDS CLINIQUES
SUR LE C.M.P.P.
CHAPITRE 5
POURQUOI
S'ADRESSE‑T‑ON AU C.M.P.P. ?
Pour le reconnaître, ils ont à analyser leur forme d'offre silencieuse et leur mode de neutralité, à travers leur création, leur évolution et l'idéal qu'ils proposent.
Pour quels motifs ? Qui conseille d'y venir ? Pour quels âges consulter ?
Voici une série d'instantanés cliniques qui illustrent la diversité des situations.
- Nicole, 23 mois, n'accepte de manger que lors des heures habituelles de sommeil au moyen d'un biberon donné par le père le pédiatre conseille de consulter le centre de guidance infantile (C.M.P.P.).
- Le jeune Ben Sada, 3 ans, fils de parents algériens, est suivi régulièrement par le médecin pédiatre du service de Protection Maternelle et infantile (P.M.I.) qui a remarqué la pauvreté de sa mimique faciale, la rareté de ses jeux, l'absence de langage verbal.
- Depuis sa naissance difficile, Frédéric a une infirmité motrice 4 ans, la marche vient d'être acquise, mais les parents restent desemparés devant sa maladresse gestuelle et le peu de relations possibles avec d'autres enfants.
- La mère de Guillaume, alertée par la maîtresse de maternelle, est alIée voir son médecin traitant parce qu'à 5 ans le garçon parle encore très mal, il est maladroit, et paraît en retard sur l'évolution des enfants de son âge.
- Le psychologue scolaire vient de voir, sur demande de la directrice de l'école, René, 5 ans, qui va tripler le cours préparatoire. Il ne s'intéresse pas à l'école malgré de bonnes aptitudes intellectuelles. Il faudrait plus de temps et de moyens que n'en dispose ce praticien pour approfondir les raisons de ce refus d'apprentissage.
- Les parents de Bruno, 10 ans, constatent, un peu plus accentuée chaque jour, la peur du garçon d'aller à l'école.
- Patrick, presque 10 ans, n'a pas redoublé de classe mais il peine en C.M.1 il n'aime pas lire et fait de nombreuses fautes d'orthographe. Ses parents se font beaucoup de souci pour lui, comparant avec sa sœur jumelle qui suit la scolarité avec aisance.
- Alain, 6 ans, souille sa culotte de ses selles d'une façon quotidienne.
- Pierre, 12 ans, mouille encore son lit la nuit.
- Thierry est malhabile et se sert de sa main gauche.
- Georges, 14 ans, se met à bégayer.
- Etienne progresse difficilement dans la scolarité primaire. Le groupe d'aide psychopédagogique de la circonscription scolaire (G.A.P.P.) s'en occupe depuis deux ans. Malgré les aides reçues en classe, Etienne piétine, et tout le monde se lasse. Le G.A.P.P. fait appel à l'équipe du C.M.P.P. pour recevoir l'enfant et ses parents, et réfléchir ensemble à la conduite à tenir.
- Claudine, 16 ans, souffre de douleurs abdominales violentes et répétées; elle a été vue à plusieurs reprises par des spécialistes de l'appareil digestif, puis de l'appareil urinaire, enfin par un gynécologue. Aucune anomalie organique ne se révèle à travers les nombreux examens. Le pédiatre, soupçonnant que ces douleurs ont une cause autre que somatique, adresse la jeune fille au C.M.P.P.
- Le médecin généraliste reçoit Jean‑Paul, 17 ans, et ses parents ils ne savent que faire devant la répétition des fugues apparues dès les premiers stages d'apprentissage de boulangerie.
- Le service de réanimation du centre hospitalier a reçu il y a quelques jours Catherine, 15 ans, après une tentative de suicide par absorption de médicaments. Un médecin du service téléphone au C.M.P.P. en accord avec les parents, pour demander que l'on reçoive la jeune fille à sa sortie d'hôpital, si elle le veut bien.
MOTIFS DE CONSULTATION
Ce bref panorama met en scène la variété des motifs et des circonstances qui amènent des parents à demander une consultation au C.M.P.P. Lorsque l'enfant est petit la majeure partie des aléas de son évolution s'extériorise dans des manifestations somatiques corporelles et dans un retard ou une irrégularité de son développement psychomoteur.
C'est ainsi que les parents parlent de difficultés ou de bizarreries, à propos de l'alimentation, du sommeil, des activités motrices, du langage, de l'acquisition du contrôle sphinctérien, urinaire et digestif. Le très jeune enfant peut aussi manifester dans sa conduite des peurs irraisonnées, des rites, des gestes stéréotypés, une agitation bruyante, un désintéressement pour ce qui l'environne. A l'occasion de la scolarité.
Les premières années d'école maternelle révèlent avec plus d'évidence une gêne passée inaperçue ou même tolérée lors de la toute petite enfance. En milieu urbain français de 1980 la quasi-totalité des enfants de 4 ans fréquente l'école maternelle, qui est de ce fait le lieu de repérage privilégié des irrégularités de développement pour le petit monde de 3 à 6 ans.
Le passage à la grande école avec le début du cours préparatoire (C.P.) est considéré comme un moment de vérité. L'apprentissage aisé de la lecture et de l'écriture est considéré pour la plupart des écoliers comme un indice de leur harmonieux développement intellectuel.
Au cours de la scolarité primaire persistent chez plus d'un élève de réelles infirmités dans l'acquisition de la lecture, de l'orthographe, du maniement du calcul le terme de dyslexie représente un symptôme relevant de causes multiples.
Parfois, le désintérêt global de l'enfant, ou son incapacité à suivre les activités scolaires se manifeste dans son comportement il est instable, agité, lent, apathique, inattentif de toute façon.
Avec ses congénères, un écolier peut chercher l'agression offensive ou bien rester en marge du groupe. La phobie scolaire est le refus panique d'aller à l'école sans raison corrélative.
Plus faciles à saisir sont les situations conflictuelles contemporaines de relations tendues entre l'élève, le maître et ses parents.
Dans le cadre de la vie familiale la famille, premier lieu de vie, est la scène privilégiée où l'enfant joue une variété de rôles.
Tel restera longtemps immature, dépendant de sa mère, tel manifestera précocement un comportement coléreux et opposant à ses proches, celui‑ci est renfermé, craintif, celui‑là est jaloux. Les événements vécus par les membres du groupe familial modifient la place et les rôles de chacun.
S'agit‑il d'épisodes douloureux deuils, accidents, soucis matériels ?
De crises conflits, séparation, divorce ?
D'événements nouveaux naissance, arrivée d'un nouveau membre, déménagement, voyage prolongé ?
Un enfant pourra parfois, dans ce cadre familial, vivre le rôle de victime de sévices corporels et psychologiques.
L'adolescence
L'adolescence, terme bien général qui désigne le temps qui va de la puberté à l'âge adulte, est une période difficile à vivre.
Les adultes, la considérant comme un temps de conquête, de promesse, d'épanouissement, sont dans l'attente d'une transformation qui amènerait l'adolescent vers sa personnalité définitive, persuadés de l'aider au mieux, ils l'entourent de mises en garde, le pressent de faire des choix, lui concèdent une liberté relative, quêtant sa réussite.
L'adolescent, lui, vit les choses tout autrement.
Pris dans un système conflictuel, où il doit abandonner l'irresponsabilité de l'enfance, soudain désillusionné en face d'une réalité qu'il découvre avec des yeux neufs, ne trouvant plus auprès des figures parentales la sécurité de la toute‑puissance de l'adulte, il se sent envahi de désirs nouveaux qui accompagnent sa mutation sexuelle, et dont il ne sait encore que faire.
En face d'un monde qu'il ne sait comment affronter, il a tendance à se comporter en «tout ou rien», en humeurs changeantes, en réactions inattendues et brusques, en frénétiques admirations suivies de rejet excessif dans l'amitié comme dans les premières amours,
«Mes parents ne me comprennent pas», dit l'adolescent. En fait, il ne se comprend pas lui‑même. Dans le moment où s'ouvrent à lui les plaisirs de son âge, voici que des mouvements intérieurs l'empêchent de réaliser ses souhaits; rien n'a plus de goût, les études ne l'intéressent plus, son propre corps lui déplaît, le monde est sans tendresse. Il voudrait à la fois garder les liens d'enfance et en être définitivement débarrassé. «C'est terrible, disait une adolescente, je m'aperçois que je ne manque à personne, alors que tout me manque. »
Lorsque les discussions, les conflits sont ouverts avec les parents ou lies professeurs, la situation est assez bonne, car les forces employées par l'adolescent pour vivre ses conflits lui permettent d'engager son énergie dans des relations nouvelles, des choix transitoires.
Mais, chez d'autres, les paroles ne vont pas être un moyen de décharge, et des symptômes vont s'organiser, exprimant le malaise à vivre sans qu'il puisse y avoir de rupture et donc de liberté dans l'énergie nouvelle. Souvent, plus les liens avec l'enfance ont été étroits, plus l'enfant a été obéissant, régulier, plus la crise est violente.
Brusquement, un adolescent refuse la scolarité, se désintéresse des valeurs intellectuelles, déclare qu'il veut «tout lâcher». Comme si «passer le pas», franchir l'obstacle était impossible.
Un autre vit un malaise corporel diffus, du fait de sa transformation physique : on sait l'importance de la taille, de la peau, chez les garçons.
Chez les filles, on voit s'installer des refus de nourriture allant jusqu'à l'anorexie ou des boulimies, avec des prises de poids désastreuses, souvent accompagnées de pleurs, d'insomnie.
Les relations dans la vie affective sont compliquées, allant jusqu'au retrait social, à la phobie qui coupe l'adolescent des jeunes de son âge, voire la dépression, la drogue.
Les découvertes amoureuses et l'intensité de l'affect, les ruptures, peuvent entraîner le dégoût de la vie, les tentatives suicidaires.
Or, paradoxalement, l'adolescent a besoin de trouver un dialogue avec un interlocuteur neutre, donc un lien neutre où il puisse donner sens à ces mouvements qui le font souffrir, où il sera considéré comme un individu autonome; mais il doit aussi être aidé dans ses rapports avec cette réalité nouvelle qui l'angoisse.
C'est dire l'importance pour lui d'un lieu de référence qualifié où il puisse parler de sa réalité intérieure, mais où il pourra aussi retrouver, grâce à un médiateur, le dialogue perdu avec son père ou sa mère, changer le but de ses études, modifier ses projets, faire de vraies ruptures où chacun puisse se parler en adulte, bref, trouver d'autres issues que pathologiques.
A tous les âges, le corps
Tout au long de son existence, l'homme a, par son corps, un moyen privilégié d'extérioriser sa «gêne à vivre» passagère ou durable. Le petit enfant l'utilise tout particulièrement. Les divers appareils physiologiques peuvent se mettre à mal fonctionner sans qu'il y ait atteinte de l'organe lui‑même.
La fonction de nutrition a un registre particulièrement riche, depuis les perturbations de l'appétit jusqu'aux troubles du transit digestif et aux manifestations douloureuses polymorphes.
L'appareil respiratoire peut se manifester par une dyspnée, des accès de toux, des crises asthmatiformes.
La fonction de locomotion et de motricité et le système neuromoteur s'extériorisent par des pseudo‑paralysies des membres, des crises neurotoniques, des tics, des céphalées, des accès critiques rappelant l'épilepsie, parfois des troubles oculaires.
L'appareil cardio‑vasculaire peut sembler en cause à l'occasion de sensations de malaises, de douleurs thoraciques, de palpitations et d'irrégularités de la tension artérielle.
Les glandes endocrines, qui contribuent aux fonctions génitales, sont souvent incriminées devant un retard pubertaire, des douleurs pelviennes, une dysrythmie des règles, une impuissance virile.
Le revêtement cutané se manifeste également sous forme d'eczéma, de pelade; des lésions tenaces d'irritations peuvent être entretenues compulsivement par le sujet lui‑même.
CANAUX D'ORIENTATION
Quelles personnes conseillent les parents ou éventuellement les adolescents de venir consulter au C.M.P.P. ?
De professions et de rôles divers, ces personnes constituent les canaux d'orientation de la clientèle. Ceux-là varient suivant l'ancienneté des services, les premiers promoteurs et la constitution des équipes.
Quatre grands types de canaux sont facilement repérés
- Les services médicaux. Le généraliste, le pédiatre sont souvent les premiers à qui les parents demandent conseil. Le médecin scolaire, le pédiatre de P.M.I. constatent une anomalie et informent les parents. D'autres spécialistes peuvent être amenés à voir l’enfant : ophtalmologiste, dermatologue, oto‑rhino‑laryngologiste, chirurgien, neurologue...
- Les milieux pédagogiques. Les responsables d'école maternelle, l'instituteur ou le directeur d'établissement d'enseignement primaire, tel professeur ou conseiller pédagogique du cycle secondaire, alertent généralement les parents. De même le psychologue (u)!aire agissant soit seul, soit dans le cadre d'un groupe d'aide psvchopédagogique (G.A.P.P.). Les commissions de l'enseignement primaire (C.C.P.E.), de l'enseignement secondaire (C.C.S.D.) indiquent parfois l'opportunité d'une consultation médico‑psychologique.
- Les travailleurs sociaux. Ce sont d'abord les professionnels du service social de secteur urbain ou rural, chargés d'une zone géographique pour laquelle ils assurent une polyvalence d'activités. Ce sont aussi les services sociaux de caisses d'assurance maladie, d'entreprises, de services hospitaliers, de médecine préventive, d'établissements scolaires.
- Enfin, les équipes d'éducation spécialisée conseillent parfois aux familles une démarche auprès d'un C.M.P.P. équipes d'institut médico‑pédagogique ou professionnel, les services de prévention, foyers de l'enfance, maisons familiales d'accueil. Un exemple nous en sera donné par l’histoire de Joel.
- Les relations personnelles des familles. Lorsque le C.M.P.P. est implanté depuis plusieurs années, il devient de plus en plus fréquent de voir de nouveaux consultants y être amenés par des fanilles déjà «clientes» du service ou qui en ont entendu parler par des relations, parents, amis, voisins, collègues de travail. Cette situaation suppose, bien entendu, une certaine satisfaction des usagers qui ont utilisé le service.
Ces quatre voies principales d'orientation ont une importance variable suivant la personnalité de chaque C.M.P.P.
L'A.N.C.M.P.P. a mené une étude sur ces canaux. L'intérêt de ce travail est multiple. Les motifs de consultation sont ainsi plus nettement spécifiés.
Sont mieux cernées également les difficultés rencontrées par les interlocuteurs sociaux habituels des parents pour répondre eux-mêmes aux questions posées. D'où le besoin de recourir à une équipe disposant de compétences spécifiques, d'informations élargies, de possibilités de contacts extérieurs pour réaliser l'approche pluridimensionnelle que les situations complexes requièrent.
ÂGE ET SEXE DES CONSULTANTS
Les âges
La limite inférieure et supérieure des âges est établie pour chaque C.M.P.P. d'après les conventions passées avec les organismes d'aide sociale et d'assurance maladie. Elle couvre largement la période de scolarité obligatoire. Certains ont obtenu un agrément au titre de centre d'action médico‑sociale précoce (C.A.M.s.P.). Pratiquement tous les C.M.P.P. reçoivent des enfants en âge d'école maternelle. Un certain nombre d'entre eux peuvent accueillir dès la toute première enfance sans limite inférieure et jusqu'à l'ancienne majorité civile de 21 ans.
Les C.M.P.P. qui ont un agrément pour admettre des étudiants et qui de ce fait fonctionnent comme bureau d'aide psychologique universitaire (B.A.P.U.), reçoivent des sujets inscrits à l'université jusqu'à 26 ans.
Le sexe
Quelles que soient les régions et la diversité des C.M.P.P., il est habituel de compter deux consultants garçons pour une fille. Cette proportion est retrouvée dans toute consultation médico‑psychologique. S'agit‑il de risques évolutifs plus nombreux pour le garçon, ou d'une préoccupation plus vive des parents à propos d'un descendant masculin? Ces interrogations restent ouvertes.
MILIEUX SOCIO‑ÉCONOMIQUES
Les milieux socio‑économiques des consultants reflètent la population où s'implante le service centre ville ou quartiers périphériques suburbains, dominante citadine ou polymorphisme provincial.
Existe‑t‑il une clientèle particulière des C.M.P.P. ? A titre d'exemple, voici les relevés faits dans un C.M.P.P. implanté au centre‑ville d'un chef‑lieu de département regroupant une population urbaine et suburbaine de 200 000 habitants; le service reçoit également des familles d'autres zones urbaines et rurales du département. L'étude a porté sur 1 100 dossiers, elle indique la répartition suivante au regard de la profession exercée par le père
ouvriers et personnel de service 36 %
‑ employés et personnel de bureau 28,2 %
‑ artisans, commerçants 6,3 %
‑ enseignants 4,5 C%)
‑ professions libérales, cadres supérieurs 6,6 %
‑ milieux agricoles, 4,7 %
dont 3,7 % d'exploitants
1 % de salariés agricoles
‑ parents en invalidité, chômage, retraite 12,7 %
renseignements incomplets 11 %
CHAPITRE 6
QUE SE PASSE-T-IL AU C.M.P.P. ?
LA DEMANDE PERSONNELLE DE LA FAMILLE
Quel que soit le symptôme, quelle que soit la voie par laquelle les familles ont été orientées vers le centre : médecin, enseignant, psychologue, assistante sociale, amis ou connaissances, il est souhaitable que les parents ou les responsables de l'enfant expriment eux-mêmes leur demande de consultation. Il arrive parfois que ce soit l'adolescent qui fasse la démarche en son propre nom. Le téléphone, la lettre, la visite sont les moyens utilisés. Suivant les services, la secrétaire d'accueil ou l'assistante sociale de permanence, voire une autre personne, enregistre cette demande.
Ecoutons, prises sur le vif, les expressions utilisées par les familles, lors de la première démarche.
Certaines expriment l'inquiétude : «On n'arrive plus à l'élever... il est violent, malhonnête et méchant... Elle n'est pas comme tout le monde... Il est anxieux de ne pas réussir... Elle refuse d'aller à l'école... Il a un comportement bizarre... L'enfant a été perturbé quand sa mère s'est mariée...»
D'autres reflètent l'embarras à travers un vocabulaire stéréotypé : «Il y a de gros problèmes avec lui... Elle a des problèmes d'écriture... Il y a un petit blocage...»
Parfois la gêne empêche même d'indiquer le motif.
— D'autres encore utilisent des termes précis et limités : « Elle ne parle pas... Il est super-nerveux... Est-il un vrai gaucher... Il prononce mal les "s" et fait pipi au lit... Il s'arrache les cheveux... Elle suce tout le temps son pouce... Il vient de changer de classe à l'ancienneté... Il n'apprend pas à l'école...»
Ces expressions initiales n'indiquent pas toujours le motif réel de la consultation. Celui-ci peut rester camouflé et n'apparaître que lors des entretiens suivants.
PREMIERS ENTRETIENS
Dès la démarche des parents au C.M.P.P., dans la mesure du possible, un rendez-vous est donné pour un premier entretien.
Qui vient à ce premier rendez-vous ?
En grande majorité, c'est la mère, assez souvent le père l'accompagne ; plus rarement le père vient seul. Exceptionnellement, c'est un autre membre de la famille.
L'enfant accompagne généralement le ou les parents. Ceux-ci peuvent être entendus seuls d'abord, puis l'enfant seul à son tour ; ils peuvent également être reçus tous ensemble. S'il s'agit d'un grand adolescent ou d'un jeune adulte, le premier entretien peut avoir lieu avec lui seul.
Qui assure le premier entretien au c.m.p.p. ?
La variété des C.M.P.P. s'exprime dans l'organisation originale de chaque service.
Tel C.M.P.P. souhaite que ce soit un médecin psychiatre, tel autre le demande à une assistante sociale ou à un psychologue, tel autre encore à un pédagogue spécialisé ou à un rééducateur suivant le symptôme annoncé. Il est vraisemblable que la fonction de l'interlocuteur induit les parents à s'exprimer dans un registre correspondant à la profession de celui-ci. Quoi qu'il en soit, la façon dont les parents disent leurs soucis et la tonalité affective dans laquelle ils vont parler spontanément de leur enfant, sont essentielles à la compréhension des difficultés.
Au cours de l'entretien, les moments marquants de la vie familiale et son organisation actuelle sont indiqués. Il ne peut y avoir d'interrogatoire strict. Le discours spontané des parents aidés de quelques brèves remarques de la part de l'interlocuteur situe la place de l'enfant et son histoire par rapport à celle du groupe familial.
La vie de l'enfant est retracée d'abord dans les circonstances de la grossesse, de l'accouchement, du développement psychomoteur; elle se raconte aussi avec l'organisation de vie de sa première enfance, les éventuels placements nourriciers, les modes de garde, les séparations d'avec les parents, les maladies, les interventions chirurgicales. On notera la conduite de l'enfant et la réaction des parents face à l'alimentation, aux habitudes de sommeil, à l'établissement de la propreté, du langage, à l'acquisition de la marche et de la maîtrise motrice.
L'histoire du groupe familial apparaît à travers les naissances, décès, changements de vie professionnelle, difficultés matérielles, soucis éducatifs, déménagements, séparations, divorces, maladies graves touchant un membre du groupe. La chronique des générations précédentes apporte aussi, lorsqu'elle est spontanément donnée, un éclairage essentiel sur la dynamique familiale actuelle.
Le comportement habituel de l'enfant avec son père, sa mère, ses frères et sœurs se dessine : il existe peut-être un autre personnage proche (grand-mère, oncle, marraine, nourrice...), qui a joué et assure encore auprès de lui un rôle important. Comment le garçon ou la fille se comporte-t-il vis-à-vis de lui-même, de son corps? Quelles sont ses habitudes, ses rites, sa façon de jouer seul ou non, ses activités spontanées, ses peurs éventuelles, ses bizarreries possibles ?
La scolarité est reprise sous divers aspects : adaptation à l'école maternelle, attitude vis-à-vis de la maîtresse et des autres enfants, passage à la grande école avec les modalités réussies ou non d'apprentissage de la lecture, de l'écriture, du maniement du calcul. Comment vit-il le moment de la récréation, de la cantine? A-t-il redoublé ses classes ? Y a-t-il eu sympathie habituelle ou non entre ses pédagogues et lui ? Que fait-il en dehors de l'école ?
Il peut sembler bien long d'expliciter ici tous ces renseignements alors qu'ils sont obtenus en quelques phrases exprimées par la mère ou le père. C'est à travers eux que se dessinent les premiers repères permettant de comprendre la situation de l'enfant. Pour chaque consultant, c'est une découverte nouvelle à faire à travers les mots, les expressions du discours des parents et de l'enfant. Espoirs déçus, efforts tendus vers le but qu'on s'est fixé, angoisse de l'avenir, conviction d'incompétence ou de toute-puissance, sentiment de culpabilité, découragement, reviviscence de blessures affectives
anciennes non guéries. Tous ces apports ne peuvent se faire en un seul entretien. Plusieurs rencontres sont habituellement nécessaires parfois avec la même personne du C.M.P.P., parfois avec d'autres, comme nous allons le voir.
Les parents précisent qu'ils viennent «seulement» pour une énurésie nocturne durable ou pour des fautes notoires d'orthographe. Il faut donc prendre le temps et le meilleur moyen pour expliquer comment cette difficulté ponctuelle ne peut se comprendre qu'en fonction du potentiel évolutif propre à l'enfant cheminant dans son histoire personnelle et familiale.
Ces premières entrevues donnent-elles dans tous les cas un panorama assez complet de la scène sur laquelle évolue l'enfant ? Peut-on saisir l'anamnèse précise de l'action qui se joue sur cette scène? A l'évidence, non. Plus d'une fois il faudra respecter un discours parcellaire focalisé sur un seul point, et permettre aux parents tendus et inquiets de taire éventuellement ce qui leur est pénible. C'est aux interlocuteurs du C.M.P.P. de les amener à percevoir ce qu'il leur paraîtra important de communiquer à propos de leur enfant et d'eux-mêmes.
La personne qui reçoit les parents et l'enfant ne reste généralement pas un auditeur neutre et impassible. D'une part, il peut être sensible aux émois de son interlocuteur et se trouver pris dans une contagion émotionnelle : il est bon qu'il soit attentif à ses propres réactions. D'autre part, son allure d'homme ou de femme, sa façon d'écouter, de reprendre un mot, de poser une question, induit inconsciemment chez celui qui lui parle la projection d'images parentales anciennes. La personnalité de l'intervenant et son «savoir écouter» jouent un rôle aussi important que sa profession.
EXAMENS ET BILANS
Cette consultation donne souvent lieu à un complément d'investigation afin de mieux connaître l'enfant dans ses capacités, ses insuffisances, sa façon de réagir à l'intérêt qui lui est porté. Suivant les cas, des bilans peuvent s'avérer utiles, voire indispensables.
Le bilan psychologique apprécie les aptitudes intellectuelles, les grands traits structuraux de la personnalité, le degré de maturité du développement affectif, l'importance de l'inquiétude et de l'angoisse dans leurs modes d'expression.
Le bilan psychomoteur permet à l'enfant de montrer comment il utilise son corps et s'il en retire malaise ou agrément. Les principales fonctions étudiées sont la motricité globale (marcher, courir, sauter, grimper, se tenir en équilibre), l'habileté segmentaire (au niveau de la main et des doigts, par exemple), la dominance latérale, le tonus de posture et de mouvement, l'orientation dans le temps et l'espace, le sens rythmique, la coordination entre la commande du mouvement et son exécution.
L'examen orthophonique vérifie le langage oral. L'enfant a-t-il envie de parler ? Entend-il bien ? Est-il gêné dans son expression par une mauvaise articulation, un bégaiement, un vocabulaire pauvre, une mauvaise organisation de la phrase ? Ce bilan juge aussi la qualité du langage écrit : lecture, dictée de sons, orthographe, aisance à utliser des symboles et à exprimer sa pensée dans un texte libre. L'examen peut être l'occasion de situer le niveau de connaissances scolaires en y adjoignant le contrôle des notions d'arithmétique et de calcul.
L'examen médical. L'usage qui en est fait varie suivant la formation et le rôle du médecin dans l'équipe du C.M.P.P. Il peut s'orienter vers l'appréciation de l'état somatique, du niveau d'évolution neurologique et vers le dépistage d'infirmité organique, motrice ou sensorielle. Il est attentif, sur un autre registre, à repérer les éléments marquants de l'histoire de l'enfant dans la narration familiale et à saisir la dynamique relationnelle en jeu. L'indication d'un traitement ou l'abstention d'intervention par le C.M.P.P. se décide en commun sous la responsabilité du médecin, qui en est le garant devant les instances sociales de contrôle.
L'assistante sociale joue dans certains centres un rôle clé de coordination des actions engagées pour l'enfant. Elle assure parfois le premier entretien. C'est souvent elle qui prendra contact, si nécessaire, avec des intervenants extérieurs concernés par les familles. C'est elle qui rappelle les réalités quotidiennes de vie des familles : habitat, niveau de vie, mode de déplacement, voisinage, conditions de travail, ambiance d'une école, d'un quartier, coutumes de groupes professionnels ou ethniques.
RÉUNION DE SYNTHÈSE
La connaissance de l'enfant resterait morcelée et subjective sans la réunion de synthèse, pierre angulaire du diagnostic et de la décision thérapeutique.
Les personnes qui ont reçu l'enfant et sa famille au cours des rencontres initiales vont tenter d'élaborer en commun une compréhension plus approfondie du motif de la consultation et de la signification des symptômes : ainsi se dégage l'indication d'un traitement ou l'opportunité de n'en pas entreprendre.
Mais alors une question se pose : qu'est-ce que traiter ou soigner un enfant? «Traiter, nous indique le dictionnaire, est la manière de conduire une maladie à effet, soit de la guérir, soit d'en diminuer le danger, soit d'en calmer les souffrances qu'elle cause, soit d'atténuer ou de dissiper les suites qu'elle peut entraîner. »
Peut-on parler de maladie pour les situations difficiles entendues au C.M.P.P. ? « Est malade celui qui se trouve en mauvais état, dont la santé est altérée, celui qui est déréglé dans ses fonctions ou altéré dans sa constitution, celui dont l'activité et le fonctionnement sont gravement compromis. »
Raoul, 8 ans, vient en raison de relations difficiles avec ses parents et d'une scolarité mauvaise. Il déchiffre un jour sur le mur du centre : « Caisse primaire d'assurance maladie » et s'insurge violemment : «Mais moi, je ne suis pas malade. » Le vrai malade était en effet son entourage.
ANALYSE DE LA DEMANDE
Le travail d'élaboration mené lors de la synthèse par l'équipe de C.M.P.P. tient compte de trois postulats fondamentaux :
Le symptôme ne constitue pas en lui-même la maladie du sujet : c'est un signal indiquant une incidence évolutive dans la vie personnelle. Il a une signification particulière dans son comportement qui résulte de la conjonction entre son équipement originel, physique et pulsionnel, et son histoire. Le symptôme est le mode d'expression de l'enfant.
La personnalité d'un enfant doit être appréhendée dans sa globalité, dont ne peut rendre compte une approche partielle telle que : enfant-parlant-mal, enfant-énurétique, enfant-instable, enfant-mauvais-élève, etc. De plus, il ne peut être considéré en situation statique, mais inséré dans les mailles multiples du réseau de relations interpersonnelles où son existence s'est déroulée et continue de se tisser.
3. L'enfant et l'adolescent sont, par essence, des êtres en devenir et en transformation. Cette évolutivité permet, plus qu'à tout autre âge, des remaniements dans leur organisation fonctionnelle et leur adaptation.
DÉCISION THÉRAPEUTIQUE
Sur quels arguments poser l'indication thérapeutique? Elle se dégage à travers la recherche des causes originelles dans l'enfant et en dehors de lui, la répercussion du symptôme dans sa vie et dans celle de son entourage, le souci d'apporter une aide à celui ou à ceux qui souffrent le plus, la possibilité de la réaliser suivant le degré de coopération des interlocuteurs.
Toutes les consultations du C.M.P.P. ne donnent pas lieu à la mise en route systématique d'un traitement.
— Soit que les premiers entretiens et examens aient déjà été thérapeutiques en provoquant une reprise évolutive dynamique dans une situation momentanément figée. Ce fut le cas pour Pierrette.
La mère de Pierrette, Mme N., vient sur les conseils de voisins qui connaissent le C.M.P.P. Depuis l'âge de 6 mois, sa fille, qui a maintenant 17 mois, hurle toute la journée. Les cris perçants, non accompagnés de pleurs, se déclenchent dès que sa mère ne s'occupe plus d'elle ; ils redoublent lorsque sa sœur aînée, 3 ans, retient l'attention de sa maman. Aucune personne étrangère ne peut l'approcher, elle refuse de manger, d'aller sur le pot ; elle hurle le soir, jusqu'à ce qu'elle obtienne d'aller dans le lit de ses parents. Personne d'autre que sa mère ne peut la prendre dans les bras.
Mme N. est à bout de patience ; elle pense que sa fille est folle d'autant plus que ses proches ne cessent de le lui dire : famille paternelle, employeur de son mari, voisinage.
L'assistante sociale de l'équipe de consultation reçoit rapidement M. et Mme N. De milieu rural simple, M. N., mal à l'aise,
parle très peu ; mais Mme N. exprime sa souffrance inquiète et son épuisement ; elle demande comment faire.
Les parents sont reçus par le pédopsychiatre. En présence de Pierrette des confidences s'ébauchent. Mme N., orpheline de bonne heure, a été élevée par une nourrice de l'Assistance publique, puis mise en pension ; le jeune couple s'est marié peu de temps avant la naissance de leur fille ; la maman aurait souhaité un garçon ; le père a peur de toucher à ses enfants ; ils craignent d'être mal jugés par leur entourage familial d'autant plus que l'on compare avec d'autres petits neveux du même âge.
Les parents redisent leur crainte que cette fille soit anormale ; un bilan d'évolution est demandé à un psychologue. Pierrette marche seule depuis ses 12 mois, monte et descend les escaliers, commence à dire quelques mots et extériorise un développement tout à fait satisfaisant. La mère se détend peu à peu devant ce constat.
Une nouvelle rencontre entre parents, enfant et médecin a lieu deux mois après le bilan psychologique. Pierrette est beaucoup moins agitée ; les parents sont confiants ; le calme revient, Mme N. peut attendre, rassurée, un troisième enfant.
Soit que les parents, l'enfant ou l'adolescent indiquent d'une façon répétée leurs réticences à venir; avant que l'on ait pu en comprendre les mobiles ou le sens.
Soit que la situation semble bloquée à tel point qu'on ne pourrait contribuer à la modifier sans que l'organisation relationnelle tout entière soit mise en péril, avant que chacun ait pu modifier son rôle.
Parfois une orientation vers un établissement spécialisé se décide.
— Lorsque l'enfant doit bénéficier d'un accueil quotidien dans
un milieu éducatif adapté.
Les parents de Jacky, 4 ans, nouvellement arrivés dans la région, viennent demander conseil pour ce garçon, petit de taille, qui ne parle pas et dont les premières semaines de vie se sont déroulées en milieu hospitalier en raison d'une atteinte vertébrale. L'enfant a été examiné médicalement à plusieurs reprises, mais les parents restent seuls et désemparés devant son retard d'évolution. L'examen de Jacky, plusieurs entretiens avec les parents permettront de faire comprendre à ceux-ci l'intérêt de l'orienter vers le jardin d'enfants spécialisé de l'i.M.E. proche.
— Lorsqu'une situation conflictuelle se prolonge ou s'intensifie.
Mme C, belle-mère de Martine, l'a accueillie avec ses deux frère et sœur, lors du remariage de leur père. La fillette a maintenant 10 ans, et son comportement est devenu insupportable à la maison. Elle salit non seulement sa culotte, mais barbouille de ses selles rideaux et dessus-de-lit. Mme C. est d'autant plus affectée qu'elle a essayé de faire de son mieux pour apaiser l'agressivité de la fille de son mari ; mais en vain. Le père, artisan, a des soucis professionnels et n'est pas très disponible. Un premier essai de mise en pension scolaire, il y a un an, a amené une situation encore plus difficile à la maison et en classe. Une proposition de cure ambulatoire au C.M.P.P. a été faite, mais impossible à réaliser du fait de l'éloignement et des conditions de travail du père. Un nouvel appel de Mme C. est enregistré huit mois après ; elle n'en peut plus. Martine semble mieux prête à comprendre qu'il y a des gens qui lui portent attention et cherchent une solution d'apaisement. La famille a déménagé. Il y a près du nouveau domicile un établissement qui la recevrait interne du lundi au vendredi ; là, elle va pouvoir mettre en action ses bonnes capacités en dehors d'une situation de conflit et faire l'expérience de relations positives avec des adultes.
— Il arrive que le C.M.P.P. soit amené à jouer un rôle de tiers lorsqu'un sujet fréquentant déjà un établissement spécialisé nécessite la prescription d'un traitement extérieur à l'établissement, ou lorsque des difficultés surgissant au décours d'un séjour ont mis l'institution d'accueil dans l'impossibilité de les résoudre seule.
Fabien a 15 ans, lors du premier entretien en octobre 1974. C'est un garçon fluet, hypotrophique, très instable, inquiet, au contact fuyant.
La psychothérapie est demandée par I'i.m.p. de B. où Fabien s'enferme de plus en plus dans des activités stéréotypées, jeux de petites voitures, dessins de voitures, d'ambulances, d'accidents. Toutes les voitures sont cabossées, cassées. Il y a un blessé, un mort peut-être, la police. Un compteur kilométrique ne quitte pas la poche de Fabien, il lui fait parcourir des kilomètres imaginaires, il mesure le temps sur une montre cassée. Rien n'intéresse Fabien
en dehors de ses fantasmes hermétiques à tous. Il est le petit Fabien qui a peur et qui fait faire pour lui.
L'hypothèse de travail porte sur les éléments suivants. Jeune garçon vivant dans l'imaginaire, sans points de références sur son historicité, sa vie commence dans la prématurité. Sa mère, très fatiguée, meurt cinq mois après sa naissance d'une hépatite virale. C'est un enfant fragile : il a souffert à la naissance, est hypoto-nique, a un strabisme prononcé à droite. Jusqu'à l'âge de 13 ans, il a connu des placements successifs, nombreux, peu structurants, dont un an à la Salpêtrière. C'est «une dame médecin» qui, l'y voyant sans but et psychotique à expression déficitaire, l'a conduit à I'i.m.p. Gros troubles temporo-spatiaux. Scolarité impossible.
Fabien a peu de contacts avec son père, veuf, qui vit avec une dame qui a elle-même quatre enfants. Un frère, Joël, est resté au foyer.
Dans I'i.m.p. à petit effectif, chaleureux, dirigé par un couple qui affectionne Fabien, une continuité se construit pour lui. C'est par le désir de Mme J., co-directrice, qu'il est encouragé à venir au centre. Pendant tout le temps de la psychothérapie, Mme J. accompagne Fabien. Elle est la mémoire, la référence du vécu de Fabien, l'éducatrice responsable, celle qui reçoit les confidences, encourage ou n'est pas d'accord. Elle a un mari, directeur, qui est solide, sportif. Un vrai homme pour Fabien. L'équipe éducative est d'accord pour ce traitement qui a été décidé en commun, Le Dr R., médecin du C.M.P.P., est d'accord pour l'entreprendre.
Tous ces «accords» cohérents d'adultes qui parlent entre eux et avec lui, de Fabien, permettront de laisser surgir une vraie parole de Fabien dont l'évolution en quatre ans va nous étonner. Voici les étapes successives :
1. Resituer Fabien dans son histoire. On recherche les photos, les dates, on écrit l'arbre généalogique. La famille de Fabien, qui ne s'est jamais dérangée, participe à la recherche des photos. Fabien produit pour ses séances de psychothérapie dessins et modelages. Le symptôme obsessionnel des voitures, ambulances, accidents, bosses et déchirures s'estompe peu à peu, lorsque les interprétations sont données à des plans différents :
- La thérapeute a toujours des accidents, elle meurt-meurt pas. Maman est bien morte, pourquoi s'attacher?
b) Fabien pendant un an se demande s'il va mourir à l'hôpital au-dessus du garage des ambulances, seul lieu vivant en haut de l'hôpital.
c) Fabien aime et se reconstruit, il a plein de «bosses» au cœur, mais il est solide, il l'a montré, il a un bon moteur, il a la possibilité de faire plein de choses. Pourquoi ne pas essayer ?
2. Reconstruction narcissique, angoisse de castration sont le deuxième temps d'expression de la thérapie.
Les liens entre l'institution, Mme J., directrice toujours fidèle par sa présence et sa mémoire aux séances, et Fabien, permettent d'effectuer un grand pas en avant lorsqu'on s'aperçoit que l'institution répète un symptôme névrotique de Fabien : il est le petit Fabien ; dans le dortoir des petits ; il a toujours des culottes courtes à 14 ans ; on le considère incapable.
Dans l'année, il apprend à lire, écrire, à faire des plans de construction d'une salle de sports. Il a des costumes jeans. Il s'habille en jeune garçon à la mode. On s'aperçoit qu'il est moins phobique du regard, s'inquiète de savoir s'il plaît... Mais toujours existe ce strabisme qui fait qu'on l'appelle « neuneuil » ; et « neu-neuil ! » c'est comme Mongol, c'est comme idiot. Proposition d'une opération du strabisme, très chaleureusement soutenue. Courage récompensé de Fabien car il est devenu beau, un regard droit derrière ses lunettes le rend plaisant.
En thérapie, il exprime ses désirs sexuels, s'il touche les seins de son éducatrice, c'est pour savoir, non ? Il voudrait bien voir aussi. Il voudrait bien dire : «t'es mignonne», mais il va se faire « rembarrer ».
On construit un pavillon proche de I'i.m.p. dans l'enceinte même de celui-ci. Un jour, Fabien tond la pelouse devant le pavillon. Lui qui est «maladroit», dans la lune, toujours à la traîne (l'ancien neuneuil) est le premier à voir de la fumée sortir de la pièce principale. Grâce à sa rapidité, le feu est arrêté très vite. Les pompiers sont prévenus, tout le monde fait la chaîne. La maison est sauvée. Il a sauvé la maison de M. et Mme J. ; seule une pièce a brûlé, c'est un petit qui avait joué avec le feu. Fabien est profondément bouleversé. Il existe, il a pu être un homme utile pour ceux qu'il aime.
Alors pourquoi ne pas faire des projets, il reviendra dans cette maison, mais il est nécessaire qu'il exerce un métier. Il travaille chez un horticulteur; «il fait mieux et il est plus méticuleux que moi pour les repiquages», dit le patron.
Alors son père se manifeste : «Fabien existe, travaille : qu'est-ce qu'il fait encore dans cette maison de fous ? » Il va lui trouver une place comme employé à la ville de Paris, chargé du jardinage. Il a un ami — il a du pouvoir — il est chauffeur d'une ambassade d'Afrique.
Et Fabien rêve, mais agit. La thérapie s'arrête avec les vacances. Il reviendra un jour quand il pourra, mais combien coûte le train ? Peut-être qu'il sera peu payé au début ? «T'en fais pas, Mme R., dit-il à la psychothérapeute, je te conduirai en voiture quand tu seras vieille. »
Cette thérapie, brièvement résumée, paraît intéressante pour situer le rôle d'un centre, lieu d'une autre parole, d'un désir qui s'exprime, chez un enfant qui vit en institution dans une grande souffrance des frustrations antérieures et du besoin de se reconstruire comme unique et désiré dans la collectivité qui l'accueille.
- L'institution a besoin d'être aidée par un thérapeute qui joue le rôle d'une personne « en plus » permettant d'éviter le risque de fusion affective d'un enfant et de l'éducateur — ou de scotomisation des traumatismes banalisés par leur expression dans des stéréotypes dont on a oublié l'histoire.
- L'enfant a besoin d'un lieu, d'une parole totalement libérée et secrète, s'il le désire, mais qui peut aussi se partager entre lui, le thérapeute et l'éducateur de référence porteur de la mémoire de l'histoire de l'enfant. Il est toujours présent quand l'éducateur est là. Il sait qu'il ne sera pas trahi.
- Ce type d'intervention psychothérapique (hors de la présence des parents : mère morte, père allergique aux psychiatres et qui ne se déplace pas pour venir les rencontrer) permet d'éviter, nous pouvons l'espérer, l'évolution psychotisante des enfants, dont l'histoire morcelée laisse tant de restes perdus où ils se perdent eux-mêmes.
Le plus souvent, faisant suite aux premières rencontres, le C.M.P.P. va jouer pleinement son rôle de cure ambulatoire. L'enfant ou l'adolescent reste dans son milieu de vie habituel et vient sur rendez-vous fixé d'un commun accord pour un traitement. Celui-ci est poursuivi à un rythme et pour une durée adaptés à chaque situation.
CHAPITRE 7
LES MOYENS THÉRAPEUTIQUES DU C.M.P.P. ?
Le C.M.P.P. agit tant auprès de l'enfant que de ses parents. Ses interventions se déroulent à l'intérieur du C.M.P.P., et s'étendent souvent à l'extérieur des murs du centre, engageant une coopération avec d'autres personnes présentes dans d'autres milieux de vie de l'enfant et susceptibles d'entrer en jeu pour lui et ses proches.
Modes d'approche thérapeutique s'adressant à l'enfant
A travers une relation privilégiée avec un adulte «soignant», l'enfant va le plus souvent pouvoir exprimer, sur un mode direct ou indirect, ce qui ne se passe pas bien pour lui. Il va en même temps faire l'expérience de ses possibilités d'expression personnelle et prendre la mesure progressive de ses capacités dans une relation nouvelle constructive.
Qu'il nous suffise de mentionner sur le mode d'un tableau (cf. tableau II p. 89) les principales formes d'interventions utilisées, car elles sont suffisamment connues à l'heure actuelle où les C.M.P.P. atteignent l'âge de la maturité. Ces modalités d'interventions sont celles de la plupart des équipes de soins dans le champ de la pédopsychiatrie et de l'enfance dite inadaptée.
Nous trouvons les divers types de rééducation qui s'adressent d'une façon privilégiée :
— soit au corps de l'enfant : psychomotricité, éducation gestuelle et rythmique, kinésithérapie ;
- soit au langage parlé et à l'expression écrite : orthophonie, méthode Borel-Maisonny, méthode Chassagny, pédagogie relationnelle du langage (p.r.l.) ;
- soit aux acquisitions scolaires : pédagogie spécialisée de l'apprentissage de la langue écrite, du calcul et du maniement du raisonnement logique mathématique.
Les interventions visant à favoriser l'expression de l'enfant sont représentées par :
- les activités d'expression libre pour les jeunes enfants, où ceux-ci disposent d'un matériel propice aux goûts de leur âge : jeux d'eau, peinture, modelage, marionnettes, activités manuelles utilisant papier, tissu, crayons, pâte à modeler...
- les groupes d'expression pour adolescents mettant en jeu l'expression corporelle, l'activité manuelle ;
— la musicothérapie, d'utilisation plus récente.
La psychothérapie est utilisée dans la plupart des C.M.P.P. Le plus souvent d'inspiration psychanalytique, elle s'adresse soit au sujet seul, soit au jeune enfant associé à sa mère, parfois à l'enfant accompagné de ses parents. Elle donne lieu également à des groupes de psychodrame.
Actuellement les techniques de thérapie familiale tendent à se développer. Les thérapies comportementales suscitent des prises de position controversées selon l'utilisation qu'en font certaines équipes soignantes.
Rééducation, atelier d'expression, psychothérapie, chaque type d'action thérapeutique se fait soit en relation individuelle, soit en petit groupe, suivant l'opportunité présumée pour chacun. Les séances durent en moyenne de 30 à 60 mn selon chaque situation ; le traitement peut être de courte durée, quelques mois, ou s'étendre sur plusieurs années.
Pour mieux comprendre comment chacune de ces techniques est utilisée, nous avons choisi d'en parler à travers plusieurs histoires de consultants suivis en C.M.P.P. Les récits de cure ambulatoire vont mettre en action ces moyens d'aide très diversifiés. Chaque centre peut avoir une certaine dominante thérapeutique par laquelle s'exprime son originalité. Celui-ci est plus équipé pour assurer rééducation orthophonique et psychomotrice ; celui-là dispose de pédagogues et d'éducateurs spécialisés ; tel autre a particulièrement développé les possibilités de psychothérapie individuelle ou de groupe.
Il n'y a pas de distributeur automatique de traitement en réponse à un coup pour coup symptomatique. A des enfants présentés par exemple pour lecture et orthographe défectueuses, il ne sera pas obligatoirement proposé au départ une rééducation de la «dyslexie». Mais peut-être à l'un des activités d'expression libre, à l'autre une rééducation psychomotrice, à cet autre encore une psychothérapie sous forme d'échange verbal ou ludique.
La maîtresse d'école maternelle constate que Béatrice, 5 ans, ne comprend pas ce qu'on lui dit, et parle mal. En ces termes, les difficultés de l'enfant relèveraient spécifiquement d'un examen orthophonique. Pourtant, au cours du premier entretien, la mère dépasse le strict domaine du langage et décrit sa fille comme assez renfermée. « Il faut la prendre, dit-elle, avec douceur. » Elle-même se reproche de ne pas savoir s'y prendre avec ses trois enfants. Elle est très liée à sa fille et «traduit» au père et aux grands-parents paternels les mots déformés de Béatrice. Cette jeune femme, sensible, souhaiterait que son mari s'occupe davantage des enfants, surtout de son aînée et d'elle-même.
Les examens faisant suite au premier entretien confirment le retard du langage et l'inhibition globale de la fillette. Ses aptitudes intellectuelles sont normales, mais il faut l'aider à soutenir son effort d'attention ; les tests projectifs soulignent l'immaturité affective et l'annulation de l'imaginaire ; il n'y a pas de perturbation dans l'organisation de la personnalité. Au cours du bilan psychomoteur, fait par un homme, Béatrice se révélera très inhibée dans l'exécution des gestes, alors qu'il n'y a aucune atteinte neuromotrice.
L'abord global des difficultés paraît souhaitable. On propose une rééducation psychomotrice. Bien que ce traitement ne vise pas directement le symptôme principal pour lequel ils sont venus consulter, le père et la mère semblent d'accord.
Béatrice vient très régulièrement au centre au rythme d'une séance hebdomadaire. Son père l'y conduit. Nous sommes en janvier. Très bloquée dans son initiative motrice, la fillette pose d'emblée des distances par rapport au rééducateur : ne pas s'approcher de plus de deux mètres, mais ne pas s'écarter trop loin non plus. Acceptant, de règle, ce jeu de distance, le travail ne s'avère pas aisé d'autant que Béatrice ne répond généralement pas aux sollicitations.
Quelque temps après, le père se montre exigeant quant aux horaires. De cette manière indirecte s'exprime son doute quant aux résultats de notre entreprise. Il n'y croit pas. Dès lors apparaissent explicitement, chez les deux parents, des options discordantes : le père se demande pourquoi continuer ; la mère insiste pour une poursuite.
Pourtant, mise en groupe, la fillette évolue rapidement. Rivalisant avec un garçon du groupe, elle entre dans une relation dynamique avec le rééducateur et rejette les règles de distance posées avec tant de rigueur lors des premières séances. Béatrice montre alors un intérêt certain à venir, ce qui ne manque pas de sensibiliser le père. Les réticences paternelles finissent par s'exprimer de façon directe ; il en arrive à parler de sa peur de voir sa fille changer.
En septembre, Béatrice passe en c.p. Quelque deux mois plus tard, la mère parle timidement de l'évolution favorable de sa fille. L'école souligne par ailleurs une grosse amélioration ; la rééducation psychomotrice se poursuit.
Béatrice, en séance, joue, invente et pose de nouveaux décors : l'espace, jusque-là réduit, s'élargit et se subjectivise en un imaginaire riche en détails, codifié dans un langage de plus en plus coloré. Avec plus d'aisance et de spontanéité, elle se permet d'entrer dans le vif de l'action, développant par-là même ses capacités d'expression motrice, restées jusque-là silencieuses.
Béatrice change, elle devient active, se met à parler, ce qui ne manque pas de solliciter l'entourage proche de l'enfant et jusqu'aux grands-parents. Le père reconnaît, de son côté, les progrès de sa fille qui obtient dès lors une place plus confortable dans la vie familiale. En effet, au cours d'un bref entretien avec le rééducateur, le père avoue combien il lui a toujours été difficile de s'intéresser aux petits enfants et surtout combien il s'est toujours senti plus à l'aise avec les garçons avec qui il est, par exemple, plus facile de faire du sport.
Les progrès de Béatrice ont donc permis au père de porter sur elle un autre regard. Cela s'est concrétisé en fin de traitement lorsqu'à plusieurs reprises Béatrice a demandé à son père de venir participer aux séances de psychomotricité. Au printemps suivant, Béatrice n'a plus besoin de venir au centre.
Aide apportée à la famille
Dans presque tous les cas, l'intervention auprès de l'enfant s'intrique et entre en résonance avec l'aide apportée à ceux qui sont venus consulter pour lui.
La venue des deux parents, père et mère, est sollicitée dès les premiers rendez-vous lorsqu'elle est possible. Parfois viennent les substituts parentaux chargés de la responsabilité de l'enfant.
En cours de déroulement du traitement, d'autres entretiens sont proposés aux parents, ou bien ceux-ci les sollicitent d'eux-mêmes. Ils sont reçus soit par le thérapeute de l'enfant, soit par un autre intervenant en laissant le choix de l'interlocuteur s'établir avec souplesse. Parfois, il n'est pas opportun que la personne s'occupant de l'enfant entende également ses parents. Ceux-ci abordent souvent spontanément leurs problèmes personnels actuels et antérieurs.
Le rôle de leur interlocuteur n'est pas de mettre en évidence un coupable, mais d'aider chacun à mieux se situer dans la jungle de sentiments contradictoires dont la majeure partie reste inconsciente : agressivité, rejet, surprotection, jalousie, désir de possession viennent parfois combler pour un parent une frustration affective ancienne non guérie.
Il ne sera souvent pas possible ni même souhaitable de retrouver la genèse des états d'âme de chacun des parents dans le cadre du C.M.P.P. Mais son intervention sera parfois suffisamment déterminante pour amener celui qui le désire à poursuivre, dans un autre lieu, ce travail bénéfique pour lui-même et pour l'enfant.
ORGANISATION DU TRAITEMENT
A l'intérieur du C.M.P.P.
La situation de l'enfant demande une seule modalité d'action thérapeutique : ce fut le cas de Béatrice. C'est aussi celui de Sarah.
Sarah, 6 ans 1/2, est amenée en consultation pour des troubles du comportement : agitation, dispersion et une perturbation du développement intellectuel.
Dans les entretiens d'accueil, assurés par un médecin, il est d'emblée fait mention d'un accident hypercalcémique de la petite enfance, qui aurait perturbé, voire suspendu, le développement psychomoteur de l'enfant, et qui est considéré comme étant à l'origine des difficultés. L'anamnèse révèle des troubles précoces de la relation mère-enfant, et l'examen évoque un état psychotique actuel chez Sarah. Ce diagnostic est confirmé par l'examen psychologique où l'on constate une absence de toute coordination de la pensée chez cette enfant : aucun résultat cotable, quant à l'efficience verbale ou de performance, n'a pu être obtenu.
A la synthèse de décision entre les différentes personnes ayant eu à connaître Sarah, il est envisagé un projet de psychothérapie individuelle, avec travail associé psychothérapique auprès des parents, et une orientation éventuelle suivant l'évolution, vers un institut spécialisé. Le pronostic reste incertain.
La psychothérapie est entreprise, qui dure près de quatre ans. Il s'y déploie un discours propre à cette famille, qui d'emblée dévoile le conflit essentiel du couple, et la façon dont l'enfant s'y est trouvée prise depuis le départ, c'est-à-dire avant même la naissance. Ce conflit, centré autour de l'activité professionnelle de la mère, divise profondément les époux, ou plus exactement commande leur style particulier de rencontre dans le déchirement.
Une tension anime donc ce couple qui a déjà deux enfants. Avec la naissance de Sarah, souhaitée, voire imposée par le père, et survenue au moment où la mère s'apprête à reprendre son activité professionnelle interrompue par la naissance des aînés, le problème semble « résolu de fait » : la mère arrêtera à nouveau de travailler pendant deux ans. Mais les difficultés surgissent autour de l'enfant. Difficultés de l'enfant, et difficultés du couple se rencontrent, s'intriquent, et font littéralement de Sarah le lieu d'affrontement des désirs contradictoires et solidaires de ses parents, à leur insu.
Vœux de vie et vœux de mort se cristallisent dans cet accident hypercalcémique, cette production de l'inconscient, où le pédiatre prescrira au bébé du calcium en dose adulte, le pharmacien le délivrera et la mère, infirmière, l'injectera. Le destin aura franchi à trois reprises ces trois barrages successifs, dont la mère n'est pas le moindre. Sarah étant donc devenue le lieu par excellence où différents discours se télescopent, ses processus identifïcatoires s'en trouveront hautement perturbés. Confondue dans sa mère pour commencer, elle finira par ne plus savoir qui elle est, et être à la fois tout le monde et personne. Le traitement consistera en une reconstruction symbolique de l'histoire de Sarah, qui se présentera longtemps comme «parlée par l'autre», littéralement «possédée» par des discours qu'elle tient, sans pouvoir les assumer en son nom propre.
Une longue élaboration se fera sur deux registres : discours de l'enfant et discours des parents, séparés et réunis aux points de rencontre nécessaires. Ce qui s'est traduit dans les faits par des séances de l'enfant seule, des séances de l'enfant en présence de ses parents, et des séances des parents seuls.
Du même pas, l'analyste est constitué comme ce point nodal, cette plaque tournante, vers quoi ces discours convergent, s'articulent et restent suspendus dans le secret à deux, à trois ou à quatre, avant qu'ils permettent, dans un effet de retour à l'envoyeur, à chacun des partenaires de se repérer à sa place et de s'y assumer. La reconstruction par la parole de l'histoire de Sarah nous aura ainsi conduits jusqu'à sa naissance, et au-delà, jusqu'aux désirs qui ont présidé à sa venue au monde.
A l'avant-dernière séance, elle demandera à sa mère, en présence de son père : «Pourquoi tu ne voulais pas de moi avant ma naissance ? » et la mère de répondre : « Ce n'est pas de toi que je ne voulais pas, je ne voulais pas être obligée de te vouloir, je voulais être libre dans mon désir de te désirer... »
L'intervention s'en tiendra là. Parents et enfant s'en iront, conscients des difficultés à venir, cependant que la possibilité d'une éventuelle reprise de contact dans l'avenir sera préservée.
Cette reprise a, en effet, lieu une année plus tard ; la demande en est motivée par des difficultés scolaires. Une jolie préadolescente, harmonieuse et agréable à vivre, acceptera de reprendre le travail entièrement en son nom, et s'emploiera durant deux ans à redéfinir et consolider ses repères identificatoires préalablement acquis.
Parfois, des actions concertées doivent être menées par plusieurs intervenants soit durant la même période, soit successivement, pour soutenir le dynamisme évolutif. L'histoire de Nicolas illusre ces aides plurielles qui doivent rester cohérentes entre elles.
Nicolas a 5 ans au moment du premier rendez-vous avec un neuropsychiatre du C.M.P.P. C'est un petit garçon souriant mais très instable et qui articule mal. Il est présenté par les parents nourriciers de 35 ans, de milieu ouvrier, qui sont désemparés par sa forte agressivité et des bagarres continuelles en classe.
Les origines familiales de Nicolas sont confuses. A un an, il a été abandonné par une jeune mère célibataire et a connu plusieurs placements nourriciers par la d.d.a.s.s. A 2 ans, il a été confié par jugement à une tante maternelle ayant déjà un fils de 8 ans. Dans l'acte d'abandon la mère a refusé qu'il prenne le nom des parents nourriciers.
Nicolas porte donc le nom d'une mère qu'il ne connaît pas et voit sa grand-mère maternelle et son oncle qui s'appellent comme lui. Depuis sa naissance il a eu trois prénoms.
Les premiers examens effectués au C.M.P.P. confirment son instabilité et son agressivité, ainsi que sa difficulté à se situer dans le réel. L'équipe consultante l'oriente vers une rééducatrice spécialisée pour un traitement dit d'expression libre.
Nicolas profite de ce traitement pendant quatorze mois à raison d'une séance par semaine mais n'investit pas ce lieu qu'on lui propose. Il apporte ses propres jouets qu'il utilise dans des jeux agressifs où l'expression verbale est toujours très importante. Ces évocations très incohérentes au début vont permettre d'approcher le problème que Nicolas se pose quant à sa situation dans sa famille. Plusieurs fois, il est amené à penser qu'il peut parler de tout cela avec sa mère. Pendant ce temps son comportement social s'est amélioré ; nous décidons l'arrêt du traitement et prévoyons des rencontres, tous les trois mois, de la famille avec le médecin.
Au cours d'une de ces rencontres, six mois après, la nourrice signale que Nicolas n'a pas acquis la lecture en ce. 1 d'adaptation. Un examen du langage écrit est pratiqué, suivi d'une nouvelle synthèse avec tous les intervenants et une rééducation de type «pédagogie relationnelle du langage» (p.r.l.) est décidée. Ce deuxième traitement durera dix-sept mois. Au cours de ces séances hebdomadaires, Nicolas est invité à s'exprimer en choisissant lui-même ses activités à travers un matériel ayant un support verbal ou écrit. Il parle beaucoup avec des réactions intelligentes. Ses jeux sont très violents (souvent avec des voitures). On relève des thèmes d'accident, de police, de prison. Dans les dessins reviennent des peurs de dévoration et des angoisses de mort (la mère est morte et le petit garçon risque d'être tué).
Un jour, il dit à la rééducatrice que son «frère» porte un troisième nom et demande à sa « mère » de donner des explications. Celle-ci précise alors qu'elle est divorcée d'un premier mariage, le père nourricier n'est donc le père d'aucun. Peu après, Nicolas souhaite que la rééducatrice connaisse ce «frère» et dans cette rencontre où la nourrice est présente, il parle de son adoption en disant que lui n'a pas été «dans le ventre de sa mère». Il semble reconnaître et accepter cette situation, d'autant plus qu'il découvre qu'il n'y a pas de différence entre lui et son « frère » par rapport au «père».
Petit à petit les jeux deviennent plus relationnels. Nicolas choisit souvent le jeu dit « de famille ». Il cherche à imposer sa loi et a un grand désir de gagner. De temps en temps, il choisit d'écrire des lettres, puis des mots. Il demande aussi à lire. L'intérêt scolaire commence à se manifester et la nourrice signale que l'institutrice est satisfaite. En fin d'année scolaire, il est admis au ce. 1 normal. A la rentrée la famille arrête l'intervention. Nicolas lit maintenant couramment. Il est allé en colonie de vacances et tout se passe bien. Au bout de six mois, la nourrice reprend contact avec le médecin. Nicolas recommence à être «terrible» en classe. Il est très violent, «c'est la bête noire ». A la maison, il est très opposant. Le médecin propose un nouveau bilan psychologique. Une visite en classe est faite par l'assistante sociale. Le psychologue qui revoit Nicolas constate des progrès à la fois dans le comportement face à la tâche et dans la réussite des activités, mais strictement scolaires. Il en fait part à la mère nourricière devant l'enfant en lui apportant des preuves tangibles. Au cours de cet entretien, Nicolas exprime spontanément, avec clarté, sa situation d'enfant «adopté». L'assistante sociale du centre, lors de sa visite en classe, déconseille l'orientation de Nicolas vers un établissement spécialisé. Son agressivité est mal supportée. Il a blessé un camarade et se trouve en «quarantaine» avec privation de récréation.
La reprise du traitement p.r.l. est positive.
Nicolas est très actif. Il exprime son désir d'être fort comme Zorro. Ses dessins sont centrés sur la guerre. Il parle beaucoup de bagarres et de peur des gendarmes. Il demande souvent à lire et à faire du calcul en disant que sa «mère» veut qu'il travaille. Son «père» est de plus en plus présent dans son discours.
A cette période, Nicolas écrit lui-même l'histoire qui correspond à un de ses dessins. Il est question d'un « garçon » perdu qui retrouve son chemin grâce à une gentille sorcière. Le texte est bon et l'orthographe correcte.
Une conversation semble également importante. La mère nourricière fait part à la rééducatrice de la jalousie de Nicolas par rapport à une cousine (fille de la sœur de la mère naturelle) ; « ce n'est pas ta fille», dit Nicolas.
A l'approche des vacances d'été, Nicolas exprime son désir d'arrêter la rééducation. «Je ne veux plus venir» dit-il, en ajoutant, «maintenant je comprends. ».
Il va avoir 9 ans et va passer en ce.2. La fin de l'intervention est donc décidée.
Ce compte rendu illustre la conception du travail d'équipe en C.M.P.P. auprès de l'enfant et de son environnement.
Auprès de l'enfant
C'est en l'aidant à s'exprimer et en étant attentif à son désir, dans une rencontre bienveillante, que Nicolas a pu se sentir reconnu comme sujet.
C'est aussi en favorisant le dialogue avec sa mère nourricière qu'il a entendu progressivement toute la vérité sur ses origines. Cela lui a permis de se situer dans sa famille d'accueil et de maîtriser son angoisse.
Auprès de la famille
Les entretiens des parents avec le médecin et la relation de la mère nourricière avec la rééducatrice (en présence de l'enfant) ont facilité la véritable insertion affective de Nicolas dans une acceptation réciproque, «mère-enfant», reconnue par des tiers.
Les reprises de contact de la famille avec le médecin, après de longues interruptions, ont permis la continuité du traitement.
Le dernier examen psychologique a pu rassurer l'enfant et sa nourrice.
Auprès du milieu scolaire
L'intervention de l'assistante sociale du centre a évité que Nicolas soit orienté vers un établissement spécialisé, ce qui aurait été un nouveau placement, dans son cas peu favorable au développement de la personnalité de l'enfant.
Les acquisitions qu'il a réussi à faire lui ont permis d'entrer en ce.2 et il semble qu'il ait maintenant une maturité suffisante pour poursuivre normalement sa scolarité.
À l'extérieur du C.M.P.P.
L'enfant n'existe pas uniquement par rapport à ses parents et aux membres de sa famille. Il passe aussi une grande partie de son temps quotidien à l'école. Parfois des services médico-sociaux se sont déjà occupés de lui antérieurement. S'il est porteur d'une infirmité physique le médecin traitant et le spécialiste l'ont suivi de façon plus ou moins prolongée et bien des paroles ont été dites à son sujet. Il peut avoir été confié à des parents nourriciers par le service d'aide à l'enfance de l'action sanitaire et sociale. Le milieu familial peut être en relation déjà avec une équipe éducative de milieu ouvert ou un service social.
Éric, 2 ans, est présenté par sa mère, âgée de 20 ans, sur le conseil d'un service éducatif en milieu ouvert qui s'est occupé de la jeune femme depuis trois années.
Ce jeune garçon né prématurément au terme de 29 semaines, a souffert d'une maladie des membranes hyalines et d'une hémorragie méningée compliquée d'une hydrocéphalie évolutive puis d'épilepsie. Une valve ventriculo-cardiaque a été mise en place pendant plusieurs mois, puis enlevée à la suite d'une infection méningée.
Les parents, mariés depuis trois ans, ont vécu en profonde mésentente conjugale qui a débouché sur de fréquentes séparations entraînant des séjours de la mère et de ses trois enfants dans différents centres d'accueil.
Lorsqu'il est examiné pour la première fois au C.M.P.P., Eric a 26 mois ; il présente un important retard psychomoteur avec hypotonie musculaire qui ne lui permet pas de se tenir assis ; il se déplace uniquement sur le dos en rampant ; il n'exprime aucun son et son comportement est de type autistique
Une rééducation kinésithérapique est entreprise en collaboration, dans un premier temps, avec la mère, puis avec l'éducatrice qui est en relation directe avec Eric dans le dernier centre d'accueil où il séjourne depuis plusieurs mois. Il acquiert progressivement une indépendance motrice totale.
Deux ans après le début de ce traitement, l'acquisition du langage semblant possible, la prise en charge dans le centre se poursuit par des activités d'expression libre, en séances individuelles, toujours en collaboration avec l'éducatrice, car la mère se détache peu à peu de son enfant ; l'investissement affectif de celle-ci s'estompant de plus en plus et le processus psychotique ne régressant pas, un placement familial spécialisé est décidé afin que l'enfant bénéficie à long terme d'une relation affective privilégiée, qui sera peut-être complétée par la suite par l'engagement d'une psychothérapie.
Toute la démarche thérapeutique auprès de cet enfant chez qui facteurs organiques et psychologiques sont profondément intri-qués, a été menée constamment en collaboration avec les différents services qui sont intervenus auprès de lui et de ses parents.
Les adolescents
En réponse à leur malaise exprimé dans des comportements atypiques, ils suscitent des réponses multiples et adaptées à chacun. La directrice d'un C.M.P.P. recevant de nombreux adolescents nous indique comment le centre a répondu à leurs demandes.
Jacqueline, 16 ans, nous est adressée par son médecin généraliste pour des symptômes de boulimie entraînant une obésité relative. Il apparaît dès le premier entretien que Jacqueline traîne une sorte de morosité dépressive — qu'elle a désinvesti toute activité scolaire —, refuse les contacts avec les camarades, est insomniaque et oppose à toute sollicitation parentale une passivité opaque.
Elle ne sait pas ce qu'elle a, sinon qu'elle ne veut rien. Pourtant, elle accepte une psychothérapie, espérant surtout se guérir de cette boulimie qui s'empare d'elle.
Très vite, le besoin de se remplir pour colmater une angoisse, boucher un manque, est compris par elle comme une façon de refuser un corps sexué, qui lui ferait perdre, croit-elle, son statut auprès de ses parents. Le blocage de l'imaginaire qui l'empêchait d'élaborer ce qu'elle vivait par des paroles précipite son évolution dans une série de passages à l'acte très difficiles à supporter par l'entourage : brusques explosions d'agressivité, crises d'angoisse qui l'empêchent, à la lettre, d'articuler un mot, pleurs, cauchemars et crises nocturnes qui interdisent tout sommeil aux parents, intolérance à toute règle familiale, etc.
On décide une hospitalisation dans un service dont l'équipe est en relation avec le psychothérapeute pour permettre à la jeune fille la régression qu'elle demandait. Ce temps de rejet permet à la famille de s'interroger plus profondément ; le père, la mère remettent en question la problématique familiale. La sœur peut venir parler de ses propres conflits en face de parents chaleureux mais portant en eux-mêmes vis-à-vis de leurs enfants leur propre contradiction : une mère obsessionnelle, elle-même fixée à sa propre mère, exigeante, un père faible ne sachant guère imposer la loi, ni reconnaître la féminité croissante de sa fille.
On peut à la sortie de l'hôpital négocier l'autonomie de Jacqueline, la séparation d'habitation d'avec ses parents trouvée avec l'aide de l'équipe ; elle entreprend un travail, utilise son argent, se nourrit à sa guise.
Peu à peu, l'aménagement de la réalité, en même temps que la prise de conscience en cours de traitement, de ses propres désirs et l'abaissement de l'angoisse devant sa propre sexualité amènent une normalisation. Parallèlement, Jacqueline consulte la conseillère d'orientation du centre et s'oriente vers une école de tourisme qui lui convient. Elle ne voit plus sa psychothérapeute que de loin en loin.
Le cheminement du traitement de cette jeune fille est relativement classique. La demande d'aide au C.M.P.P. prend souvent des formes plus atypiques, tant la réponse donnée à des appels souvent peu clairs doit être souple, adaptée à chacun.
Fabienne est en psychanalyse en ville ; brillante élève jusqu'en première, elle a subitement arrêté la fréquentation du lycée pour rester enfermée dans l'appartement de ses parents, et suivre des cours par correspondance. Fille d'un couple âgé, mal assorti, elle est le lien qui leur permet ou leur donne le prétexte de rester ensemble — objet délétère de leur rivalité pathologique à son égard. Si bien que Fabienne «joue le mort» par des tentatives de suicide à répétition et des crises violentes d'agressivité.
Fabienne et sa mère viennent nous voir, épuisées l'une par l'autre. Ce qui est mis en place est une psychothérapie de la mère — cependant que des aides pédagogiques en anglais, en philo, permettent à Fabienne de sortir de chez elle et de refaire au centre un premier réseau de relations qu'elle étendra peu à peu. Le jour où elle put participer à un groupe de danse-expression corporelle marqua le besoin de se reconnaître.
L'équipe s'est donné pour tâche de fournir à Fabienne l'étayage qui lui permette de poursuivre une psychanalyse difficile jusqu'à sa guérison, travail très éprouvant, ingrat. La mère a pu accepter de mettre au clair la place de Fabienne dans sa relation avec son mari. Le père a pu venir aussi et le couple accepter son échec personnel et laisser sa fille vivre en la soulageant du poids de sa culpabilité.
Pour Jean, qu'une série d'échecs depuis sa petite enfance a tenu à l'écart des classes traditionnelles pour le rejeter dans un ce.s. où il perd son temps et se sent écrasé par l'infériorité, le C.M.P.P. l'a véritablement remis sur la voie.
La participation à un psychodrame a pu lui faire vivre sa rivalité avec un frère plus jeune et brillant, et la fréquentation du centre aussi bien à l'atelier de dessin et de maquette, qu'à un groupe culturel conjointement dirigé par un psychologue et un professeur de mathématiques lui permit de reprendre goût à la culture et surtout de préparer un c.a.p.
Mais pour Martine, qui a trouvé dans la drogue une réponse pathologique à ses angoisses archaïques, qui vit des pertes d'identité, pour qui la réalité vacille, que représente le centre? Un lieu où elle peut toujours venir, où on la laisse s'allonger par terre quand elle n'en peut plus de regarder les autres, où elle peut téléphoner à n'importe quelle heure pour demander de l'aide, où son psychothérapeute peut l'entendre, même au milieu de la nuit.
On pourra s'étonner qu'un C.M.P.P. puisse aussi bien fournir des réponses ponctuelles, légères — psychothérapies, rééducations —, que des prises en charge lourdes, où l'on puisse aussi bien s'occuper de trouver un foyer pour un adolescent, voire lui fournir quelque temps une pseudoscolarité. Mais quelle autre structure le lui fournirait? L'hôpital qui le renverra à un statut de malade psychotique ? L'hôpital de jour où souvent il ne se trouvera pas en état d'accéder, affolé par le « groupe » trop structuré ? L'école ?
L'intérêt du C.M.P.P. est de fournir des réponses transitoires. Fabienne, ayant trouvé un foyer grâce à l'assistante sociale, nous quitte un jour sans que personne ne lui demande rien, laissant seulement un mot à son professeur de philo «Tout va bien. »
Marc fait une fugue, mais s'arrange pour nous faire signe afin de «tranquilliser ses parents».
Souvent le projet fait pour un adolescent est remis en question cinq ou six fois dans l'année : on change, on écoute ses besoins.
Un tel comportement de l'adolescent, intolérable dans la famille ou à l'école, ce «je prends, je laisse», est un vécu très différent quand il sait que le contrat ne le lie que dans la mesure où il peut s'en servir pour lui-même. Ce qui lui est renvoyé de ses manques, de ses retraits, de ses découragements, de son sentiment d'échec est une interrogation à son inconscient et à son désir. Il s'agit de l'aider à trouver le sens d'une loi intérieure et à élaborer ses nouveaux idéaux. Les changements extérieurs dans l'habillement, les modes, ses volte-face mais aussi les découvertes, les réassurances narcissiques sont accueillis sans étonnement par les membres du C.M.P.P.
Sorti du tunnel, l'adolescent nous quittera souvent brusquement pour revenir d'une façon inopinée parce qu'il aura besoin de retrouver un fil, de reprendre un dialogue à un moment de son évolution. Et il faudra bien l'accueillir (c'est une des difficultés administratives de la prise en charge), témoins que nous avons été de sa recherche à la fois désespérée et ardente.
CHAPITRE 8
COMMENT ÉVOLUE L'ACTION ENGAGÉE
La spécificité des équipes de C.M.P.P. réside en ce que des spécialistes disposant de plusieurs moyens d'approche thérapeutique agissent à des niveaux différents : troubles symptomatiques, environnement familial et scolaire, élaboration fantasmatique du sujet, conflit intrapsychique. Chacun tient compte de l'action de l'autre et de sa répercussion sur le dynamisme évolutif de l'enfant et de son entourage. Pour apparaître, ce dynamisme requiert que soient vivantes les relations entre les intervenants. Comment le seraient-elles si chacun d'eux se contentait d'apporter au sujet sa technique appliquée de façon hermétique ?
Synthèses d'évolution
L'action entreprise par le C.M.P.P. auprès de l'enfant et de sa famille fait l'objet en cours de route d'une évaluation régulière.
Tout en respectant les secrets individuels, il s'établit des échanges d'information sur les difficultés rencontrées, les bénéfices constatés, les répercussions de la vie familiale et scolaire. Des contacts s'établissent spontanément, ou plus systématiquement lors de synthèses d'évolution, qui regroupent les personnes concernées par l'enfant et son entourage.
Mettre en route, modifier, arrêter une intervention se décide dans ces rencontres de travail, internes au service. Ces moments permettent à chacun de réévaluer son désir d'être utile à l'enfant qui, lui-même ou ses parents, peut provoquer sympathie ou méfiance et hostilité. Ils sont aussi l'occasion d'analyser l'attitude de l'enfant face à son ou ses interlocuteurs ainsi que le comportement-réponse de ceux-ci.
On est amené à tenir compte de tout ce qui se passe dans les relations de la famille et de l'enfant avec le centre : des rendez-vous manques d'une façon répétée, des refus réitérés à propos d'horaires proposés, des réclamations au point de vue administratif, le souhait d'arrêter un traitement imputé à l'enfant par ses parents. Toutes ces situations doivent en faire rechercher la raison profonde masquée souvent par l'agressivité apparente. Il peut s'agir d'une inquiétude pénible pour des parents amenés à se rendre compte eux-mêmes de ce qui est mal adapté dans leur comportement vis-à-vis de l'enfant. C'est pourquoi il est également tenu compte de l'évaluation faite avec l'enfant, avec ses parents, avec les intervenants extérieurs. L'opinion de chacun sur l'intérêt du traitement est approfondie. On tente de mettre en lumière les motivations diverses, parfois contradictoires, qui sous-tendent l'opinion exprimée.
A travers son roman familial, l'aventure personnelle de François illustre l'évolution des actions menées au C.M.P.P. pendant le déroulement des années de scolarité, tandis que se modifient également ses relations avec ses proches.
La mère de François P., 11 ans 1/2, le présente au C.M.P.P. pour son incapacité scolaire et l'inhibition de son comportement. Elle relate une histoire familiale assez particulière.
Après une fille née quinze mois plus tôt, l'annonce d'une deuxième grossesse fut l'occasion d'un conflit aigu entre les conjoints, car le père ne désirait pas d'enfant. Excès éthylique, violences envers la femme eurent lieu au long de la grossesse. Une sœur du père, mariée, mais ne pouvant avoir d'enfant propose d'adopter la fille «puisqu'il va y en avoir un autre». Cette solution satisfait le père mais Mme P. ne consent pas à ce marché. François naît. Lorsqu'il a 6 mois, la mère trouve un jour la porte du domicile close, son mari accepte qu'elle y entre mais sans les enfants.
Elle trouve refuge chez ses parents qui sont retraités avec quelques revenus et demande la séparation de corps et de biens. Peu de temps après, son propre père décède, elle en est très affectée. Sa mère qui n a pas d'autre enfant, va partager sa vie avec elle et les deux petits.
François pousse mal ; il est chétif, maladroit, en retard pour tout. Pour lui, on décide de s'installer dans une région réputée pour son climat vivifiant. Plusieurs années s'y passent. François ne fait que très peu d'acquisitions. Comme il n'existe localement aucune possibilité de l'aider, on décide à cause de lui d'aller dans la province d'origine où le père de Mme P. est enterré, et qui semble disposer de quelques établissements spécialisés.
C'est à cette époque que nous faisons connaissance. Durant la période précédente, le père après avoir été malade pendant un an s'est manifesté plusieurs fois, venant voir sa femme, faisant des cadeaux à sa fille, mais rejetant toujours son fils «qui n'est qu'un idiot».
A son arrivée au C.M.P.P., François a l'allure d'un enfant débile, apeuré ; il est passif, anxieux, chaque rencontre est source de panique. Le bilan psychologique met en évidence des aptitudes très limitées mais sans doute infériorisées par l'état affectif. L'enfant est peu individualisé, dans une relation de grande dépendance infantile à sa mère : il ne peut se situer dans un contexte familial ; toute agressivité est rejetée, voire interdite.
L'examen psychomoteur confirme les difficultés à se mouvoir, il est passif dans un corps mou qui n'a pas de tenue ; il ne se situe ni dans le temps, ni dans l'espace ; il ne manifeste aucun plaisir. Il n'y a aucun trouble neurologique.
Lors de la synthèse des informations recueillies, le médecin, la psychologue, le psychorééducateur restent indécis sur la nature exacte des troubles. Y a-t-il une atteinte organique? S'agit-il d'une limitation des aptitudes d'origine congénitale, héréditaire ou acquise? Les difficultés sont-elles toutes à rattacher à ce rejet paternel dont les modalités sont peu communes ? L'attitude maternelle n'est-elle pas en cause également ? Quelle que soit la responsabilité de ces divers facteurs, l'équipe soignante souhaite essayer de réduire la crainte de François. On propose une rééducation psychomotrice en groupe avec le psychorééducateur qui l'a vu en bilan pour que l'enfant puisse découvrir son corps et ses aptitudes physiques inexplorées à travers cette relation à un homme. Parallèlement à ce traitement mené au C.M.P.P., on conseille pour François une scolarisation en classe de perfectionnement. L'assistante sociale du C.M.P.P. a un contact régulier avec l'institutrice qui va lui faire part de ses progrès réguliers. Il suivra cet enseignement jusqu'à l'âge de 14 ans où il est orienté vers l'Ecole nationale de perfectionnement.
Ecoutons maintenant M.R., psychorééducateur, raconter l'évolution du garçon avec le retentissement des incidents de la vie familiale.
Première période de juin 74 à juillet 75 : atelier de psychomotricité en groupe.
En juin 74, François est accueilli dans un groupe d'adolescents en atelier de psychomotricité. Il a bientôt 12 ans. Un peu voûté, très anxieux dans cette première rencontre, il est néanmoins bien accueilli dans le groupe. Quelle place va-t-il trouver? Va-t-il être enfin intéressant pour d'autres?...
Dans les premières séances, il reste le témoin passif et dépendant, c'est aux autres de faire, ou de lui demander de faire. François bouge peu, ne parle pas spontanément ; toute son attention et sa communication passent par les yeux. Il les a mobiles, très brillants, contrastant avec son visage triste et son silence corporel. Mais il a au moins une place : celle du petit dernier vers qui convergent l'attention et les prévenances de tous.
J'observe alors la façon qu'il a de bouger et les marques qu'a laissé dans son corps sa longue histoire d'enfant «malmené». Il manque de tonus, paraît supporter un poids plus lourd que lui. Tous les gestes sont lents, comme tirés par les seules nécessités. La respiration est courte, presque invisible, pour ne pas prendre de place. Le regard revient souvent à un point au sol, à quelques mètres devant lui. Maladroit ? On ne peut savoir car encore faut-il bouger pour le montrer et François n'ose rien. Dans la grande salle de psychomotricité une échelle et une poutre invitent ceux qui le souhaitent à évaluer leur audace. François va s'en servir très vite pour s'y réfugier. Sur la poutre d'abord, d'où il recevra les regards, les mots et les invitations du groupe. Des sourires vont bientôt nous répondre qu'il aime bien être invité.
Ses premiers jeux dans le groupe se feront par l'intermédiaire du ballon. Il le suit des yeux, il l'attrape, il le garde quelques instants, manière d'être attendu, regardé, puis il le repousse vers moi, par le sol. Bien qu'il soit le plus silencieux du groupe, le plus à la traîne, son prénom est le plus souvent prononcé : manière d'être le plus entendu. François va fréquemment sur la poutre, sur l'échelle bientôt. Il s'y montre à l'aise. C'est de là-haut qu'il nous regarde : croiser le regard comme on croise le fer.
En décembre 74, François participe à tous les jeux du groupe. Il semble encore perdu dans l'espace, confond gauche et droite, loin et près, perdu dans les notions de temps : avant, après, longtemps, vite, tout cela ne signifie pas grand-chose. Il rit de sa maladresse «c'est pas grave... » ; de celle des autres «toi aussi... ». Dans cette grande salle, avec ceux qu'il retrouve maintenant toutes les semaines, il faut rater, hésiter, oser enfin...
En mars 75, nous notons que François se détend dans l'ensemble de ses relations, tant à l'école qu'en famille. Il se découvre des choses à dire, marque des refus. Il accepte l'autonomie que lui laisse petit à petit sa mère. Dans le groupe de psychomotricité, il s'intéresse aux filles en les démarquant et ose quelques critiques à leur sujet. Il revendique une place avec les garçons. A l'école, la maîtresse constate des progrès importants, il désire réussir et participe beaucoup. Mais le langage reste déformé et les apprentissages scolaires peu efficaces.
Une orthophoniste du centre est sollicitée pour évaluer maintenant les difficultés d'expression orale et écrite. Elle constate un important défaut d'articulation verbale, une lecture syllabique, de nombreuses confusions et inversions dans la transcription. Le garçon reste très inhibé avec elle.
Une synthèse d'évolution réunit les personnes connaissant François. Malgré les incertitudes, on décide d'essayer de l'aider par une pédagogie relationnelle du langage menée parallèlement à la poursuite de la psychomotricité.
Deuxième phase, de septembre 75 à février 1977 : adjonction de pédagogie relationnelle du langage (p.r.l.), poursuite de la psychomotricité.
Avec Mlle L., qui assure la p.r.l., tout va bien au début ; la mère accompagne régulièrement François. Il s'exprime beaucoup et parle avec complaisance dans un discours répétitif, de tous les animaux qui l'entourent, ces récits sont souvent violents et sexua-lisés. Il vit dans un univers féminin (mère - grand-mère - sœur) et tout le monde dort dans la même chambre avec plusieurs chiens.
Au cours d'une visite du père en juin 76, la rééducatrice demande à le rencontrer en même temps que l'enfant et la mère. Cet entretien semble positif : le père semble mieux accepter son fils ; ses visites aux enfants sont plus fréquentes.
Peu après, un changement important dynamise la famille ; la mère ayant une promotion professionnelle peut déménager et habiter la ville. François change d'établissement scolaire. Mlle L, rééducatrice, insiste alors pour que François vienne seul. La mère l'accepte difficilement et le fait accompagné en cachette par la sœur. François dit vouloir lire et faire du calcul mais l'évolution est très lente. Il inverse toujours les lettres et n'arrive pas à se repérer dans le temps. La mère supporte mal la relation de son fils avec Mlle L. Un jour où François a voulu la frapper, elle vient le reprocher à cette dernière. Elle exprime à l'assistante sociale du service son hostilité à cette rééducation. François se met à dire : «C'est maintenant en classe que je vais apprendre à lire.» Il souhaiterait parler avec Mr R., psycho-rééducateur p.m., mais ce n'est pas facile avec les autres enfants du groupe.
En octobre 75, poursuite dans un groupe de psychomotricité qui a changé ; François, qui a 13 ans passés, est maintenant un ancien ; avec Mr R., il a un passé commun, ce qui lui permet des échanges de connivence «par-dessus» les nouveaux arrivés. Un jour, François raconte à sa mère qu'un «monsieur» lui a montré des photos de femmes nues. Celle-ci, affolée, me le rapporte souhaitant que je lui explique «qu'il est un garçon». Ainsi François s'est arrangé pour que sa mère me parle de lui en le reconnaissant garçon. Voilà une nouvelle assurance acquise pour lui. Il montre d'ailleurs sa puissance, il devient agressif au cours des séances, surtout avec moi.
À l’École nationale de perfectionnement qu'il fréquente maintenant, il s'intéresse beaucoup aux travaux d'atelier où il a d'autres interlocuteurs masculins pour un travail d'homme.
Chez Mlle L., orthophoniste, il vient maintenant seul sans être accompagné. Cette thérapie psychomotrice va se poursuivre jusqu'en février 1977, moment que nous choisirons d'un commun accord avec l'équipe soignante et la mère pour proposer à François d'expérimenter un peu plus son autonomie : ne plus venir au C-M.p.p. Cette interruption durera trois mois.
Troisième temps de juin 77 à juin 79 : Entretiens avec Mr R., psycho-rééducateur, qui raconte :
« Coup de téléphone : François voudrait me voir. C'est alors une nouvelle et comme une première rencontre où sa demande se Précise, s'affirme : il voudrait parler seul avec moi. »
C'est le début d'une longue série d'entretiens, réguliers, attendus par cet adolescent, qui voudrait bien comprendre son histoire personnelle. L'intérêt de la relation avec les autres au sein d'un groupe est donc passé au second plan dans le centre, au profit d'une volonté de s'identifier. L'interrogation de François sur son père aura une place essentielle dans ses discours.
Cela coïncide avec un certain «retour du père», qui, sans vraiment réintégrer le domicile familial, est nettement plus présent, notamment aux périodes de vacances. Cet intérêt renaissant du père pour le fils et pour la mère, ne va pas sans heurts ni sans violences. Ainsi François pourra me raconter, et avec quelle légitime émotion, son amertume, sa révolte d'être disputé pour son manque de résultats scolaires, d'être accusé de paresse, d'incapacité. Il n'accepte pas la marque si maladroite de l'intérêt de son père. Il ira jusqu'à lever le poing et le menacer. C'est une façon pour lui de se mettre à son niveau, de le revendiquer comme important pour lui.
Deux années durant, François viendra me dire les péripéties de sa vie, ses doutes, ses découvertes. Il fait beaucoup d'équitation, attend avec impatience son appel sous les drapeaux.
En juin 79 nous convenons que sa venue au centre ne sera plus régulière ; c'est lui-même qui demandera à me voir quand il le souhaitera.
Les rencontres vont s'espacer jusqu'au jour où je viens d'apprendre par sa mère, très satisfaite de son évolution, que François reconnu apte au service national, a devancé l'appel et part pour une garnison de l'Est...
Orientation vers un établissement spécialisé
Elle a parfois lieu d'emblée après le bilan initial. Ce fut le cas pour Jacky. Elle peut aussi devenir nécessaire après une étape plus ou moins longue de traitement en cure ambulatoire.
Jean-Marc vient au monde avec une malformation bronchopulmonaire responsable d'une insuffisance respiratoire sévère mettant ses jours en danger d'une façon durable ; il est hospitalisé dans un service parisien, de l'âge de 3 mois à l'âge de 2 ans 1/2 ; pendant cette période il fait en outre des séjours dans un établissement de cure en Provence. L'équipe hospitalière décide de rendre l'enfant à sa famille provinciale en raison du retard de comportement et psychomoteur considérable, tandis que les troubles respiratoires s'atténuent. A l'âge de 2 ans 8 mois, ses possibilités posturales (station assise et debout) ne dépassent pas celles d'un nourrisson de 10 mois ; ses activitéûs sensori-motrices sont meilleurs et atteignent celles d'un enfant de 1 an 1/2.
Ce retard est en rapport avec les carences globales de contact avec sa mère, sa famille, son milieu de vie, entraînées par cette longue hospitalisation. Les parents sont amenés par les circonstances à sous-estimer ses possibilités d'évolution et le considèrent en quelque sorte comme condamné à être un enfant profondément handicapé. En fait, dès le retour près des siens : un père chef de chantier de construction métallique, une mère s'occupant à la maison de quatre aînés qui se suivent à un an d'intervalle : Jean-Marc évolue ; il acquiert la marche ; les troubles respiratoires sont moins fréquents.
Tableau 2 EVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE Le traitement commence
DÉCISION PRISE EN ÉQUIPE dès le premier entretien ,
REUNION DE SYNTHÈSE Un interlocuteur Soit Soit privilégié NON-INTERVENTION ORIENTATION D'EM-pour l'enfant, (reprise du dynamisme évo- BLÉE vers un service spé-parfois le même lutif de l'enfant avec ses cialisé plus adapté aux be-pour les parents, parents, favorisée par l'é- soins de l'enfant: i.m.p., parfois un tagfi diagnostique). I.M., Pro, pédagogie spécialisée. Soit PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE AU C.M.P.P. ~7 7 7^ Par un mode Psychothérapie^/ Atelier de y / \ Intervention d'approche varié individuelle jr Psychomotricité / \Psychosociale "«anhiaue °u f^™liale Education motrice Education du\ -comord Psychodrame Kinésithérapie langage parlé \ -ludique .,..,, / et écrit: \ 4 Activités / orthophonie \ d'expression libre Réadaptation pour jeunes enfants pédagogique Groupe d'expression Pédagogie Evaluation de pour adolescents. relationnelle l'évolution Atelier du langage à travers ce que perçoit la personne EVALUATION DU TRAITEMENT chargée DANS UN TRAVAIL D'EQUIPE du traitement * ' 1 et à travers Synthèses Rencontres l'opinion de l'enfant d'évolution régulières ' et de ses parents avec la personne chargée du . . t traitement Liaisons avec t — les services médico-sociaux extérieurs au centre, rin d'intervention — les instances pédagogiques : enseignants, psychologie en accord scolaire, médecin scolaire g.a.p.p., avec l'enfant — les équipes soignantes de services spécialisés de l'en- °u la famille fance. MODIFICATION DU TRAITEMENT EN COURS D'ÉVOLUTION 1 . Soit Soit orientation devenue recours à une autre opportune vers un forme d'intervention i.m.p. spécialisé de y au C.M.P.P. la région Soit arrêt d'intervention. Un rendez-vous de fin d'intervention est proposé pour faciliter le cas échéant une reprise de contact ultérieur. |
C'est à ce moment que la psychologue de l'hôpital parisien conseille aux parents de s'adresser au C.M.P.P. proche de leur domicile provincial.
Lors du premier rendez-vous, Jean-Marc a 5 ans, mais son développement physique, est celui d'un enfant de 3 ans 1/2 : quelques mois auparavant il a été opéré au niveau d'un genou et sa démarche est encore raide ; il meut son corps d'une façon gauche et peu habile ; il se sert de ses deux mains, il joue activement, intéressé par le biberon, les poupées, les toilettes ; bien qu'attentif à la conversation, il ne parle pas, les rares «mots» émis sont peu compréhensibles sans la traduction de sa mère ; son visage est expressif, sollicitant l'interlocuteur. Celui-ci est attentif à la mère qui a du mal à croire possible la scolarisation de son enfant. Elle l'inscrit cependant à l'école maternelle de sa petite ville alors qu'il a 6 ans.
Nous proposons que Jean-Marc vienne deux fois par semaine au centre à l'atelier d'expression libre-jeunes enfants dont le rôle est de favoriser la stimulation gestuelle et verbale à travers des activités spontanément choisies par l'enfant ; seul pendant plusieurs semaines avec la rééducatrice il se montre toujours actif dans le jeu, agit sans parler, mais du regard sollicite son interlocutrice qui perçoit toute l'envie qu'à Jean-Marc de s'exprimer. Elle lui propose alors de venir avec deux autres enfants, deux filles dont une petite aveugle. Dans les mois qui suivent, son langage verbal s'ébauche, rudimentaire encore : nombreux monosyllabes qu'il nasonne ou chuinte.
Une visite à la maîtresse d'école par l'assistante sociale du centre nous informe du comportement infantile de l'enfant, très dépendant de l'adulte, très inhibé en compagnie des autres enfants : le milieu scolaire parle d'orientation vers un internat spécialisé; nous pensons que cela est contre-indiqué pour l'instant après la très longue hospitalisation et en raison des progrès actuels favorables bien que lents.
A plusieurs reprises par la suite, des rencontres se feront entre pédagogue et psychologue de l'école afin d'estimer ensemble la meilleure insertion scolaire du moment, et de s'intéresser mutuellement aux réussites et aux difficultés du garçon. C'est ainsi que Jean-Marc fréquente la maternelle de 6 à 8 ans, est accueilli un an en cours préparatoire pour passer ensuite une nouvelle année en classe de perfectionnement.
Au centre, la rééducatrice le reçoit pendant trois ans consécutifs, les rencontres sont interrompues pendant les vacances d'été ; la mère connaît des moments de découragement et de crainte face à son enfant chez qui explosent parfois des colères menaçantes. Des entretiens avec le médecin lui sont proposés seule ou avec son mari, tous les deux mois environ, puis tous les quatre à six mois. Peu à peu, pour le père d'abord, puis pour la mère, se reconstruit une image nouvelle de leur fils. Ils ne le voient plus comme un enfant lourdement handicapé : depuis l'âge de 6 ans d'ailleurs aucun incident respiratoire n'est venu assombrir le cours de l'évolution. La surveillance systématique de la consultation parisienne a cessé, Jean-Marc se développe harmonieusement ; le retard staturo-pondéral est encore notable mais la croissance est régulière et son visage témoigne d'une santé retrouvée.
La psychologue du service l'examine à l'âge de 7 ans dans une situation de test. Jean-Marc utilise un langage encore peu compréhensible, son expression est très infantile mais il parvient à exprimer une action. Il se montre très suggestible, il attend tout de l'examinateur pour organiser une activité, il joue essentiellement à la dînette avec lui. Sa réussite est encore faible pour son âge, il a toutefois été capable d'accepter les épreuves. En famille, il commence à se revendiquer comme «grand».
Pour célébrer cet événement, nous pensons opportun de changer d'interlocuteur.
C'est une autre femme, rééducatrice en psychomotricité, qui accueille maintenant Jean-Marc, âgé de 9 ans, en séance hebdomadaire.
Un tournant décisif de l'évolution s'extériorise. Alors que la classe de perfectionnement ne répond que modérément à ses intérêts, le garçon semble vouloir montrer à la dame du centre tout ce qu'il est capable d'apprendre rapidement. Non seulement il expérimente le matériel de l'atelier, ballons, échelles, poutres, cordages, tableau, mais il découvre aussi toutes les possibilités d'utiliser ce matériel. Ce faisant, il emploie beaucoup son corps : équilibre, sauts, balancements, détente, escalade ; il témoigne peu à peu une maîtrise et même une audace impensable auparavant. Dans ce même élan dynamique son langage se délie, il s'exprime non plus par mots isolés mais par phrases.
En accord avec le directeur et l'instituteur scolaires il est proposé aux parents que leur fils soit accueilli en demi-pension dans un établissement pédagogique spécialisé. Jean-Marc semble maintenant souhaiter lui-même les sollicitations éducatives proposées par I'i.m.p. désirant enrichir ses expériences de la vie de chaque jour. Les parents qui se sont montrés coopérants malgré des moments de doute, trouvent alors naturelle cette évolution vers une situation sociale normalisée pour l'avenir.
Liaisons avec les commissions de contrôle
Lorsqu'un C.M.P.P. va engager un traitement pour un enfant, un adolescent ou un jeune majeur, des contacts s'établissent obligatoirement avec les organismes de contrôle.
— Les caisses d'assurance maladie
Elles interviennent comme tiers payant, réglant directement au C.M.P.P. les frais engagés. Depuis la lettre-circulaire de la caisse nationale d'Assurance maladie du 8 juillet 1980, les actions menées pour les jeunes suivis dans ces centres sont couvertes financièrement à 100 % ; il n'y a pas de ticket modérateur à la charge des familles. Le contrôle administratif intervient pour s'assurer que la personne à qui s'adresse les soins est bien un « ayant droit » à la couverture ouverte au nom de l'assuré social et que celui-ci est en règle des versements de cotisations.
Le contrôle médical vérifie, comme dans toute demande de traitement prolongé, la justification de l'indication thérapeutique. Une fiche de liaison est envoyée sous pli confidentiel individuel au médecin conseil de la caisse d'assurance par le médecin du C.M.P.P. assurant la responsabilité des soins donnés.
— La direction départementale des affaires sanitaires et sociales
(d.d.a.s.s.)
Celle-ci supporte intégralement les frais des premiers examens nécessaires pour le diagnostic, c'est-à-dire pour comprendre comment se situent les difficultés, leurs origines, les moyens d'y remédier. La circulaire d'avril 1964 a prévu un forfait de six premières séances.
— La Commission départemantale d'éducation spéciale
(cd.e.s.)
La loi d'orientation de juin 1975 en faveur des personnes handicapées a donné à cette Commission le rôle de statuer, d'une part, sur les demandes d'allocation financière spéciale aux handicapés versée par les caisses d'Allocations familiales et, d'autre part, sur les demandes d'orientation vers des établissements d'éducation et de soins spéciaux de jeunes sujets dont les frais de séjour seront payés par les caisses d'assurance maladie. La clientèle habituelle des C.M.P.P. n'est pas constituée uniquement par des personnes handicapées visées par cette loi ; elles sortent du champ d'application de la loi.
Le contrôle de la cd.e.s. s'impose cependant à eux lorsqu'il est nécessaire d'orienter quelqu'un vers une institution spécialisée, s°it d'emblée après les conclusions des premiers examens, soit secondairement après un temps d'intervention en cure ambula-0lre, soit encore parallèlement à la poursuite d'un traitement au centre.
Rappelons-nous les situations de Jacky, Joël, Fabien, Jean-Marc.
D'autres commissions prévues par cette même loi agissent en cours de scolarité primaire (c.c.p.e.) et secondaire (c.c.s.d.) pour des orientations pédagogiques et éducatives. Elles peuvent conseiller à des parents de consulter le C.M.P.P. ; inversement celui-ci se met parfois en relation avec l'une ou l'autre lorsque la démarche visant une modification de scolarité s'avère nécessaire pour l'élève. Il n'y a donc pas, dans ce cas, de contrôle exercé. Les parents restent libres d'aller consulter la personne ou l'organisme de leur choix et même de ne pas aller consulter. Mais en présence d'un enfant qui évolue péjorativement dans son milieu familial, scolaire et social, où s'arrête la liberté des parents, où commence la responsabilité des témoins ?
chapitre 9
LE C.M.P.P.
PEUT-IL INTERVENIR DANS TOUS LES CAS ?
Les limites du C.M.P.P.
Faut-il parler de limites d'intervention des C.M.P.P. ?
Il n'est pas possible de répondre sans envisager plusieurs éléments :
- la nature de l'infirmité ou le trouble évolutif de l'enfant qui peut requérir
des réponses très spécifiques dans des lieux particulièrement équipés ;
- la présence ou non, dans la région où demeure la famille, de structures de soins spécialisés ;
- l'équipement du centre médico-psycho-pédagogique en personnel diversifié et expérimenté ;
- le niveau de collaboration possible avec les proches de l'enfant et avec lui-même.
Les handicaps lourds inscrits dans le corps
Nous en retiendrons trois à titre d'exemple.
— Les déficits mentaux profonds Face à ce déficit, les parents meurtris par l'incapacité de leur enfant,.
ressentent souvent le besoin d'exprimer leurs interrogations, leur affliction, souvent aussi leur agressivité. Il leur faut rencontrer des personnes disponibles pour les écouter et les aider à entreprendre en temps opportun des démarches vers des lieuxspécialisés (i.m.p., associations de parents, etc.). Il arrive que des entretiens de ce type durent plusieurs mois, voire plus d'une année avant que les parents adhèrent au projet de telles démarches. « Nous n'aurions jamais pu accepter que Xavier aille à I'i.m.e., si nous n'étions pas passés par le centre» dit une mère
— Les infirmités motrices sévères
L'éducation motrice précoce est assurée le plus souvent par des kinésithérapeutes de ville collaborant avec les parents. Lorsque la marche indépendante est acquise, certains parents, encouragés par les pédiatres, souhaitent l'essai de scolarisation. Celle-ci peut se faire dans une école maternelle habituelle. A ce moment l'aide d'une équipe de C.M.P.P. peut être utile. Une rééducation psychomotrice, orthophonique, un soutien psychologique aux parents s'avèrent souvent très aidants à condition que ces actions soient concertées. Le souhait de faire «tout ce qu'il faut» risque parfois d'aller au-delà des capacités de réponse de l'enfant, qui devient intolérant et opposant.
— Les infirmités sensorielles
La surdité grave impose une éducation spécialisée très précoce. La démutisation se conduit dans des centres équipés en personnel spécialisé et en matériel acoustique.
Pour les amblyopes (mal-voyants) l'éducation préscolaire et i scolaire demande un matériel adapté dans des classes spécialisées.
Il se peut que des parents d'enfants malentendants ou mal-voyants soient confrontés à des difficultés relationnelles avec eux. L'infirmité sensorielle grave d'un enfant est parfois une blessure tout aussi difficile à assumer pour certains parents que le déficit mental profond pour d'autres. L'aide psychologique aux familles doit aller de pair avec l'éducation spécifique précoce de l'enfant.
Ces situations évoquées trouvent des solutions suivant les contacts établis personnellement par les parents, leurs réseaux de relations, les opinions personnelles de leurs médecins et l'équipement de la région. Un certain nombre passe par les c.m.p.p-transitoirement et utilement.
D'autres institutions sont prévues, tels les centres d'action médico-sociale précoces (c.a.m.s.p.), accueillant en consultation externe de très jeunes enfants atteints d'infirmités et de troubles évolutifs divers. En dehors des cas où ils rendent possible une réponse spécifique précoce à un handicap particulier, tel que ce qui vient d'être évoqué, leur but n'est pas sensiblement différent d'un C.M.P.P. habilité à recevoir une clientèle de petits enfants de moins de 6 ans.
Les troubles psychopathologiques évolutifs
Les C.M.P.P. équipés en personnel formé à la pratique de la psychothérapie des enfants psychotiques peuvent assurer une partie de leur prise en charge. La psychothérapie est entreprise le plus tôt possible : elle associe souvent la mère et l'enfant, parfois les deux parents y participent (cf. Sarah) ; elle peut aussi s'adresser à l'enfant seul, qui vient accompagné d'une personne stable et affectueuse, de référence permanente pour lui (cf. Fabien). Le traitement au centre ne peut ignorer le lieu de vie quotidien de l'enfant en dehors de sa famille. L'enfant très jeune est généralement accepté dans une classe maternelle à condition que son comportement ne soit pas trop agité ou trop gênant pour les autres. Plus tard, l'hôpital de jour, l'institut médico-pédagogique, l'institut médico-professionnel pourront l'accueillir, tandis que se poursuivra au C.M.P.P., si l'indication semble favorable, la psychothérapie.
La symptomatologie psycho-névrotique de l'adolescence est rarement primitive et exempte de tout signe précurseur ; l'anamnèse découvre d'une façon habituelle dans la prime enfance quelques signes plus discrets, mieux tolérés ou même niés jusque-là. Selon le personnel qualifié, selon l'expérience de l'équipe capable d'y répondre les adolescents souffrant de ces troubles pourront être soignés par le C.M.P.P., soit totalement, soit partiellement (cf. observations Jacqueline, Fabienne, Jean, Isabelle, Martine).
Les milieux sociaux très défavorisés
Les milieux marginaux, les familles perdues dans leurs références familiales et sociales, les groupes ethniques minoritaires fréquentent peu les C.M.P.P. Chaque centre objectera qu'il a parmi ses clients des représentants de ces familles, principalement ceux implantés à la périphérie des grands centres urbains ou dans telle région de France où vivent des groupes d'immigrés.
Convenons que les conditions de venue au C.M.P.P. supposent déjà la capacité de s'exprimer, de se déplacer, de venir à des rendez-vous précis pendant plusieurs mois ; ces obligations réduisent le nombre de ces familles fréquentant les centres. Il est difficile de venir parler à des gens dont on ne saisit pas bien les rôles. Et d'ailleurs pour parler de quoi? «Le petit ne parle pas bien, dit l'école?... mais nous le comprenons chez nous. Le grand ne travaille pas en classe ? mais cela ne l'intéresse pas et son père ne sait pas lire. Il a chapardé dans une grande surface ?... vous savez comme c'est tentant. Il faut être en règle avec la Sécurité sociale ?... j'étais malade le jour où il fallait pointer à l'Agence pour l'emploi... »
Les familles qui s'expriment là sont plus familières des services d'action éducative en milieu ouvert qui ont mandat de les aider et le font bien. Les C.M.P.P. peuvent mettre à leur disposition les ressources thérapeutiques dont ils disposent.
Les attitudes parentales rigidifiées
Lorsque l'équipe du C.M.P.P. n'a pu amener une modification dans les dispositions intérieures pathologiques de certains parents à l'égard de leur enfant, elle se trouve en situation d'échec. Et l'échec est difficile à vivre. Il convient parfois de l'accepter en essayant d'en trouver les raisons. Mauvaise compréhension initiale de la situation? Erreur d'indication dans l'accompagnement thérapeutique? Méconnaissance des attitudes profondes des parents, du désir de l'enfant, des sentiments des intervenants avec les interférences coopérantes ou rivales entre ceux-ci ?
Les parents de Sylvain, 12 ans, viennent papier en main, lire au premier interlocuteur du C.M.P.P. la liste des griefs envers ce garçon qui ne satisfait pas leurs espoirs de réussite scolaire et de sagesse domestique. Sylvain fait de son mieux et s'est habitué à vivre sous la férule exigeante de son père et dans l'insatisfaction permanente de sa mère. Des entretiens sont proposés au garçon et aux parents. Mais chacun se demande ce que raconte l'autre. Un changement* d'école a apporté un peu d'air dans cette atmosphère tendue, et n'a, rien modifié quant au fond. Les parents affichent leur bonne| volonté et demandent des conseils. Mais personne ne peut rétablir une confiance que le père ne possède pour aucun interlocuteur. La situation ne peut évoluer actuellement. Peut-être une certaine mise à distance réalisée par un éloignement relatif permettra-t-il au garçon de vivre pour lui sans devoir quotidiennement rendre des comptes à ses parents.
Les incertitudes du pronostic
Sur quels arguments prévoir l'efficacité de l'intervention d'une équipe expérimentée de C.M.P.P. ? Les interrogations qui viennent d'être formulées à propos d'échec dans les interventions nous en donnent les principaux éléments.
Il est toujours hasardeux à la période initiale d'émettre un pronostic définitif. Car il faut un certain temps de contact avec les protagonistes pour «faire le tour» d'une situation; des informations, des confidences parfois sur des données essentielles mettent du temps à pouvoir être formulées. C'est peu à peu que se découvre le dynamisme caché d'un enfant ou la profondeur d'un désarroi. Les expériences reconstructives faites en cours de cure peuvent être des moments de maturation secrète ou des tremplins successifs assurant la reprise progressive d'une évolution favorable, des étapes peuvent être franchies l'une après l'autre dans un travail de construction de la personne. Fabien, Nicolas, François, Sarah, Jean-Marc ont donné tort, par leur évolution favorable, au pronostic soucieux porté au départ.
S'il enregistre avec satisfaction des évolutions souvent favorables, le C.M.P.P. n'est cependant pas un organisme tout-puissant capable de résoudre l'ensemble des difficultés du corps et de 1 esprit. Certaines sont trop pesantes. Elles imposent des limites au désir de vouloir guérir : nous l'avons évoqué précédemment. Mais lorsque des parents sont blessés dans le corps ou l'esprit de leur entant, ils pourront être accompagnés dans cette épreuve. Des actions transitoires auprès de leur enfant seront alors des jalons de soutien très efficaces. Mais il est aussi des évolutions inattendues.
Lorsqu'il a 12 ans, Thomas est amené par sa mère car il est impulsif, maladroit, étourdi. Ses résultats en classe sont irréguliers et ne valent pas ceux de son frère plus jeune. Les difficultés paraissent exister surtout dans l'esprit de la mère. Mais il est mal à l'aise dans son corps et Thomas bénéficie d'une année de rééducation psychomotrice. A l'âge de 17 ans, c'est l'orientation professionnelle qui motive une nouvelle rencontre. Thomas est maintenant un grand adolescent bien bâti, s'exprimant facilement, beaucoup plus assuré que précédemment. Il termine facilement la scolarité secondaire. Passent plusieurs années ; nous apprenons incidemment que Thomas, 26 ans, souffre d'un état obsessionnel grave.
Isabelle est reçue pour la première fois à l'âge de 17 ans, car elle présente des manifestations obsessionnelles caractérisées par la crainte d'avoir provoqué la mort accidentelle d'une personne et qui parasitent lourdement sa vie quotidienne. Très brillante sur le plan intellectuel, elle suit des études supérieures. Une psychothérapie de type analytique classique est entreprise à raison de deux séances par semaine pendant plusieurs années. Durant toute cette période, Isabelle est suivie périodiquement par un psychiatre de l'équipe qui la traite par chimiothérapie antidépressive et anxiolytique. Progressivement, la symptomatologie s'estompe. Cette jeune fille qui, au départ, ne pouvait quitter son milieu familial, peut faire actuellement de longs voyages à l'étranger et poursuivre ses études supérieures avec grand succès.
Face à ces incertitudes du pronostic, la modestie est donc de rigueur. Qu'il soit permis toutefois d'énoncer quelques vérités relatives.
- Pour soigner un enfant, écoutons d'abord ses parents.
- Quand les parents s'interrogent sur leur comportement, les difficultés de l'enfant sont en train de s'atténuer.
- Dire qu'un enfant a bien le temps de se mettre à parler est imprudent.
- Affirmer que tout s'arrangera à la puberté est faux.
- Ce n'est pas l'adolescent bruyant qui fera l'adulte le moins solide.
- Il n'y a pas d'enfant, aussi handicapé soit-il, qui ne puisse se révéler lieu de désirs, acteur d'échanges, apte au bonheur.
TROISIÈME PARTIE
REGARDS SUR LES VALEURS
CHAPITRE 10
L'ÉVOLUTION DES IDÉES
ET DES PRATIQUES DANS LES C.M.P.P.
l'évolution des idées
Le C.M.P.P. intervient auprès «d'enfants inadaptés mentaux dont l'inadaptation est liée à des troubles neuropsychiques ou à des troubles du comportement» ; telle est, sinon la règle, du moins la réglementation puisqu'il s'agit de la définition de l'annexe XXXII. Le C.M.P.P. paraît donc bien intervenir dans un champ que nous nous accorderons à dénommer : psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent.
Pour tenter de synthétiser l'évolution des idées en ce domaine de la psychopathologie de l'enfant, on pourrait y déceler, de façon schématique, trois grandes phases :
- la première phase se développe selon un axe que l'on pourrait dénommer « objectivation » ;
- la deuxième phase se développe selon un axe que l'on pourrait dénommer « intersubjectivité »
- la troisième phase se développe selon un axe que l'on pourrait dénommer «socio-normatif».
Essayons très rapidement de mieux préciser ces phases.
La première phase est axée sur l’objectivation. Le modèle théorique proposé pour l'abord des troubles psycho-pathologiques de l'enfant a pratiquement reproduit le modèle proposé pour les troubles psychopathologiques adultes.
L'enfant étant bien porteur de troubles, ces troubles pouvaient être objectivés, ils pouvaient donc être pris comme objet d'analyse, de diagnostic et de traitement.
Pour mieux observer, décrire ces troubles et mieux les traiter, il apparaissait préférable de placer les enfants qui en étaient atteints dans des lieux différents des lieux habituels de soins ou d'éducation. On retrouve dans le domaine de la psychopathologie infantile le même schéma à quelques nuances près que celui qui exista à l'avènement de la psychiatrie et à la création des premiers asiles.
On sait l'inflation considérable qui développa la création de centres d'observation médico-pédagogiques, médico-professionnels, etc. Comme pour l'adulte, la motivation était technique : disposer d'un lieu où seraient apportés les soins nécessités par cet état, la préoccupation était sociale, mais il s'agissait moins de mesure de protection que de mesure d'éducation.
Nous avons donc affaire au départ à un modèle théorique tout à fait comparable au modèle médical de connaissance dite scientifique, modèle biologique sinon organiciste.
La deuxième phase est axée sur l’intersubjectivité. Si la révolution freudienne eut du mal à effondrer certaines barrières dans le champ de la psychopathologie adulte, elle atteignit plus rapidement ce rejeton mal défini de la psychiatrie et de la pédiatrie, sorte d'hermaphrodite qu'est la pédo-psychiatrie. Elle y réussit si bien que l'annexe xxxn est le premier texte officiel qui cite la psychanalyse comme possibilité de traitement des enfants.
Cette révolution freudienne a créé un ensemble de concepts, et fonctionne comme tout corps de savoir, sur ces concepts. Elle a surtout complètement changé la perspective en fondant la connaissance sur ce que repoussait la médecine traditionnelle.
Si la démarche d'origine tentait d'objectiver le trouble et de le traiter en objet, dans la démarche psychanalytique la connaissance surgissait plus du patient lui-même que du thérapeute seul porteur de savoir.
En s'adressant ainsi à l'attitude effective et vécue du sujet, la démarche psychanalytique se rapprochait de celle du philosophe et s'éloignait de celle de l'homme de science.
Il y avait moins une vérité à connaître qu'un sens à trouver et c'était le patient plus que le médecin qui en était porteur, ce sens devant émerger d'un cheminement à deux et du mouvement même de la démarche, la voie de la connaissance étant le sujet lui-même et l'intersubjectivité thérapeute-sujet.
Il était donc naturel que les deux démarches divergent considérablement avec d'un côté une objectivation de plus en plus grande jusqu'à une quasi-disparition du sujet, de l'autre côté une subjectivité dont l'intimité de plus en plus profonde interdisait carrément la généralisation.
Le résultat, on le connaît : suspicion des médecins pour ce domaine qui ne leur paraît pas reposer sur des bases scientifiques valables, qui autorise toutes les initiatives, toutes les audaces, où il ne se passe pas d'année sans qu'apparaissent de nouvelles méthodes d'investigation, de rééducations, ou de psychothérapies du cri primai à la bio-énergie, dont les fondements théoriques sont fragiles, issus souvent d'un fragment isolé, d'une pensée dont l'immensité avait comme corollaire la mouvance.
A l'inverse, on connaît la suspicion des spécialistes de la psyché pour ces mécaniciens, ces chimistes, qui réduisent leurs patients à une sorte de machinerie sans sentiment, qui méconnaissent que cette parole, qu'eux vont libérer, est source de toute vie, de toute genèse.
Or, cette opposition n'a pas de sens en soi, elle représente simplement le développement par deux voies méthodologiques distinctes de la tentative de résolution du même problème.
Dans cette démarche intersubjective à propos de l'enfant, très rapidement un phénomène s'est produit : on est passé de l'intersubjectivité au singulier à l'intersubjectivité au pluriel. De l'enfant seul, on est passé à l'enfant dans sa famille et à l'enfant dans son environnement. De la réponse d'un thérapeute à un malade on est passé à la réponse d'un groupe à un autre groupe.
C'est bien cette notion d'enfant subissant une évolution et la subissant grâce à une interaction avec son environnement, d'abord et avant tout familial, c'est bien cette notion qui est le fondement même de l'équipe du C.M.P.P., l'action en psychopathologie infan-Ue délaissant la vérité de la dégénérescence ou de la constitution morbide pour la vérité de la psychogenèse.
La prise enn compte de la troisième phase est articulée selon un axe socio-normatif. Lorsque l'on prit conscience de ce qui se passait dans l’environnement de l'enfant pour le traiter dans cet environnement le phénomène appréhendé glissait d'une pathologie simple à l’existence complète. Que l'on réduise cette existence à ce qui semanifeste à l'existence dans sa totalité, c'est-à-dire l'existentiel, le phénomène auquel s'intéressaient les équipes tendait à s'hypertrophier d'élargissement en élargissement.
De l'enfant porteur d'une pathologie seule à prendre en considération, à l'enfant dans son réseau relationnel familial, puis l'enfant et sa famille dans leur environnement, leur culture, leurs conditions de vie, nous en arrivions à l'action sociale globale.
Les équipes de C.M.P.P. n'ont pas voulu aller jusque là... mais elles sont néanmoins confrontées quotidiennement à ces réalités sociales dont l'enfant est porteur.
Nous qualifions cette évolution d'axe socio-normatif prouvant, si l'on en croit le dictionnaire, que la norme intervient dans tout ce qui admet un jugement de valeur ; c'est là le sens premier. Le deuxième sens, c'est ce qui est conforme à la majorité des cas, à l'état habituel, ordinaire, régulier. Le troisième sens est plus économique puisque dans ce sens la norme définit un procédé, un objet en vue de rendre plus efficace et plus rationnelle la production dans un secteur économique donné.
Interrogeons-nous sur ce qui amène les enfants en consultation au C.M.P.P. ; n'est-ce pas par une quelconque défaillance par rapport au système de valeurs de leurs parents, de leurs pédagogues, n'est-ce pas dans le deuxième sens de divergence du mot une défaillance par rapport à l'état habituel des autres, n'est-ce pas aussi dans bien des cas pour le rendre plus efficace dans le secteur productif particulier qui est l'école ?
L’ ÉVOLUTION DES PRATIQUES
Le premier modèle de démarche multidisciplinaire reproduisait le schéma de l'approche clinique médicale. Rappelons rapidement ses caractéristiques.
L'assistante sociale recevait la famille, elle était chargée de rassembler les éléments concernant le passé de l'enfant, son développement, ses antécédents, la composition de la famille, les conditions matérielles de vie... Il s'agissait bien d'une enquête sociale qui préparait ainsi l'investigation médico-psychologique. Le médecin utilisait les ressources de son approche clinique confiant au psychologue l'évaluation des fonctions intellectuelles par des méthodes projectives. La synthèse consistait en l'articulation de ces trois types de données qui demeuraient complémentaires l'une de l'autre, et les praticiens étaient confortés si les données du Rorschach confirmaient la clinique et si l'anamnèse permettait de poser une hypothèse pathogénique avec suffisamment de vraisemblance. Le fait d'ajouter au bilan initial un examen d'orthophonie, de psychomotricité, voire pédagogique, ne changeait pas grand-chose au modèle de fonctionnement. Il s'agissait d'accumuler devant un phénomène complexe le plus de renseignements obtenus par différentes voies d'approche. Par la suite, le modèle de fonctionnement a évolué. Ce sont les difficultés dans l'observation, l'édification d'une sémiologie, le repérage étiopathogénique, la constitution d'entités dont le caractère morbide serait indéniable qui ont fait que la démarche des équipes a progressivement évolué. Elle s'est donc modifiée d'autant qu'elle subissait aussi les pressions d'une époque où la rigueur scientifique devenait synonyme de froideur, où toutes les disciplines baignaient dans un climat d'existentialisme donnant la primeur à l'expérience vécue, alors que la rigueur scientifique semblait ne pas la prendre en compte. Si nous tentons de repérer quelques-uns des glissements qui se sont opérés dans la démarche des équipes, nous pouvons en retrouver un certain nombre.
— La notion de complémentarité
Dans la toute première forme de démarche, les différentes formes d'investigation étaient réellement un complément de l'investigation clinique.
Puis, chaque mode d'approche s'approfondissant, s'étayant de plus en plus sur une expérience scientifique, ce furent tous les modes qui devinrent complémentaires l'un de l'autre, ce qui se traduisit par le caractère quasi systématique de leur application, le bilan de l'enfant devenant ainsi de plus en plus complet. De sorte que, du schéma initial où l'un, le médecin, portait le diagnostic avec l'aide d'autres, on aboutissait au schéma où plusieurs intervenaient dans l'élaboration du diagnostic.
En fait, cette évolution est à nuancer et la nuance à introduire est variable avec chaque équipe.
Ces nuances relèvent de conditions tout à fait extérieures à l'équipe elle-même et de conditions internes à l'équipe. Les conditions extérieures résultent du fait que si le modèle de la démarche a suivi des modifications, la représentation que la société en a n'a pas évolué. C'est-à-dire que s'il s'agit de traitement, il appartient à un médecin d'en assumer l'application, même si ce n'est pas lui qui l'applique directement. Cela se traduit par le fait que seul le médecin peut signer la demande de prise en charge auprès des organismes d'assurance maladie.
Les conditions internes sont liées au fait que dans une équipe la formation et l'expérience personnelle d'un individu comptent plus que sa qualification professionnelle. Il existe donc un décalage quelquefois important entre ce que la société attend et qu'elle traite en termes de qualification professionnelle et de responsabilité, et ce qui se passe réellement dans les équipes, dans leur fonctionnement même, que l'équipe traite dans un système de valeurs différent.
— La notion de diagnostic
Ce glissement est très lié au premier que nous venons d'évoquer. S'il ne s'agit plus de répertorier des symptômes, d'en dresser la liste, de les regrouper, de les mettre en références avec un état réputé morbide, connu, la notion même de diagnostic cède la place à la notion d'une approche plus souple et plus dynamique des phénomènes observés chez l'enfant conçus alors comme élément d'une problématique qu'il va falloir débrouiller. Le plus important, puisqu'il s'agit de problématique, est de repérer le sens que peut avoir pour l'enfant son symptôme plutôt que de l'étiqueter par référence à une pathologie bien assurée.
La notion de diagnostic fait donc place à la notion de démarche compréhensive. Mais cette démarche compréhensive se fait à deux, l'enfant et sa famille d'un côté, l'équipe de l'autre, tout se passant comme si des formulations successives apparaissaient avec des éléments admis, d'autres rejetés, dans un processus qui rappelle étrangement celui de la négociation.
— Le troisième glissement
Il est directement la conséquence du deuxième : s'il existe un répertoire d'états connus ayant chacun sa symptomatologie, il faut d'abord faire un diagnostic de cet état avant de prétendre y remédier.
Si l'on entreprend une démarche compréhensible alors que ce répertoire n'existe pas, la démarche d'investigation et la démarche d'action thérapeutique peuvent se confondre. On tend alors à ne pas dissocier la compréhension et la thérapie, c'est ainsi que, de l'enfant examiné par chacun sous des angles différents — ce qui aboutit à un bilan à visée diagnostique pour mettre en place une démarche thérapeutique — on passe à une autre démarche où diagnostic et traitement sont mêlés. La rencontre successive avec différents «spécialistes» apparaît plus préjudiciable que profitable à l'enfant et à l'adolescent.
L'accumulation de bilans spécialisés est alors supposée ne pas rendre compte de l'essentiel du phénomène et pouvoir être avantageusement remplacée par simplement une ou deux rencontres, débouchant rapidement sur une intervention. En effet, ces diverses relations comportent à chaque fois une dimension transférentielle pouvant nuire à l'installation du transfert jugé plus fondamentalement et insécuriser l'enfant ou l'adolescent amené à chaque fois à réexprimer sa problématique.
Ainsi ce troisième glissement fait-il passer de la notion de deux temps bien différenciés de diagnostic et de traitement, à la notion d'une démarche plus souple, moins différenciée, moins systématique dans laquelle la personnalité, le sexe de l'intervenant jouent un rôle aussi important que le bilan qu'il est capable de produire.
— La notion même de traitement
Si la démarche est moins systématisée et systématisable, il ne 'agira plus de traitement spécifique de troubles spécifiques, mais l'une sorte de «prise en charge» de l'individu par l'équipe. Cette prise en charge est moins nettement formalisée par le jeu symbolique, par le corps, par le dialogue, par l'action psychodramatique avec simultanéité ou succession de ces approches.
— Le quatrième glissement
Il a trait à l'objet — même sur qui s'applique le diagnostic et le traitement. S'il n'est plus appréhendé comme un individu isolé mais comme élément d'un ensemble relationnel plus vaste (l'enfant dans la constellation familiale, par exemple), l'activité de l'équipe s'adressera non plus à l'enfant en tant que tel, mais à l'interaction enfant-environnement familial. Ainsi glisse-t-on de l'enfant vu comme un malade présentant des troubles et des symptômes à l'enfant-être en situation de malaise existentiel dont les difficultés peuvent trouver racine dans une problématique familiale globale et en être l'expression directe.
La pratique des consultations de groupe, où l'ensemble de la famille, au moins l'enfant et ses parents, est mis en présence de plusieurs membres de l'équipe, semble une émanation de cette nouvelle orientation.
Aux deux phases de diagnostic et de traitement, on a substitué une phase plus souple que l'on qualifie en général « d'élaboration de la demande». Les regards cliniques que nous avons précédemment portés sur le C.M.P.P. sont l'illustration de cette pratique.
Il s'agit en fait de comprendre la genèse du symptôme, comment le sujet a été amené à le produire. Cela se fait en dissociant un phénomène essentiel, relatif à ce qui explicite la formation du symptôme et qui est «la demande», du phénomène accessoire qui est l'objet de la demande.
Si l'équipe pose la signification qu'elle dévoile comme vérité et celle qu'exprime le consultant comme fourvoiement, l'on comprend comment cela peut fonctionner comme un piège et pourquoi nous avons employé le terme de négociation.
A ce point de notre propos, quatre considérations s'imposent :
1. Il s'agit de notions métapsychologiques issues de conditions très particulières et très codifiées de la situation psychanalytique. Ne sommes-nous pas quelquefois trop enclins à déplacer des concepts élaborés dans un type de situation, à une autre situation sans trop s'inquiéter de leur validité ?
L'équipe n'intervient pas dans un espace, un lieu analytique. Si le fantasme y est pris en compte, il ne peut l'être en dehors de la réalité ambiante et des contraintes sociales, autrement dit, l'utilisation de ces concepts ne peut se faire de la même façon que dans les conditions de la cure psychanalytique classique.
- Certes, il existe chez l'enfant quelque chose de l'ordre de sa demande inconsciente, de son désir inconscient ; certes, l'enfant est le témoin des désirs que son entourage projette sur lui, mais prendre en compte ces éléments ne veut pas dire donner à eux seuls de l'importance. Quelquefois, pour les avoir trop méconnus, nous les valorisons trop. Il y a là un piège propre au fonctionnement de l'équipe multidisciplinaire qui consiste à rabattre ce pluriel des discours dont elle est le siège, cette différence de points de vue, sur un seul. Lorsqu'il ne s'agira plus pour l'équipe que de «faire émerger la demande » ou de « libérer la parole » l'équipe fonctionnera sur un seul code, sur un seul registre, et elle fera de ce phénomène particulier une hyperréalité au sens que lui donne Baudrillard, c'est-à-dire une réalité qui loin de garder sa place et son poids dans l'ensemble des autres tiendra à prendre toute la place et à être hypertrophiée d'une manière abusive, qu'elle soit pédagogique ou psychanalytique. Il y a donc un piège à tout réduire à la problématique d'un sujet, piège pour l'équipe, mais aussi piège pour l'enfant et sa famille, trop d'éclairage sur l'acteur principal laisse les autres protagonistes de la pièce dans l'ombre. Cette tentation pour l'équipe de ne plus fonctionner que sur un seul registre vaut pour toutes ses dimensions, elle est d'autant plus grande que la démarche diagnostique est une démarche de compréhension psychologique et qu'il s'agit de la démarche d'un groupe, ce qui introduit la troisième considération.
- Il n'est pas dans notre propos de développer ici ce qui est la démarche de compréhension psychologique : nous souhaitons simplement signaler la différence fondamentale et bien scientifique vers laquelle tend la pratique médicale.
Lorsqu'on est dans une situation de connaissance scientifique, il suffit largement de comprendre le problème qui est posé, peu importe que nous soyons au clair avec nos propres réactions face à ce problème. Dès que l'on quitte les sciences exactes pour les sciences humaines, la part de la compréhension plus émotionnelle augmente et nous avons à déterminer non seulement ce que les émotions et les sentiments exprimés par le sujet signifient pour lui, mais également ce qu'ils signifient pour nous. Si l'émotion du patient doit être évaluée, il est tout aussi important d'évaluer l'émotion du thérapeute, qui prend aussi valeur de symptôme.
Le praticien, dans notre domaine, ne fait pas que «raisonner», il entre aussi quelque peu en résonance. Tout le jeu de l'investigation psychologique se passe donc dans ce va-et-vient : rapprochement émotionnel jusqu'à la quasi-identification au patient, retrait et distanciation en vue d'une objectivation.
La formule consacrée par certaines équipes de manière dogmatique : «libérer la parole», contient en germe une possibilité d'imposture. Car cette parole sera à la fois code et contenu subjectif, au plus elle sera l'un, au moins elle sera l'autre. Peut-être que cette double polarité code et contenu subjectif s'articule à une autre, le corps et le langage. Peut-être avons-nous à réintroduire dans nos préoccupations le corps de l'enfant, mais dans une véritable perspective biologique, celle justement de la vie, et non pas par l'accumulation de bilans partiels des différents appareils et viscères de son économie ; peut-être qu'à propos de ce corps, tout reste à découvrir.
Peut-être qu'à côté des institutions où l'on ne s'intéresse qu'à sa mécanique, celles dont justement Jacques Attali prédit qu'elles seront remplacées demain par des machineries à la portée de tous, peut-être qu'à côté des lieux où l'on ne s'occupe que de cette étoffe de rêve dont est fait l'humain — pour reprendre ce propos que Shakespeare prête à Prospero dans La Tempête — peut-être y a-t-il place pour un lieu où le phénomène sera appréhendé dans ce qu'il a de global, la somme des perspectives ne se réduisant pas, en l'occurrence, à leur simple accumulation. Notre savoir exploite des signes, il exploite aussi des déplacements et des répétitions, ce qui amène à la quatrième considération.
- Cette démarche de compréhension psychologique, c'est un groupe qui la mène. Il existe donc dans l'équipe elle-même un dynamisme qui est en lui-même thérapeutique. Les équipes de C.M.P.P. ont acquis une certaine expérience face à cette problématique des désirs de l'enfant et de sa famille. Face à l'intersubjecti-vité problématique enfant-famille, nous faisons entrer en résonance l'intersubjectivité de l'équipe.
Cette équipe est un groupe social restreint, et si un sujet vient le consulter, c'est bien parce qu'il existe à son propos quelque défaillance entre lui et le groupe social au sens large.
A ce point de notre propos, nous devons faire deux remarques, eu égard à cette notion de compréhension psychologique par un groupe, des problèmes concernant l'articulation d'un individu au social.
La première remarque est relative au modèle théorique qui sous-tend notre démarche. Ce modèle théorique s'appuie essentiellement sur le préfixe « inter » — « entre » — c'est-à-dire, si nous en croyons le dictionnaire : « qui sert à former de nombreux composés en exprimant soit l'espacement, la répartition dans l'espace et dans le temps, soit une relation, un lien de réciprocité».
Nous sommes dans l'«inter», l'équipe est interdisciplinaire, celui qui reçoit dans l'équipe la parole de l'autre est «interpellé», le C.M.P.P., dit-on, est né dans un «interstice social» et dans son environnement il est inter-dépendant, d'ailleurs ne souhaitons-nous pas être liés par convention avec l'intersecteur ?
Autrement dit, nous sommes toujours en train de concevoir des éléments spécifiquement définis entre lesquels il se produit des échanges, des distanciations ou des rapprochements, l'individu et le social, l'âme et le corps, le biologique et le spirituel...
Peut-être pourrait-on s'interroger sur un modèle où le préfixe qui sous-tend notre démarche serait, non plus «inter», mais «trans», c'est-à-dire, si l'on en croit toujours le dictionnaire : «au-delà de», «à travers», qui marque le passage ou le changement.
Cela veut dire qu'il y a lieu de s'interroger sur cette réification que nous sommes constamment amenés à pratiquer. Il y a l'enfant, c'est une réalité, mais peut-être faut-il nous dégager d'une conception anthropocentrique. L'enfant se fait, non seulement dans le monde, mais avec le monde, grâce au monde. Il est aussi, d'une certaine façon, tout son environnement.
Il y a la famille, mais elle n'est pas, selon l'expression de R. Castel, en état «d'apesanteur sociale», le social n'est pas une autre chose avec laquelle elle échange, elle est le social.
Il y a l'institution C.M.P.P., mais elle est dans son essence même un vaste traversement et c'est peut-être la traversière qui va aider un sujet à franchir ce qui était devenu pour lui un obstacle.
Il y a un individu, mais dans cet individu il y a de l'ordre et du désordre, du sens et du non-sens.
Peut-être faut-il se résoudre à bâtir un modèle théorique qui nous permette mieux d'appréhender ce qui, en lui, est aussi bien de l'ordre et du désordre biologique que de l'ordre et du désordre social, passer de l'intersubjectif à une transindividuation.
Autrement dit, si nous considérons l'équipe comme articulation entre deux choses bien définies, l'individu et la société, nous retomberons, dans cette perspective dualiste, dans les mêmes pièges où nous sommes tombés à propos du sujet et de l'objectivation, de la psychogenése et de l'organogenèse.
Autrement dit, peut-être n'y a-t-il pas une étape de psychogenèse bien différenciée d'où émerge l'individu qui pourrait alors entreprendre sa sociogenèse ou sa socialisation, peut-être est-ce le même phénomène appréhendé sous des regards différents.
La deuxième remarque a trait à la méthodologie que nous employons. Nous sommes, jusqu'à maintenant, à propos d'un sujet, préoccupés par le passage de ce que nous appelons le «contenu manifeste» de ce qu'il exprime au «contenu latent». Nous fonctionnons comme cela, selon ce terrible postulat de la signification par lequel toute parole, tout comportement au sens large ne signifie pas forcément ce qu'il paraît exprimer. C'est cela le fonctionnement de notre démarche psychologique. Si nous nous tournons vers les sciences sociales ou psychosociales, elles se préoccupent, elles, d'articuler des contenus manifestes.
Sans doute, il va falloir dépasser l'une sans tomber dans l'autre et cette incidence méthodologique est importante.
Telles sont les considérations rapides qu'il nous paraissait utile de faire à propos de l'évolution des idées et des pratiques. L'irruption du social qui en constitue le moment actuel nous conduit naturellement au chapitre concernant la réglementation.
chapitre 11
LE C.M.P.P. ET SES INTERLOCUTEURS
Aucune institution n'existe de façon isolée, toutes fonctionnent comme élément d'un ensemble beaucoup plus vaste.
Ainsi l'évolution des idées et des pratiques, telle que nous venons de la décrire, résulte-t-elle, certes, de facteurs internes tels que l'évolution psycho-dynamique des groupes de travail constituant chaque équipe de C.M.P.P. ou de leurs options théoriques préva-lentes ; mais aussi de facteurs externes à l'équipe qui entrent pour une large part dans cette évolution. Parmi ceux-ci il y a lieu de citer le milieu particulier social et culturel sur lequel intervient l'équipe, et les rapports que l'institution C.M.P.P. a contractés, tout particulièrement avec ceux qui, dans cet environnement, praticien ou institution, concourent à des objectifs voisins.
Il nous a donc paru important de reprendre l'évolution de ces rapports, dans une perspective beaucoup plus large que celle du chapitre précédent.
Cela revient à s'interroger sur la fonction sociale C.M.P.P. , sur la manière dont cette institution fonctionne dans son environnement, sur les liens sociaux qu'elle tisse, sur les tiers sociaux ou sur les institutions qui l'utilisent. Ces questions sont apparues suffisamment intéressantes à l'Association nationale des C.M.P.P. pour entreprendre, grâce à l'aide du ct.e.r.n.h.i. (centre technique d'études et recherches nationales sur les handicaps et les inadaptations), une recherche sur ce thème en mobilisant dix équipes de C.M.P.P., réparties sur le territoire national.
Il serait hors de propos dans le cadre de cet ouvrage de présenter les résultats d'une telle recherche, nous nous contenterons donc, chemin faisant, d'indiquer les grandes tendances que ces résultats révèlent.
En somme, il s'agit là de regards extérieurs sur le C.M.P.P., portés précisément par ceux qui l'utilisent.
l'évolution générale du processus de solidarité auprès de l'enfant et de sa famille
De manière très schématique, on peut opposer la société ancienne à la société moderne issue de la Révolution.
La société ancienne s'articule sur les structures familiales1, c'est le chef de famille qui vote aux Etats généraux et la vie politique se résume souvent à des conflits entre ceux que précisément on appelle «les grandes familles». La relation prédominante est de type hiérarchique selon un modèle paternaliste. La société est monothéiste évoluant sous l'œil de Dieu le père, elle est monarchique, le roi étant le père de ses sujets, les relations intrafami-liales sont marquées du sceau de la puissance paternelle.
Cette cellule familiale ancienne est élargie en particulier à la domesticité, elle vit dans une absence d'intimité, de façon grou-pale, peu individualisée. Mais surtout elle est soumise aux interventions de la communauté villageoise ou du quartier faisant fonctionner toutes formes de solidarités horizontales de voisinage. L'Etat est protecteur, mais il n'y a pas de protection sanitaire et sociale étatique, il n'y a pas d'instruction obligatoire pour tous apportée par l'Etat. La famille est non seulement une unité de consommation mais aussi de production, paysanne, artisanale ou commerciale.
La société moderne qui se développe à partir de la Révolution française résulte d'une volonté collective de construire rationnellement la société, évolution inséparable de celle du développement scientifique qui voit naître et s'étendre deux processus de solidarité, mais aussi de normalisation, s'exerçant sur l'enfant, le processus sanitaire et le processus éducatif.
La famille acquiert une intimité, s'isole de l'environnement social, les échanges s'internalisent. La puissance paternelle s'émousse, la société adopte des modèles moins autoritaires et hiérarchiques, plus égalitaires. La vie politique n'est plus un prolongement de la vie des grandes familles et l'économie s'exerce largement en dehors du cadre ancien : la solidarité horizontale de voisinage diminue au profit d'une solidarité verticale étatique, l'Etat tend à devenir l'Etat-Providence2.
Le processus éducatif s'appuie sur des principes politiques tels que la formation des citoyens, en assurant l'égalité des chances, mais il coïncide avec la révolution industrielle où la normalisation du produit fini succède à l'artisanat.
C'est ainsi que l'école donne de meilleures chances à l'individu grâce à l'instruction et prévient le désordre social ; elle doit uniformiser et standardiser un milieu social très diversifié, dans la langue, les coutumes comme dans les instruments de poids et mesures. Dès lors, il était inévitable que la scolarisation en masse d'enfants de toutes classes sociales s'accompagne d'échecs, et l'école tout à la fois assure la prévention de l'inadaptation et fabrique des inadaptés.
Parmi les résultats de la recherche effectuée, si l'on se livre à une analyse en quelque sorte topologique des lieux sociaux où sont prodigués aux familles des conseils de consultation en C.M.P.P., on trouve l'école à la première place3.
Cela n'est pas étonnant. L'école demeure, dans la majorité des cas, la première institution sociale à laquelle est confronté l'enfant. Certes, elle n'est pas la seule, les crèches, les haltes-garderies... fonctionnent également comme lieu de toute première socialisation mais par rapport à elles, l'école est un lieu plus organisé, plus hiérarchisé.
Il devient alors évident que toute défaillance d'un enfant par rapport à la norme, qu'il s'agisse d'une norme comportementale ou du processus habituel des apprentissages scolaires, peut être à l'origine d'une démarche de consultation en C.M.P.P. Cela implique pour le C.M.P.P. des liens avec le milieu scolaire, mais qui fonctionnent, la plupart du temps, selon deux principes :
- Le C.M.P.P. est au service d'un enfant et non au service de l'école, cette dimension individuelle aboutit à la facilitation de l'intégration des différences plus qu'à l'uniformisation.
- Le C.M.P.P. est un lieu social différent de l'école et c'est bien parce qu'il se situe ailleurs par rapport à l'école qu'il pourra prétendre résoudre les situations difficiles qu'y connaissent certains enfants.
En contrepoint de cette constatation de l'importance de la relation qu'entretiennent le C.M.P.P. et l'école, il est intéressant de relever que les instances tout aussi scolaires mais administratives que sont les différentes commissions mises en place depuis ces dernières décennies pour réguler ces flux d'échecs, n'utilisent pratiquement pas les C.M.P.P. 4. On peut conclure de cette différence dans l'utilisation du C.M.P.P. entre le milieu scolaire proprement dit (les classes) et les commissions diverses que le C.M.P.P. se situe en dehors des processus de régulation des flux de populations que R. Castel5 a développés dans son ouvrage.
Le processus sanitaire se développe selon le modèle des maladies infectieuses. C'est un agent extérieur qui provoque la maladie, l'objectif à atteindre est l'éradication de cet agent morbide pour aboutir à la guérison en termes de restitutio ad integrum. La maladie prime sur le malade, il faut la connaître (diagnostic) avant d'agir (traitement). C'est la connaissance plus complète de la maladie (épidémiologie) qui permettra le dépistage à grande échelle, la prophylaxie, la prévention.
Nous avons déjà indiqué dans le chapitre précédent comment la pratique pédo-psychiatrique en C.M.P.P., comparable au début à celle de la psychiatrie de l'adulte, s'est développée rapidement de façon différente.
Si la médecine organique traditionnelle produit schématique-ment soit la restauration complète chez les curables, soit la persistance d'un handicap plus ou moins important chez les incurables, chez l'enfant — et dans le nouveau champ psychopathologique — l'alternative curable incurable fut rejetée et la finalité ne fut pas uniquement de guérir.
Trois notions capitales apparurent d'emblée :
- Le dépistage s'imposa par la nécessité de trier, si l'on peut dire, les enfants susceptibles de parvenir aux apprentissages habituels et ceux qui n'y parviendraient pas et nécessiteraient des soins appropriés. Il n'est pas besoin de rappeler ici que c'est sur demande très officielle que la collaboration d'un médecin et d'un pédagogue, Binet et Simon, par la mise au point d'une échelle métrique de l'intelligence, fonda la psychologie des tests.
- La prévention est une notion qui apparut rapidement mais, à cette époque où les problèmes de dépistage étaient les plus préoccupants, la prévention se confondit avec le dépistage précoce.
- La rééducation fut une troisième notion capitale. La visée de la rééducation n'est pas de guérir l'enfant au sens traditionnel du terme, mais de lui donner les moyens, malgré son handicap, de tenir une place dans la société. Ainsi pouvait se développer une médecine différente, médico-pédagogique, médico-sociale.
C'est, certes, cette perspective qui permit le développement de multiples institutions et la création, puis l'essor de professions nouvelles, psychologues, rééducateurs divers, car l'expansion institutionnelle allait de pair avec la professionnalisation de ce nouveau champ.
1. Nous renvoyons le lecteur aux travaux de Philippe Ariès (L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Pion Editeur, Paris, 1960, 503 p.).
- Voir à ce propos l'ouvrage de Rosanvallon : La crise de l'Etat-Providence, Ed. du Seuil, Paris, 1981, collection Points, 130 p.
- Dans la recherche précitée, 57 % des conseils de consultation en C.M.P.P. provenaient des institutions scolaires.
- 1,69 % des conseils dans la recherche précitée.
- R. Castel, La gestion des risques. De l’antipsychiatrie à l'après-psychanalyse, Les Editions de Minuit, Paris, 1981.
LE SECTEUR DE L'ENFANCE INADAPTÉE
Ce nouveau champ psychopathologique chez l'enfant et l'adolescent se développa dans un espace social particulier : le champ de l'enfance inadaptée. On peut y décrire une caractéristique originelle et deux caractéristiques de développement.
La caractéristique originelle est liée au fait que ce champ naît en dehors des appareils institutionnels publics de la Santé et de l'Education. C'est une loi rendant possible, dès 1901, les associations privées à but non lucratif, qui permit le regroupement de notables, de personnalités intéressées par ce problème, créant puis gérant grâce à la structure associative de nombreuses institutions.
D'une part, en effet, la doctrine hospitalière imposait le fonctionnement intramuros et l'hôpital gardait dans ses structures, leur vie durant, les déficients mentaux qu'il accueillait. D'autre part, il n'existait pas d'obligation légale de créer des classes de perfectionnement dont le financement revenait aux communes ou aux départements.
Ainsi se créa tout un ensemble d'institutions sous l'impulsion de notabilités locales dans un but de «sauvegarde de l'enfance». On aurait tort de considérer cette création comme un simple accident historique résultant du manque d'intérêt ou de la lourdeur des administrations concernées. On peut formuler l'hypothèse que ce fonctionnement associatif est une résurgence des solidarités de voisinage, expression d'une dynamique de forces sociales qui nous échappent en partie.
Si cette hypothèse se vérifie, la méconnaître serait une erreur grave en matière de politique de prévention.
Enfin, il y a lieu de signaler que si le terme d'« inadaptation » était utilisé, c'est bien parce que ces institutions et ces pratiques nouvelles se développaient dans une prospective de prévoyance sociale.
Adapter l'enfant inadapté revenait à prévenir les risques chez l'adulte et donc le désordre social. Le «danger moral» était sans cesse mis en avant dans la justification des actions entreprises.
Les deux caractéristiques du développement du champ de l'enfance inadaptée doivent être rappelées si l'on veut comprendre les problèmes qui peuvent se poser actuellement.
La première caractéristique est que l'expansion de ce champ associatif a été très rapide au regard de l'expansion, réduite au début, du secteur public.
Actuellement, les choses ont changé et le piège serait de traiter les problèmes à résoudre selon une opposition privé-public, avec tous les fantasmes possibles de l'absorption de l'un par l'autre, alors que tout médecin est depuis longtemps dans une relation individuelle, médecin-malade, de caractère privé, mais est aussi un agent de l'Etat lorsqu'il appose sa signature sur les documents administratifs divers et souvent envahissants.
Il est tout à fait intéressant de repérer dans les résultats de la recherche précitée que le deuxième lieu social prescrivant le plus l'institution C.M.P.P. est représenté par les institutions ou les praticiens du secteur de la Santé.
Mais on peut constater une différence importante, dans ce résultat, entre le pourcentage important de «prescriptions de c.m.p.p- » provenant de praticiens exerçant en pratique libérale et celui provenant de praticiens exerçant dans d'autres institutions de Santé (hospitalière, d.d.a.s.s., ou intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile...) puisque, schématiquement, les praticiens exerçant en libéral prescrivent quatre fois plus le C.M.P.P. que ceux travaillant en institutions. Ce résultat nous semble tout à fait significatif. Dans un cas, la commande de consultation en C.M.P.P. paraît s'appuyer sur une compétence reconnue à celui-ci. Dans l'autre cas, la rareté de l'appel au C.M.P.P. paraît bien répondre à une sorte de «concurrence institutionnelle».
Ce fait est d'autant plus intéressant à signaler que la plupart des praticiens de la psychopathologie s'accordant à dire que, quel que soit le trouble manifesté, un enfant peut être relever à certains moments de son évolution d'une cure ambulatoire, à d'autres d'une hospitalisation complète, d'un semi-internat, d'une hospitalisation de jour, de lieux plus thérapeutiques ou plus pédagogiques.
Comment cela peut-il fonctionner dans l'intérêt de l'enfant, si les institutions se révèlent aussi étanches?
La deuxième caractéristique du développement du secteur de l'enfance inadaptée est qu'elle est indissociable du vaste mouvement de professionnalisation ; citons l'apparition de la pédopsychiatrie héritée de la neuropsychiatrie infantile, mais aussi la création de professions telles que psychologues, rééducateurs divers (du langage, du corps), qui découpèrent l'enfant en tranches d'âge et en secteurs d'activités diverses tous réputés à finalité thérapeutique. On songe, à voir l'inflation considérable des acteurs de terrain, à l'inflation des spécialités médicales. Mais on peut se demander s'il est aussi licite de fonder de la sorte des professions nouvelles, d'autant que par la suite les affrontements corporatistes et le poids des groupes de pression ne facilitent pas les solutions.
l'action en milieu naturel
Sans revenir sur ce qui a été dit au chapitre concernant l'historique des C.M.P.P., rappelons que c'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu'un mouvement est apparu visant à maintenir l'enfant en difficulté dans son milieu dit «naturel», familial, scolaire ou professionnel.
Ce mouvement était à l'opposé de celui qui visait à l'exclusion à vie dans un monde de type asilaire ou à la ségrégation dans des classes dites spéciales.
Ce mouvement se développa d'autant plus qu'une notion fondamentale apparut : l'enfant n'était parfois, par ses difficultés, qu'un symptôme de difficultés relationnelles dans son environnement (couple parental, milieu familial, scolaire...), légitimant ainsi des actions sur cet environnement plus que sur cet enfant. Ces actions auprès de l'environnement avaient une double portée, à propos du cas précis d'une part, mais aussi en permettant que la réponse de l'environnement, à propos d'autres enfants se modifie d'autre part. Ainsi pouvait se développer une prévention de type primaire qui ne se confondait plus avec le dépistage précoce, puisqu'elle s'exerçait avant et en dehors même de la présence physique de l'enfant et de la constatation de la difficulté.
Il y a lieu cependant de revenir sur les deux courants d'origine fondateurs du C.M.P.P., car ils sont encore présents malgré l'évolution des idées.
Dans le champ pédagogique, les tenants de l'éducation spéciale rejetaient l'idée que les manifestations rencontrées chez certains enfants n'accédant pas à la culture et aux apprentissages, pouvaient être considérées comme des troubles et relevaient du champ de la pathologie. Ils condamnaient la psychiatrisation, puis la psychologisation, jugée abusive, de ces manifestations. Mais, dans le même temps, ils prétendaient tirer la spécialisation de leur pédagogie des données les plus récentes de la psychologie et de la psychiatrie de l'enfant. Le concept de pédagogie curative était créé, aboutissant à un traitement, par des moyens pédagogiques, de manifestations dont on niait le caractère pathologique. Dans le même temps, les méthodes de pédagogie active fleurissaient, faisant la plus belle part au désir de l'enfant et rompant avec la pédagogie traditionnelle.
En contrepoint se développait le modèle médico-psychologique où la praxis restait de type médical, mais se démarquait de la pratique habituelle. L'enfant n'était plus appréhendé comme un individu isolé, mais dans ses interactions avec l'environnement. La cure devenait ambulatoire, dans le milieu de vie, prenant en compte, dans une guidance élargie, l'ensemble de la constellation familiale.
Le C.M.P.P., apparu à la confluence de ces deux courants, tenta de fusionner le modèle psychopédagogique dans une pratique d'autant plus multidisciplinaire que de nombreuses disciplines et sous-disciplines voyaient le jour.
A-t-il réussi dans cette entreprise ?
Un certain nombre de réponses peuvent être tirées de la recherche précitée. Nous allons rapidement les reprendre pour mieux répondre à cette question et appréhender comment le C.M.P.P. se situe dans son environnement.
Le C.M.P.P., d'une manière générale, ne participe pas au dispositif de régulation des populations d'enfants, représenté par les différentes commissions mises en place par voie réglementaire. Le conseil de consultation en C.M.P.P. n'est prodigué aux familles ni par les instances administratives, qu'elles soient scolaire ou de santé, ni par les institutions voisines, mais bien par les acteurs de terrain, professionnels de l'enfance, soignants ou enseignants. Les relations et les échanges que l'institution C.M.P.P. noue, se développent dans une dimension individuelle.
Cette dimension individuelle des relations est prévalente, qu'elle se noue avec des non-professionnels ou avec des professionnels de l'Education ou de la Santé.
Dans le même ordre d'idées, il est intéressant d'indiquer que les demandes adressées au C.M.P.P. et provenant du secteur de la Justice sont pratiquement inexistantes. Ce constat est cependant à nuancer car un certain nombre d'institutions C.M.P.P. sont associées à un service d'assistance éducative en milieu ouvert fonctionnant lui, parfois exclusivement, avec les services de la Justice. Une différence importante entre l'intervention d'une équipe de C.M.P.P. et d'une équipe d'A.E.M.O. paraissant bien être que l'équipe d'A.E.M.O. intervenant auprès des familles est mandatée par un juge d'enfants, ou par un autre tiers social9, alors qu'une équipe de C.M.P.P. ne reçoit son mandat que de la famille qui souhaite la consulter. Autrement dit, une des valeurs essentielles, que nous analyserons dans le prochain chapitre, auxquelles les praticiens de C.M.P.P. tiennent, est la libre démarche de la famille, dans une pratique de médecine libérale, marquée par le libre choix et le contrat tacite.
Cette absence de contrat est d'autant plus intéressante à signaler que les deux tiers des enfants qui consultent en C.M.P.P. le font en raison de difficultés dites affectives, de caractère, de comportement 10.
Ainsi, pour répondre à la question que nous posions plus haut, le C.M.P.P. fonctionne non comme une institution de pédagogie spéciale, mais comme une institution thérapeutique, différente de l'école.
Lorsque les enseignants conseillent la consultation au C.M.P.P., c'est bien parce qu'ils lui attribuent une compétence dans un domaine différent de celui de l'enseignement.
L'évolution actuelle semble d'ailleurs se faire vers l'accentuation de la spécificité des compétences. Il est peu d'auteurs pour défendre que les lieux d'éducation et les lieux de soins doivent être confondus, ce qui n'empêche pas de se préoccuper d'enseignement dans les institutions de soins ou de l'influence de soins dans les institutions d'enseignement. Mais l'école n'est plus totalement fermée sur elle-même, elle s'ouvre à la collaboration multidisciplinaire, l'exclusion est condamnée et doit céder la place à l'intégration des différences, et des projets individuels apparaissent, à l'école, pour des enfants déterminés. Cela a pour conséquence inévitable que la notion d'enfant inadapté, beaucoup trop vague et imprécise, doit être abandonnée et qu'il est nécessaire de préciser ce qui doit relever du soin et ce qui est du domaine de l'éducation. Le problème est trop vaste, trop préoccupant, il engage trop l'avenir pour ne pas resituer clairement les équipes à vocation médicale, quel que soit leur statut, dans leur champ de compétence où elles exercent avec leur déontologie propre (libre choix, secret médical...) et faire en sorte qu'elles travaillent de manière différenciée avec les autres intervenants qui ont une autre spécificité d'action, sans s'y fondre ni s'y confondre.
LE C.M.P.P. ET L'ACTIVITÉ EXTRA-HOSPITALIÈRE DE SANTÉ MENTALE
Il serait tout à fait hors de propos de retracer ici le mouvement qui, dans le champ de la psychiatrie de l'adulte, a ouvert de larges brèches dans la conception « asilaire » du dispositif de lutte contre les maladies mentales et a abouti à la conception couramment désignée sous le nom de «politique de secteur».
L'idée d'un système de soins selon le modèle sectoriel, spécifique de l'enfance, ne s'est pas imposée d'emblée. Il est vrai que le problème se posait de façon différente, avec en particulier l'impact du mouvement des parents d'enfants inadaptés militant pour le maintien de leur enfant dans leur famille. C'est en 1972 que les textes réglementaires différencièrent la politique de secteur en faveur des adultes de celle en faveur des enfants11.
Les principes de cette politique, que nous rappellerons très brièvement, sont les suivants : continuité de l'action entreprise par la même équipe auprès de l'enfant et de sa famille, choix prioritaire chaque fois que cela est possible du maintien de l'enfant dans son milieu habituel de vie, activité de prévention selon les trois modalités habituelles (primaire par action sur le milieu avant l'apparition de troubles, secondaire par le dépistage le plus précoce possible, tertiaire par la limitation des effets de handicaps fixés).
Ces principes politiques s'exercent sur une zone territoriale définie arbitrairement12, la clé de voûte du dispositif étant le centre de santé mentale infantile, ou centre de diagnostic et de traitement ambulatoire, succédant aux consultations d'hygiène mentale infantile, aux consultations médico-psycho-sociales ou aux consultations médico-psychologiques pour enfants.
Cette définition ainsi rappelée, on ne peut qu'être frappé par la ressemblance de l'appareil public ainsi mis en place et les objectifs des C.M.P.P. créés par les associations.
Le texte réglementaire13 qui fonde le C.M.P.P. est, en effet, très clair. Les C.M.P.P. pratiquent «le diagnostic et le traitement» d'enfants atteints de «troubles neuropsychiques et de troubles du comportement». D'autre part, «le diagnostic et le traitement sont effectués en consultations ambulatoires sans hospitalisation du malade», le milieu dans lequel est maintenu l'enfant étant défini comme «milieu familial, scolaire ou professionnel et social», enfin «le traitement comprend une action sur la famille». Si l'on ajoute à cela la nécessité de «comporter un service social chargé d'assurer la liaison avec les autres services sociaux» et une obligation de postcure, on comprend que le C.M.P.P. soit souvent considéré comme le précurseur et le pionnier de ce que sera «le secteur » dix ans plus tard, alors que le texte inaugural réglementant le C.M.P.P. ne fait aucune référence à cette notion de secteur.
Quelques chiffres vont nous permettre d'appréhender comment peut se poser le problème des relations secteur-C.M.P.P. sur le plan quantitatif. Les C.M.P.P. étaient au nombre de 165 en France en 1971 selon le rapport J. Blanc, ils étaient 276 en 197714 et le tout récent questionnaire lancé par la d.g.s. a reçu 303 réponses...15.
- 66 % des demandes.
- Alors que le premier texte, concernant la politique de secteur, est une circulaire du 16 mars 1960.
- 200 000 habitants dans la circulaire du 16 mars 1972.
- Décret n° 63-146 du 18 février 1963, annexe XXXII du décret du 9 mars 1956 fixant les conditions d'autorisation des établissements privés de cure et de prévention.
- Selon le rapport 1977-1978 de l'inspection générale des Affaires sociales.
- Enquête ministère des Affaires sociales, février 1986.
Quant aux intersecteurs, les services du ministère de la Santé annonçaient en 1970 le chiffre de 23 médecins chefs de services de pédopsychiatrie, alors qu'en mai 1981, ils révélaient que 224 secteurs étaient réalisés sur les 286 prévus.
On comprend très facilement au regard de ces chiffres les oppositions voire les conflits locaux qui ont pu naître. D'un côté des C.M.P.P. occupant le terrain depuis de nombreuses années en l'absence de concurrence, découvrant au fil de leurs expériences la nécessité d'élargir leurs activités à des activités plus globales sur l'environnement, innovant souvent ces activités mais doublement contraints par l'étau économique et l'étau politique. L'étau économique ? Il résulte du mode de financement prévu pour les C.M.P.P. , à la « séance » définie par la présence physique de l'enfant, qui a pour résultat que toutes les actions globales dites indirectes, mobilisant du personnel, viendront immanquablement surcharger le coût de la séance, rapidement apprécié comme abusif.
L'étau politique? Il résulte du fait qu'il ne pourra s'agir que d'initiatives locales ne s'inscrivant pas dans une planification à dimension nationale et dont la légitimité ne résultera que de l'appréciation des pouvoirs locaux.
Du côté des médecins chefs de secteur public, la volonté de mettre en place une politique de secteur est devenue une véritable référence doctrinale, mais pouvaient-ils le faire avec des moyens institutionnels déjà existants dont le contrôle leur échappait complètement? Comment ne pas être tenté, lorsqu'on veut suivre une politique, de s'en donner d'abord les moyens?
Cela était d'autant plus inévitable que le C.M.P.P. et le secteur ne sont pas des édifices institutionnels conçus a priori mais bien la mise en place pratique de nos connaissances en matière de psychopathologie infanto-juvénile, domaine par excellence où théorie et praxis se confondent, réalisant ce que Bachelard dénommait des «théories en action».
Le C.M.P.P. reste l'organisation adéquate, en l'état actuel de nos connaissances, pour répondre aux difficultés psychologiques des enfants, il n'est pas un modèle parce qu'il a été premier, il est un modèle parce qu'il est pertinent. Il n'y a pas actuellement de différence importante entre la pratique auprès d'enfants d'un centre public de santé mentale et celle d'un C.M.P.P.
Sur un plan plus global de santé mentale, la politique de secteur n'est pas un accommodement de moyens existants, d'origine et de nature variées, mais une forme d'organisation actuellement pertinente répondant elle aussi à nos connaissances dans le domaine de la psychopathologie infantile.
Comment, dès lors, concevoir l'articulation des C.M.P.P. et du secteur public de psychiatrie infantile ?
Nous nous arrêterons quelque peu sur ce problème. Car, si celui des liens du C.M.P.P. et de l'école semble tout à fait réglé, nul ne songeant actuellement à faire du C.M.P.P. une institution de pédagogie spéciale, mais bien une institution de traitement où les rééducations et la psychopédagogie s'inscrivent dans un projet thérapeutique individuel et s'articulent dans une organisation institutionnelle à finalité curative, le problème des rapports C.M.P.P. secteur public psychiatrique est loin d'être résolu.
Deux idées très générales doivent d'abord être discutées. La première concerne les types de rapport habituellement mis en avant, la seconde concerne la différence entre prévention et traitement.
La première approximation superficielle des rapports C.M.P.P. service public de psychiatrie infantile consiste à dire que les C.M.P.P. sont apparus les premiers, le service public ensuite. Le C.M.P.P. ne serait plus alors qu'une première ébauche, d'initiative privée, d'une institution dont la forme sociale achevée serait le service public, on ne témoignerait plus à leur égard que de cette tolérance manifestée aux vétérans qui se sont certes bien battus, mais qui sont devenus moins performants.
Une telle vision nous semble erronée, mais surtout elle aboutit à une impasse. Impasse, car on nie alors cette sorte de génération spontanée de pratiques de solidarités locales dont témoignent les expériences qui sont nées et naissent toujours dans les C.M.P.P., ici ou là. En fait, il n'y a peut-être pas de génération totalement spontanée de pratiques sociales, et en ce sens Pasteur avait raison, mais il y a des générations dont le déterminisme nous échappe et risque de nous échapper longtemps encore.
Impasse, si l'on estime qu'un seul modèle institutionnel, qu'un seul type d'organisation doive exister. D'ailleurs, le voudrait-on que cela serait irréalisable, car toute institution fonctionne d'abord par les individus qui la constituent et chaque groupe humain a sa propre dynamique évolutive.
Impasse enfin si, dans le but de réduire les coûts, on estimait que les modèles institutionnels devraient dans un endroit déterminé se compter à l'unité. Ce serait en effet nier le jeu des déplacements et des répétitions opéré au travers d'institutions successives par les individus qui la fréquentent, jeu caractéristique du fonctionnement psychologique individuel.
Le service public de psychiatrie n'est pas dans un rapport de filiation avec le C.M.P.P., il serait, semble-t-il, plutôt dans un rapport de fraternité.
La deuxième appréciation des rapports entre ces deux institutions consiste à dire que la différence est simple :
- l'une est de nature privée,
- l'autre de nature publique.
16- Travailleurs sociaux est entendu ici au sens très général du terme.
- Enquête ministère des Affaires sociales, février 1986.
Cela est certain, mais peut-on la considérer comme une différence essentielle, alors que les équipes publiques s'engagent dans une pratique auprès d'individus s'appuyant sur la même théorisation de la psychopathologie, utilisant les mêmes moyens dans la même perspective déontologique, et que les équipes privées mènent des actions auprès du public souvent légalisées par le biais de conventions.
La différence n'est pas une affaire de champ, il s'agit dans les deux cas de celui de la psychopathologie infanto-juvénile. La différence n'est pas affaire de dosage multidisciplinaire, il y a un style de pratique propre à chaque équipe et quel que soit son statut, finalité, doctrine et déontologie sont analogues en grande partie.
Pourtant, nous formulons l'hypothèse que ce n'est pas simplement par hasard qu'une famille consulte dans un dispensaire ou en C.M.P.P.,que ce n'est pas par hasard que des travailleurs sociaux16 choisissent de travailler dans l'une ou l'autre de ces structures.
La différence de statut juridique de ces deux modèles institutionnels ne constitue pas une différence d'identité.
La troisième approximation du rapport entre ces deux institutions résulte d'une prétendue différence de clientèle.
Le C.M.P.P., nous l'avons déjà dit, a comme règle essentielle que ceux qui viennent le consulter le font dans une démarche tout à fait libre et volontaire. Le service public responsable au premier chef de la prévention serait plus facilement confronté au problème des populations à risque, celles précisément qui ne viennent pas consulter et dont il serait nécessaire de susciter la demande. En fait ces populations (immigrés, transplantés, marginaux, etc.) ne consultent volontairement pas plus dans l'une que dans l'autre institution et leur posent à toutes les deux les mêmes questions.
Enfin, la quatrième approximation résulte du «poids» donné à chaque institution, poids précisément puisque le C.M.P.P. représenterait un équipement léger et le service public un équipement lourd destiné à des cas dont la différence ne s'évaluera jamais par cette sorte de pensée. En fait, cure ambulatoire, séjour de l'enfant à temps Partiel, à temps complet sont des modalités différentes d'un processus qui, par essence, est thérapeutique dont l'indication relève de l'analyse du fonctionnement du réseau relationnel entourant l'enfant.
Il y a bien d'autres différences qui sont mises en avant. Il y a des différences génétiques avec celle résultant de l'implantation d'un service par décision planifiée des pouvoirs publics ou résultant de la rencontre in situ de besoins perçus et de désirs individuels cooptés en mouvement associatif.
Il y a des différences dans le régime économique propre à la fonction publique et à l'entreprise privée.
Mais il semble que la différence la plus essentielle réside, sinon dans la vocation, du moins dans l'image que les usagers s'en font, pré valence sanitaire dans un cas, service intégrant parfois organiquement la dimension pédagogique dans l'autre, et probablement bien d'autres différences. L'important n'est pas leur énumération, c'est le choix politique à faire. Si le C.M.P.P. et le service public ne sont pas dans un rapport de complète identité, s'il est nécessaire de continuer d'offrir plusieurs types de lieux institutionnels pour permettre aux usagers le jeu du déplacement, il faut maintenir les deux types d'institution. Mais dans un souci d'efficacité, il faut les articuler.
La deuxième idée générale qui mériterait discussion est celle de la différence entre traitement et prévention.
A première vue, cette différence est simple ; toute action dans un environnement qui ne s'exerce pas à propos d'un individu déterminé est une action d'information, de formation ou de prévention ; à l'inverse toute action à propos d'un individu relèverait de la thérapie individuelle. Or dans la pratique, cette différence est loin d'être aussi évidente. D'autre part, quel que soit le statut de l'équipe, quelques interventions auprès d'une famille et de l'enfant permettent souvent une nouvelle élaboration de leur problématique et évitent la mise en place d'un dispositif thérapeutique plus long. S'agit-il de prévention ou de traitement?
Pour ce qui nous concerne, nous pensons que le véritable traitement commence lorsque l'équipe soignante et l'enfant et sa famille ont posé le contrat thérapeutique et que, si l'on voulait disséquer ce qui guérit et ce qui prévient, il nous faudrait déployer beaucoup d'énergie pour un résultat qui n'a que peu d'intérêt. D'autre part, peut-on résolument différencier dans ces réunions entre les autrestravailleurs sociaux et l'équipe soignante, quand on parle d'un enfant ou quand on parle de tous les enfants ?
L'évidence amène à constater que toute équipe soignante, quel que soit son statut, produit de la thérapeutique individuelle mais aussi de la prévention, de l'information, même s'il s'agit d'effets secondaires et même si elle le fait, à l'instar de M. Jourdain, sans trop le savoir.
Cela étant dit, il est apparu, à l'Association Nationale des C.M.P.P., au fil du temps et de l'expérience, qu'un certain nombre de propositions simples pouvaient permettre de poser le problème du lien C.M.P.P. service public de psychiatrie.
La position générale de principe a été affirmée au cours des Journées Nationales de 1972, année de la parution de la circulaire sur l'intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile.
La motion qui a été adoptée à cette époque par l'assemblée générale nous a paru suffisamment explicite pour être reproduite in extenso : «Les C.M.P.P. qui adhèrent à l'Association nationale des C.M.P.P. définis par l'annexe XXXII, eu égard à leur existence, à leur expérience et à leur vocation thérapeutique, souhaitent participer à la mise en place de la Commission administrative et technique prévue par la circulaire du 16 mars 1972 relative à la sectorisation infanto-juvénile. »
Les termes étaient clairs. La circulaire recommandait en effet aux préfets d'organiser le dispositif sectoriel par la mise en place d'une commission de concertation à la fois médicale et administrative.
Près de quinze ans après, il ne doit pas y avoir beaucoup de départements où le dispositif a été mis en place à l'origine de façon aussi concertée.
Les choses se passèrent en fait de façon variable. De nombreux C.M.P.P. passèrent convention avec les responsables publics, ces conventions étaient de deux types extrêmes, le type le plus simple stipulant et organisant la concertation, convention permettant aux C.M.P.P. d'assumer certaines tâches, certaines missions. A l'opposé, le conventionnement chargeait le C.M.P.P. de toutes les tâches dévolues au service public dans l'ensemble du territoire prévu ou dans une zone particulière de celui-ci et, fait exceptionnel, le médecin directeur pouvait devenir médecin-chef de l'intersecteur par processus d'intégration. Dans l'autre cas, ce furent des médecins-chefs issus du service public qui vinrent travailler en C.M.P.P.
Dans bien des cas, les choses restèrent en l'état, les uns se repliant sur leurs institutions, les autres en créant de nouvelles toutes proches, tant il est vrai que quelle que soit l'incitation de la loi, c'est finalement la bonne volonté des hommes qui décide. De sorte que l'implantation des C.M.P.P., tout comme parfois l'implantation des centres de secteurs, s'étant souvent effectuée de façon plus ou moins anarchique sans tenir compte véritablement des besoins, en particulier dans la région parisienne, l'implantation des secteurs vint se superposer à celle des C.M.P.P. sans pour autant permettre de réaliser un dispositif plus cohérent.
Comment peut-on envisager une meilleure articulation entre le service public de psychiatrie infantile et les C.M.P.P. ?
Le principe fondamental d'une telle articulation est d'accepter que des missions publiques de prévention puissent être menées par des institutions de droit privé, la forme juridique du lien ne pouvant être qu'une convention.
Cette pratique n'a rien d'exceptionnel, le ministère de la Santé de tradition libérale ayant souvent confié une large part des actions médico-sociales à des groupements privés, par opposition au ministère de l'Education nationale, plus fréquemment tenu par des hommes de la tradition radicale et précocement centralisé.
Le deuxième principe est que cette convention ne peut concerner que les activités de prévention. Les C.M.P.P., en effet, concourent à deux types d'objectifs :
- L'objectif traditionnel de prestations de consultations et traitements ambulatoires auprès d'individus sur lesquels la responsabilité du médecin-chef de secteur ne saurait s'exercer ; l'indépendance et l'autonomie technique du C.M.P.P. doivent être maintenues, mais il est évident que le fonctionnement technique du C.M.P.P. ne devra pas être en contradiction avec la politique sectorielle générale.
- L'objectif de santé mentale assuré par des actions auprès de la collectivité qui ne peuvent être engagées par le C.M.P.P. sous sa seule responsabilité mais s'inscrivent dans un ensemble d'actions concertées ayant pour cadre le dispositif sectoriel. A ce titre la responsabilité du C.M.P.P. s'inscrit dans la responsabilité du dispositif sectoriel, le médecin-chef d'intersecteur ayant la responsabilité de cette coordination.
Enfin, le troisième principe est qu'il s'agisse précisément d'un conventionnement, procédant de la volonté et de la liberté des deux parties, qui ne saurait en aucun cas être imposé.
Ces principes étant admis, que règle le conventionnement?
S'agit-il d'une convention entre un service public et le service privé de pédopsychiatrie qu'est le C.M.P.P. ? Convention de service à service fixant une répartition des tâches médicales et administratives en termes de territoire, de nosologie, de tranches d'âges? Certainement pas, on pourrait même dire qu'il s'agissait là d'antisecteur.
Il s'agit d'une convention entre les différentes institutions, les différents moyens mis à la disposition du public pour prévenir et traiter sous différentes formes institutionnelles les manifestations psychopathologiques des enfants et des adolescents. Ces moyens comprennent le service public de pédopsychiatrie, le C.M.P.P., d'autres institutions ou services, qu'ils soient de nature juridique, publique ou privée, chacun de ces moyens étant un élément participant aux tâches de santé mentale.
Si l'on accepte l'idée d'un tel dispositif, la conséquence évidente est qu'il s'agit d'abord d'utiliser les équipements existants c'est-à-dire de les inventorier, de les coordonner, de les faire fonctionner de manière concertée et de ne créer des moyens nouveaux que s'ils manquent au dispositif ou si certains moyens existants n'ont pas souhaité participer à cette concertation. En effet, si dans certains départements l'importance de la population justifie la présence de plusieurs structures de même type, dans certains cas, cela peut aboutir à un double emploi.
La notion d'autorité et la notion de responsabilité doivent aussi être évoquées.
Le secteur est un dispositif d'organisation de la concertation et non une hiérarchie de services ou de personnes, il ne saurait fonctionner sur un modèle de subordination hiérarchique de type hospitalier.
En effet, il est évident que la concertation aboutira à des actions auprès de la collectivité, mais le but de ces actions est de redonner aux individus un statut de responsabilité et non de mettre en place un vaste appareil d'assistance paternaliste et charitable et en aucun cas coercitif.
Il est donc fondamental que tous les intervenants au titre de cette activité de secteur se sentent eux-mêmes responsables.
Le dispositif à mettre en place n'est donc pas un dispositif hiérarchique fonctionnant par voie d'autorité, mais un dispositif de niveaux de responsabilités correspondant aux plans différents des interventions et de l'organisation, depuis la responsabilité de l'intervenant dans le milieu en passant par le responsable de l'équipe, le responsable de l'institution, jusqu'au responsable de l'organisation du dispositif sous-sectoriel ou sectoriel.
Les équipes de C.M.P.P. ou de service public qui l'ont pratiquée savent combien l'action sur le terrain est tout à fait différente et plus difficile que le face-à-face dans les murs d'un service, elle exige la maturité et l'expérience, elle nécessite une compétence particulière et une déontologie propre, car elle doit aider les interlocuteurs sociaux de l'équipe à assumer leurs responsabilités sans se substituer à eux.
La limitation géographique et le découpage territorial doivent intervenir pour les actions globales auprès de l'environnement, car on voit mal comment une équipe pourrait les assumer dans la dispersion. Une telle zone d'action doit être limitée et correspondre à de véritables données géo-démographiques plutôt qu'à un découpage administratif arbitraire. En ce qui concerne les prestations auprès d'individus, il est évident qu'il faut laisser aux consultants le «libre choix». Mais le libre choix signifie moins pouvoir choisir entre des lieux identiques, ce qui est rarement le cas, que permettre aux consultants d'un endroit déterminé d'aller consulter ailleurs, le jeu sectoriel étant précisément que ce qu'élabore la famille dans ces lieux successifs soit progressif et résolutif et non simplement répétitif, ce qui est le propre du mécanisme névrotique.
Car, de la même façon que se rejoue quelque chose eu égard à la famille dans la dynamique interne de l'équipe, il se rejoue quelque chose dans la dynamique entre les différents lieux d'intervention où une famille est passée.
De toute façon, l'expérience prouve que les deux activités, prestations individuelles et actions collectives, sont très liées et que lorsqu'une équipe est bien implantée dans un environnement avec des interventions de qualité, la population utilise ce moyen sur place.
Le statut des personnels des institutions constitutives du dispositif de secteur est une question importante, car ce dispositif va nécessairement comporter des personnels de statuts différents, hospitalier, départemental, convention collective de l'enfance inadaptée, libéral, etc.
Le principe fondamental doit être de respecter le statut d'origine malgré les différences, de permettre des choix (certains psychiatres des hôpitaux ont renoncé à leur statut public pour continuer à exercer en C.M.P.P., des psychiatres de statut privé inscrits sur une liste d'aptitude ont renoncé à une intégration qui ne leur offrait que des postes dans des services de psychiatrie adulte).
Les échanges de personnels devraient être facilités au niveau des institutions. Se concerter pour des objectifs communs est une chose, travailler ensemble à la réalisation de ces objectifs en est une autre. Le jeu des intégrations, des mises à disposition à temps partiel ou temps plein de personnels doit jouer pleinement.
Sur un plan de politique plus générale, une instance d'arbitrage ou de recours, à un autre niveau local, apparaît nécessaire pour que les éventuelles difficultés qui risquent d'apparaître entre les différentes parties du secteur, c'est-à-dire les différents partenaires, se règlent par des solutions qui soient dépersonnalisées le plus possible.
Quant au problème de financement, deux dispositions réglementaires récentes devraient permettre de le régler plus facilement. La première concerne la reconnaissance légale de la notion de secteur17. La seconde concerne le transfert de l'Etat vers les organismes d'assurance maladie des charges propres aux activités de santé mentale18.
LE C.M.P.P. ET LA RÉGLEMENTATION
Il nous reste, pour compléter ce regard panoramique sur l'environnement du C.M.P.P., à dire un mot sur la façon dont il apparaît à la lecture des textes réglementaires. Il ne s'agit pas pour nous de procéder à une étude exhaustive de la réglementation19, mais de tenter de repenser dans l'ensemble de la réglementation, l'image que les pouvoirs publics se font de cette institution.
- La loi du 27 juillet 1985 a reconnu dans son art. 8 l'identité du secteur.
- Prévu par l'art. 67 de la loi des finances pour 1986, réglementée par la circulaire interministérielle n° 126 du 6 décembre 1985.
Les deux textes fondamentaux, tout d'abord, sont ceux qui fixent les conditions techniques d'agrément des C.M.P.P.20 et les modalités de leur financement21.
Ces textes officialisaient et réglementaient la pratique qui ne s'exerçait jusque-là que dans un certain nombre d'institutions novatrices et, grâce aux possibilités de financement reconnu, permettaient la création de nouveaux centres. Ce n'était pas la première fois, en France, dans le domaine de la Santé que l'on réglementait un type d'institution après une période en quelque sorte expérimentale. Il s'agissait d'une pratique relativement habituelle au ministère de la Santé, alors que le ministère de l'Education nationale procédait inversement, élaborant d'abord des textes puis les mettant en application.
Ce texte officiel était le premier qui, en France, introduisait la notion d'un service de consultation et de cure ambulatoire pour les enfants et les adolescents, car telle était la double fonction du C.M.P.P., diagnostic et traitement auprès d'enfants laissés dans leur milieu, consacrant donc la nouvelle modalité de pratique en rupture avec la précédente.
Ce texte officialisait, en effet, une démarche qui restait tout à fait médicale, s'écartant de celle des premiers promoteurs du courant psycho-pédagogique, se situant dans un cadre scolaire et recherchant un moyen de permettre aux enfants de dépasser leurs difficultés pédagogiques en utilisant pour une très large part les données de la psychanalyse.
Il s'agissait de «troubles neuropsychiques et du comportement»22. L'institution était placée sous l'autorité d'un médecin directeur, le médecin étant l'ordonnateur des dépenses de santé. Cependant une «coordination des activités pédagogiques et psychologiques » par un membre de l'équipe était autorisée par le texte de 1963, mais la possibilité d'une deuxième direction à caractère pédagogique et administratif, non médicale n'apparaît clairement que dans le texte de 1964 si « l'opportunité d'une telle mesure n'est pas douteuse» et en s'assurant que le médecin directeur «exerce vis-à-vis des interlocuteurs du centre la plénitude des fonctions de direction».
L'institution nouvellement créée prend place dans le dispositif de santé mentale. Cela se traduit, d'une part, par de nombreuses précisions sur le rôle, la place, le fonctionnement des C.M.P.P., en particulier par rapport aux c.h.m.i. 23, peu nombreuses en 1964 sur l'ensemble du territoire. Le dispositif est simple. La c.h.m.i. est un dispensaire «recevant sans tri préalable n'importe quel enfant inadapté de son secteur», les C.M.P.P. jouent en principe le rôle de «dispensaires secondaires», mais comme à cette époque il existe et il va exister plus de C.M.P.P. que de c.h.m.i. , « le C.M.P.P. joue alors le rôle de dispensaire primaire, il est agréé comme tel et il doit être conventionné à cet effet».
D'autre part, le double financement des C.M.P.P. assure leur «intégration dans le service départemental d'hygiène mentale». Le dépistage qui doit être le plus précoce possible et qui répond à la seule forme de prévention, dite secondaire, pratiquée à l'époque est financée sous forme d'un « forfait de six séances24 par personne examinée» pris en charge par le Service départemental d'hygiène mentale. A partir de la septième séance, les organismes d'assurance maladie prennent le relais dans «les conditions du droit commun»25.
Les actions sur l'environnement, surtout familial, sont prévues puisque «la famille peut recevoir au centre toutes les indications nécessaires à la réadaptation de l'enfant et, éventuellement, toutes les thérapeutiques lorsque, dans l'intérêt de l'enfant, elles ne peuvent être pratiquées ailleurs».
Enfin, la notion d'équipe pluridisciplinaire est clairement énoncée et la psychanalyse citée à notre connaissance pour la première fois, comme moyen thérapeutique. On saisit à la lecture de ces textes leurs caractères novateurs : pratique ambulatoire remplaçant l'hospitalisation, prise en charge élargie de l'enfant à son environnement familial, équipe pluridisciplinaire, financement davantage sous forme de forfait pour les activités de dépistage et de prévention, et plus à l'acte pour les actions individualisées, intégration de l'institution nouvelle dans le dispositif de santé mentale existant. Ces caractéristiques expliquent peut-être que, vingt-trois ans après, les praticiens de C.M.P.P. ne soient guère enclins à réformer ces textes, du moins dans ce qu'ils expriment de fondamental.
£>• c.h.m.i. : consultation d'hygiène mentale infantile.
Voir à ce sujet l'article de E.H. Charamon, «Le C.M.P.P. et les textes», Revue médico-psycho-pédagogique, n° 2, 1982, p. 5-30.
- Il s'agit de l'annexe 32 du décret du 9 mars 1956 fixant les conditions d'autorisation des établissements privés de cure et de prévention, cette annexe ayant été publiée par décret n° 63-146 le 18 février 1963 constituant la naissance légale du C.M.P.P..
- Circulaire 35 bis Sécurité sociale du 16 avril 1964 relative aux modalités de financement des C.M.P.P. répondant aux exigences de l'annexe 32.
- Rappelons qu'à l'époque seule la neuropsychiatrie existait en tant que spécialité médicale, ce n'est qu'après 1968 que la psychiatrie se distinguera de la neurologie.
- La séance était définie par le déplacement du mineur au centre, son coût étant
- Total des dépenses autorisées _,
——; = Coût de la séance.
Nombre de séances
25. Cette disposition sera modifiée à compter du 1er janvier 1986.
Les textes concernant la politique générale de sectorisation appelleront de notre part moins de commentaires, puisque nous venons d'évoquer largement ce problème.
Le texte inaugural26 marque pour la première fois dans un texte ministériel, certes une circulaire, l'évolution de la psychiatrie moderne. Mais si plusieurs paragraphes concernent les enfants, il s'agit surtout de leur hospitalisation et la circulaire est muette à propos de la prévention et des traitements ambulatoires d'enfants. Il est intéressant de remarquer que le texte inaugurant le C.M.P.P., trois ans après, s'il inaugure le traitement ambulatoire et la prévention chez l'enfant, ne fait aucune allusion à la politique de secteur.
Ce n'est en effet qu'en 1972 qu'apparaîtra un texte distinct pour l'enfant et l'adolescent27.
Faut-il tirer des conclusions du fait que le C.M.P.P. ne soit pas cité dans les recommandations procédant28 de l'administration alors qu'elle demande de recenser les équipements existants? Nous risquerions de nous lancer dans une exégèse hâtive et mal fondée.
Il nous semble plus intéressant d'indiquer les points qui nous paraissent actuels dans la circulaire de mars 1972.
Les progrès de la psychiatrie infanto-juvénile sont soulignés en partant d'une distinction fondamentale entre maladie évolutive (devant être traitée dans la section d'enfants des hôpitaux psychiatriques ou dans les maisons de santé pour maladies mentales)29, les déficiences intellectuelles (justiciables de placement en institut médico-pédagogique ou institut médico-professionnel)30 et les centres de consultations assurant à la fois le bilan diagnostic et les traitements ambulatoires. L'enfant est considéré comme manifestant «une pathologie mentale propre» avec «une personnalité soumise à une évolution, en perpétuel remaniement».
La première conséquence est que se pose dès lors le problème de la différence (ou non) entre consultation d'hygiène mentale et C.M.P.P. La circulaire de 1972 à propos des C.M.P.P., si elle reconnaît leur place dans le dispositif sectoriel, se contente de les définir comme assurant une «intervention complexe comportant des actions d'ordre médical, psychologique et pédagogique étroitement associées», et remarque la situation ambiguë du C.M.P.P. par rapport à la c.H.M.i., recommandant d'éviter les situations de concurrence.
Le terme « ambigu » est remarquable. En effet, si l'on ne considère que le sigle officiel, la seule différence entre la c.h.m.i., devenue consultation médico-psychologique (cm.p.), et le C.M.P.P. est bien l'association du terme «pédagogique», ce qui revient à dire que la spécificité du C.M.P.P. est finalement la pédagogie, ce qui est récusé par pratiquement tous les praticiens de C.M.P.P., y compris les pédagogues, qui ne se considèrent pas comme des enseignants au sens propre du terme. Nous ne sommes pas loin de l'aphorisme du Cretois31.
En l'absence de différence bien tranchée, les recommandations ultérieures de l'administration centrale resteront prudentes. Certes «les C.M.P.P. et prochainement les centres d'action médico-sociale précoce devront être associés de la façon la plus étroite au dispositif de secteur»32, mais on ne peut savoir si dans l'esprit de l'administration, le C.M.P.P. pratique une pédopsychiatrie avec un quelque chose en plus, de l'ordre d'une dimension pédagogique, ou quelque chose en moins, en s'adressant à des cas moins lourdement psychiatriques.
Les lois de 1975
De longue date, le législateur français s'est préoccupé de rechercher la prise en charge par l'Etat des aides apportées aux individus.
C'est ainsi que la Convention33, d'une part, reconnaît le droit du pauvre à être satisfait, l'obligation par l'Etat d'y porter assistance, la nécessité du principe d'unicité du système des secours publics et, d'autre part, crée une « Maison de secours »34 dans chaque département. La bienfaisance privée devant se trouver interdite, ce programme ambitieux des Révolutionnaires n'entrera jamais en application35.
Tout au long du xixe siècle ce débat se trouve posé, deux thèses s'affrontent : pour les uns, l'Etat doit pourvoir à l'assistance de tous, pour les autres, chacun est libre d'agir à son gré et les individus doivent organiser eux-mêmes l'assistance.
La loi du 30 juin 1838, qui définit les conditions d'assistance envers les aliénés, illustre cette préoccupation de l'Etat d'assurer l'assistance, mais aussi de défendre la société des malades dangereux. Elle rend possible l'internement d'office et impose aux départements de créer un asile public ou de conventionner une maison de santé privée.
- Circulaire du 15 mars 1960 relative au programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales.
- Circulaire du 16 mars 1972 consacrée au programme d'organisation et d'équipement du département en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales des enfants et des adolescents.
- En particulier la circulaire n° 148 du 18 janvier 1971, qui précise les modalités d'élaboration de la carte sanitaire dans le domaine de la psychiatrie et de la directive générale du 24 mai 1969 relative à l'organisation d'un service unifié de l'enfance, départemental.
- Annexe XXIII du décret du 9 mars 1956.
On pourrait citer aussi dans ce même esprit, la loi36 définissant le statut des hôpitaux et des hospices.
Mais, comme nous l'avons déjà indiqué dans le domaine de l'action sociale concernant les malades, les assistés, les vieillards, le rôle de l'Etat se borne à réglementer, à déterminer les modes de financement, souvent il ne gère pas mais confie la gestion à des groupements privés, qui trouvent leur cadre juridique avec la loi de 1901 sur les associations.
A l'opposé, dans le domaine de l'Education, après avoir institué l'obligation scolaire37, l'Etat devient le promoteur de l'école publique dans le cadre du ministère de l'Instruction publique dont l'organisation fait preuve d'emblée d'un centralisme jacobin hiérarchisé. Ce ministère crée lui-même ses propres institutions : la loi du 15 avril 1909 crée les classes de perfectionnement pour les enfants arriérés, la loi du 31 décembre 1951 crée les écoles nationales de perfectionnement. Par la suite un décret réformera l'enseignement public38 et prévoira des classes et des enseignements spéciaux pour les enfants dont l'état physique ou psychologique empêche la scolarité normale. Enfin, une circulaire39 prévoit les groupes d'aide psychopédagogique, g.a.p.p., et rend possible l'aide individualisée dans le cadre de l'école.
De son côté, le ministère de la Justice, dès 1945, cherchant à dépasser les seules mesures répressives, crée le Service de l'éducation surveillée. Plus tard, avec l'ordonnance de 1958, il se dote d'une mission éducative à l'égard des mineurs en danger moral, ou délinquants.
Mais c'est en 1966 que M. François Bloch-Lainé, inspecteur général des Finances, présente au Premier ministre un rapport intitulé «Etude du problème général de l'inadaptation des personnes handicapées»40. L'idée centrale est que «dans les nations avancées, il y a de moins en moins de malheurs individuels dont la collectivité se refuse à prendre une part en charge... ».
Or, la reproduction de l'espèce humaine fait courir aux collectivités des risques qui ne sont pas appropriés et qu'il n'est pas juste de laisser peser, dans l'ignorance, sur les familles... Un tel poids, une telle exclusivité ne sauraient être justifiés par la liberté. La liberté des parents n'est plus entière, ses limites ont déjà été reconnues. L'obligation scolaire a ouvert la brèche de façon opportune. Des vaccinations ont cessé d'être facultatives.
Ainsi se trouve posé le piège dans lequel la «responsabilité active de la société s'exerce dans des conditions qui anticipent le droit»...
Car ...«c'est pour réaliser l'égalité des chances qui est une forme d'égalité des droits, que l'Etat a institué l'instruction gratuite et obligatoire. Dans l'enseignement, où il y a tout à la fois obligation et gratuité, les décisions de l'autorité enseignante se substituent, dans une mesure de plus en plus grande, à l'autorité paternelle».
Nous avons cité largement ce rapport, car il constitue en quelque sorte un point de départ.
Après avoir introduit cette idée de l'intervention nécessaire de l'Etat, le texte propose une conduite à tenir : « Le remembrement des tâches (...) conduirait les pouvoirs publics à concentrer leurs efforts sur la planification, la coordination et le contrôle. »
«Mais, une évolution est inéluctable : le temps des bénévoles, des militants, sinon des vocations appartient de plus en plus au passé. » De la sorte, le mouvement de professionnalisation cité en début de chapitre se trouve reconnu.
Cependant, le rapport ne prend pas la position radicale qui consisterait à confier à l'Etat seul la promotion des actions sociales et médico-sociales : «Mais ouvrir les yeux ne signifie pas nécessairement dévorer. Il faudra bien, surtout dans le domaine social, que les services de l'Etat apprennent à assurer l'ordre sans s'emparer du commandement. » Le rapport reconnaît la pluralité (publique et privée) des équipements et ne se déclare pas favorable à l'unicité du service public de dépistage des inadaptations. Le C.M.P.P. ne figure d'ailleurs pas dans ces équipements de dépistage et d'orientation. Il n'est cité qu'à propos du nombre de psychiatres en service auprès des enfants inadaptés.
- Annexe XXIV du décret du 9 mars 1956.
- Cf. l'aphorisme du Cretois, illustrant ce que le dictionnaire définit comme «apode», à savoir la difficulté d'ordre rationnel d'où on ne voit pas comment sortir lin Cretois dit que tous les Cretois sont menteurs...).
- Circulaire d.g.s. 982 du 9 mai 1974.
- Loi du 17 mars 1793.
- Loi du 23 juillet 1793.
- Cf. B. Lory, La politique d'action sociale, p. 84-87, Privât, 1975.
- Loi du 7 août 1851.
- Loi du 28 mars 1882.
- Décret du 6 janvier 1951.
- Circulaire du 9 février 1970.
- Publié par la Documentation française.
Enfin, certains passages du texte annoncent la loi d'orientation de 1975. «Les handicapés ont droit à l'enseignement comme tous les autres enfants ou adolescents» (cf. art. 5 de cette loi). «Il paraît nécessaire que l'inspecteur d'académie, le médecin-chef du service traitant et le juge d'enfants déterminent chacun où et comment il convient d'éduquer les sujets qu'ils découvrent, observent et suivent. » On ne peut s'empêcher de constater que cette idée préfigure comment seront constituées les c.d.e.s.
Ce long rappel historique permet de comprendre comment le législateur en est venu à concevoir une loi déterminant le rôle de l'Etat dans le domaine des actions médico-sociales.
En fait deux textes législatifs, bien que datés du même jour, sont à différencier.
Le premier traite de l'orientation en faveur de personnes handicapées41, l'idée fondamentale participant de ce courant que nous venons d'évoquer, puisque la prévention et le dépistage des handicaps constituent une «obligation nationale».
Trois points intéressants sont à remarquer :
Le premier est que le texte législatif privilégie la notion de handicap, c'est-à-dire, par rapport à la notion évolutive d'inadaptation, qu'elle considère des situations plus fixées et durables.
— Le deuxième est que si une commission d'éducation spéciale est créée dans chaque département42, le décret d'application qui en
prévoit la composition et le fonctionnement43 ne fait pas entrer le C.M.P.P. dans le champ de compétence de cette commission, une suite de circulaires, arguant un délai de six mois à compter du premier examen, suspendra cette disposition44, puis précisera que les prises en charge en C.M.P.P. continueront jusqu'à nouvel ordre à s'effectuer sous le contrôle des médecins conseils des caisses d'assurance maladie45.
On peut donc conclure que l'institution C.M.P.P. continue à s'inscrire dans une pratique de type libéral de la médecine, même si les soins sont financés selon la procédure du tiers payant et comportent l'exonération du ticket modérateur.
— Quant au deuxième texte législatif de 197546 relatif aux institutions sociales et médico-sociales, s'il décrit des actions suffisamment générales pour qu'on puisse y faire entrer le C.M.P.P., la liste donnée des établissements dont la création est soumise à une commission particulière ne mentionne pas en toutes lettres le C.M.P.P.
41. Loi 75-534 du 30 juin 1975.
42 C D E S
- Décret 75-1166 du 15 décembre 1975 et circulaire n° 76-156 et n° 31 du 22 avril 1976.
- Circulaire n° 8.A.5 du 3 février 1977.
- Circulaire n" 74.A.5 du 22 novembre 1977.
- Loi 75-535 du 30 juin 1975.
Le C.M.P.P. et l'intégration scolaire
Depuis de nombreuses années, des enfants présentant certaines maladies mentales ou d'autres difficultés, ont cependant suivi une scolarité normale tout en bénéficiant de soins appropriés. On pourrait même dire que le C.M.P.P., dont le but est d'apporter traitements et rééducations à un enfant tout en le laissant dans son milieu familial et scolaire, est l'illustration de cette affirmation.
Cependant deux circulaires relativement récentes sont venues, en quelque sorte, officialiser cette pratique.
La première fixe les grandes lignes d'une politique47 en considérant que «l'intégration des jeunes handicapés en milieu scolaire ordinaire a été retenue parmi les priorités du plan intérimaire 1982-1983 ». Mais, comme l'école est loin d'être équipée comme un milieu disposant de moyens spécifiques de rééducation et traitements, il s'agissait de « mettre en place un dispositif institutionnel différencié, englobant à la fois le système scolaire ordinaire et les institutions spécialisées». Ce que l'on peut constater, après quelques années, c'est que, si le dispositif différencié global n'a pas d'une manière générale vu le jour, des portes précédemment fermées se voient entrouvertes et aussi bien les équipes d'établissements médico-éducatifs que les équipes pédagogiques de l'école ont, au cas par cas, travaillé ensemble. Il est vrai que, si le programme était ambitieux, le législateur ne se faisait guère d'illusions, puisqu'il annonçait clairement que la démarche nouvelle supposait «une modification profonde des mentalités et des comportements ».
La deuxième circulaire48 avait pour objet d'entrer dans le détail des modalités de réalisation des actions d'intégration. Ce faisant, le texte étendait le champ de l'intégration du handicap à l'inadaptation puisqu'elle concernait «les enfants et adolescents handicapés en difficulté en raison d'une maladie, de troubles de la personnalité ou de troubles graves du comportement».
Logiquement, le C.M.P.P. est cité, à diverses reprises, dans ce texte, ainsi que le secteur de psychiatrie infanto-juvénile, comme dispensateur de soins spécialisés.
En fait, on voit mal pourquoi toutes les situations difficiles pouvant apparaître chez l'enfant et qui se réglaient jusque-là de gré à gré entre enseignant, thérapeute et famille, auraient nécessité une telle mobilisation administrative. D'autant que certaines obligations, en particulier les soins apportés au sein même de l'école, où le directeur de l'école présidait la réunion de synthèse, soulevèrent un tollé de réprobation chez les praticiens peu enclins, à peine sortis de l’hospitalocentrisme, à tomber dans une sorte «d'écolo-centrisme» et que les enseignants suffisamment préoccupés par l'enseignement n'étaient guère enthousiastes pour étendre leur rôle à l'éducation générale, la socialisation, les soins.
Finalement, on retrouve la marque des deux pouvoirs étatiques sur l'enfant, gestion des corps et gestion des esprits, pourrait-on dire, et l'expression des résistances qu'ils provoquent.
Le C.M.P.P. et les nouvelles modalités de financement
Il nous reste à dire un mot, pour terminer ce bref aperçu du C.M.P.P. dans les textes réglementaires, du changement notable apparu tout récemment dans le mode de financement des dépenses de santé mentale.
C'est une décision législative du 31 décembre 198549 qui transférera les dépenses de santé mentale de l'Etat à la Sécurité sociale. Cette disposition venait compléter la légalisation50 de ce qui n'était cependant qu'une doctrine, le Parlement ayant adopté en première lecture le nouvel article du Code de la santé publique, l'idéologie et la pratique sont devenues la loi. La complémentarité des actions de prévention, de diagnostic et de soins, la mission exercée dans le cadre de secteurs géographiques par des personnes de droit public ou de droit privé ayant passé une convention avec l'Etat, la planification des équipements sont devenues une règle officielle du fonctionnement du dispositif de santé.
Les C.M.P.P. figurant ès-qualités dans ce dispositif, leur mission dans le champ de la psychopathologie infanto-juvénile se voit donc légitimée.
Il est trop tôt, au moment où nous rédigeons cet ouvrage, pour que les conséquences de cette disposition apparaissent pleinement. Les caisses d'assurance maladie, dont les fluctuations de l'équilibre alimentent périodiquement les commentaires des mass-media, n'y voient parfois au début qu'une surcharge nouvelle, mais la notion de caisse pivot contrôlant l'ensemble des dépenses dans un domaine et un secteur géographique déterminés vient rapidement faire apparaître la possibilité d'une véritable politique de contrôle des objectifs et de leurs coûts. Les praticiens eux-mêmes furent parfois surpris, comme certains contestataires qui voient d'un coup leur contestation devenir la règle et, dans bien des endroits, il faudra passer du projet à la réalisation ou sortir d'une certaine aisance que procure le fait de mener sur le terrain des actions qualifiées de novatrices et d'expérimentales.
- Circulaire n° 82-2 et n° 82-048 du 29 janvier 1982.
- Circulaire n° 83-4 du 29 janvier 1983.
- Art. 67 de la loi des finances pour 1986 et circulaire interministérielle n° 126 du 6 décembre 1985.
- Article L-326 du Code de la santé publique.
D'autant que cela se passe dans un contexte général de crise où celui qui regarde la réalité sociale bien en face n'a aucun motif de s'en réjouir, où l'Etat Providence est supposé en faillite, son rôle non plus décrié mais dénié, où l'assistance tend à être mise en procès et où certains annoncent le «crépuscule des solidarités».
De sorte que, disposant de ce nouveau droit, les praticiens divers, quels que soient leur fonction et leur statut d'origine, ne vont plus disposer de celui à l'erreur.
Mais s'il est encore trop tôt pour en constater les effets, nous ne nous risquons guère en avançant que ces nouvelles dispositions vont sans doute faire franchir, tant au C.M.P.P. qu'au secteur public, un nouveau palier évolutif.
La pratique sur le terrain, en milieu ouvert, est d'ailleurs constamment évolutive, ce qui nous amène à dire quelques mots, pour clore ce chapitre sur les interlocuteurs du C.M.P.P., d'une forme nouvelle qu'elle a prise.
LE C.M.P.P. ET LES MODES ACTUELS DE PRISE EN CHARGE À DOMICILE
Il s'agit d'actions de caractère thérapeutique, recouvrant des types de soins variables exercés par une équipe multidisciplinaire psychiatrique. L'originalité réside dans le fait que le malade est maintenu à son domicile habituel, ou logé dans un appartement loué par l'établissement de soins. Lorsqu'il s'agit d'enfant, il peut être placé auprès d'une famille d'accueil, des soins peuvent lui être dispensés dans les différents lieux où il transite (crèche, halte-garderie, école...).
Antérieurement au 31 décembre 1985, la réglementation excluait toutes possibilités de prise en charge par les caisses d'assurance maladie des soins psychiatriques dispensés à domicile par des praticiens hospitaliers, les actions d'intervention à domicile avaient donc un caractère d'innovation et furent menées à titre expérimental51. La récente disposition réglementaire du 31 décembre 1985 va probablement faciliter l'expansion de ce type d'actions à domicile et pose dès lors le problème des interventions dans le milieu naturel d'une manière nouvelle.
Il nous a semblé intéressant d'évoquer cette nouvelle pratique dans le champ de la psychopathologie, car elle témoigne d'un moment évolutif actuel.
Nous avons, dans le chapitre sur l'historique des C.M.P.P., repéré comment l'institution C.M.P.P. avait été le promoteur des actions auprès de l'enfant laissé dans son environnement familial, scolaire et social. Cette idéologie de la pratique s'opposait à l'idéologie «médico-pédagogique» qui régnait à l'époque des premières créations de C.M.P.P. Celle-ci consistait à regrouper dans un lieu institutionnel particulier (i.m.p., i.m.p.r.o...) les moyens de traitement, de rééducation nécessités par l'état de l'enfant et les moyens pédagogiques appropriés, dans une démarche qui reproduisait le modèle originel de la psychiatrie adulte.
Lorsque nous avons abordé l'évolution des pratiques en cure ambulatoire nous avons repéré comment nous sommes passés de l'enfant seul porteur de troubles à traiter, à l'enfant dont les troubles étaient appréhendés comme résultat d'une situation relationnelle plus large.
Il nous reste, pour terminer ce tour d'horizon sur le voisinage social du C.M.P.P., à dire un mot des pratiques nouvelles et actuelles d'intervention à domicile.
Or, il semble bien que ces nouvelles pratiques d'intervention à domicile soient bien le témoin actuel d'une évolution plus générale, celle des processus de solidarité, et d'une évolution plus interne, celle de la pratique.
La première réflexion concerne donc ce que nous avons dit au début du chapitre à propos de l'évolution des processus de solidarité.
On peut se demander si les actuelles interventions dans le milieu familial ne représentent pas une sorte de fin de boucle en renouant avec les anciennes solidarités de voisinage, à ceci près qu'au lieu de faire intervenir les autres membres de la famille et des voisins, elle fait intervenir aussi des professionnels, depuis l'assistante maternelle jusqu'au psychiatre.
Une deuxième réflexion a trait à l'aspect politique et économique de ce nouveau mode de pratique.
En effet, il ne s'agit pas dans l'esprit des promoteurs d'opposer simplement l'intervention à domicile à l'hospitalisation, dualité classique et traditionnelle de la pratique médicale entre la consultation ambulatoire et l'hospitalisation. Il s'agit de disposer aussi d'un instrument d'observation en vue d'indications thérapeutiques et d'une structure de transition préparant d'autres formes de placements dans une perspective de complémentarité.
Outre l'intérêt technique chez l'enfant, l'économie réalisée par l'absence de charges liées à l'infrastructure de locaux, matériel, etc., incitera probablement au développement de ces actions. Les institutions hospitalières publiques, coincées à la fois par un agrément d'un nombre de lits déterminé et la tendance actuelle à ouvrir le service d'hospitalisation traditionnel sur le milieu, le choisiront. De même, les établissements de l'enfance inadaptée, frappés par un ralentissement de leur recrutement, trouveront là le moyen idéal de conserver leur personnel pour atteindre à des objectifs valorisés actuellement. Il y a le risque que les responsables gestionnaires optent avec beaucoup de facilité pour une telle évolution qui sera supposée résoudre les problèmes économiques, laissant peut-être au second plan les considérations plus cliniques sur l'indication même de ce moyen thérapeutique.
En effet, dans cette conjoncture l'aspect politique de la désinstitutionnalisation et l'aspect économique de la nécessité, en période de crise, de réduire les coûts conjugueront leurs effets.
Il est peu probable que dans la conjoncture économique actuelle, visant à contenir une expansion des coûts et donc l'importance des moyens, nous assisterons à des changements d'orientation politique.
Il est vraisemblable que l'option du ministère de la Santé restera libérale et que les structures privées, publiques et associatives continueront à concourir à l'ensemble des tâches.
Les objectifs resteront, peut-on dire, les mêmes. Chacun se plaît, à commencer par le premier personnage de l'Etat, à dire qu'il ne faut pas toucher aux acquis sociaux.
Mais cela pose deux questions :
En avons-nous les moyens?...
Chacun s'accorde à dire, même sans épouser toutes les analyses de Rosanvallon52, que nous n'en avons plus les moyens.
L'Etat Providence est en crise et pour reprendre les termes de Jean de Kervasdoue53, directeur général des hôpitaux, nous assistons «à la fin d'un mirage».
L'illusion est double.
Celle que l'Etat peut tout prendre en charge, mais aussi celle que les problèmes éthiques et politiques sont derrière nous, alors qu'ils sont devant.
Car il va y avoir et il y a déjà, nécessairement, des choix à faire dès lors que nous ne pouvons plus tout faire.
Ces choix nous les vivons tous.
Depuis le responsable d'une institution soucieux de maintenir sinon ses effectifs du moins son personnel, jusqu'au praticien soucieux de rester le plus performant, mais au moindre coût.
Or, et c'est là la troisième réflexion que nous souhaiterions faire, le choix de la modalité du traitement à appliquer chez un enfant, en institution, en cure ambulatoire, à domicile, doit se faire à partir d'une analyse clinique du cas et par référence à l'évolution de la pratique chez celui-ci.
En termes de cas individuels, la tentation risque d'être grande de transposer l'idée première de l'asile et de l'institut médico-pédagogique sorte de culture in vivo s'adressant aux troubles in statu nascendi. Tout naturellement la nouvelle modalité s'appliquerait alors aux cas les plus difficilement curables par les autres modalités, tels que les psychoses ou, pour des groupes particuliers de population dont l'abord pose problème à tous les praticiens, tels que transplantés, immigrés, population du quart monde, etc.
Or, si nous reprenons ce que nous avons dit des évolutions de la pratique ambulatoire en C.M.P.P., nous pouvons avancer les quelques considérations suivantes qui auront au moins le mérite de suggérer que le problème du choix des moyens est suffisamment complexe pour ne pas l'étayer sur des considérations strictement économiques, même si elles sont nécessaires.
Le passage de deux temps bien différenciés de diagnostic et traitement à une démarche plus souple, moins formalisée et formalisable, de compréhension psychologique, paraît poser deux problèmes.
Le premier concerne la notion de contrat thérapeutique. Si une telle démarche de compréhension réciproque patient-thérapeute est préalablement nécessaire au contrat thérapeutique, faut-il limiter l'intervention à domicile à cette première phase, réalisant ainsi l'observation in vivo que nous évoquions ?
Le deuxième concerne la notion de rupture. L'action médico-psychologique s'exerce à la fois dans la continuité et dans la rupture et nous avons déjà eu l'occasion d'indiquer combien toute une première mobilisation des affects est nécessaire dans un milieu déterminé pour que la problématique familiale puisse se résoudre ailleurs.
Les C.M.P.P. se justifient, comme tout lieu de consultation, en tant que cet «ailleurs» plus propice à l'élaboration symbolique. Quand et comment faut-il qu'une rupture s'impose pour que la famille puisse aller poser une demande, pour son propre compte, ailleurs ?
L'évolution qui nous a fait passer de traitements spécifiques de troubles répétés eux aussi spécifiques à une prise en charge plus globale de la souffrance psychique renforce la considération précédente. Cette mobilisation des affects relève-t-elle de la seule compétence d'une équipe pédopsychiatrique ou d'autres intervenants sociaux, plus habitués au travail à domicile (éducateurs, assistantes sociales) ? Peuvent-ils « secouer le cocotier » pour susciter le cheminement de la famille vers une consultation ?
- Rosanvallon Pierre, La crise de l Etat-Providence, Ed. du Seuil, Paris, 1981, 161p.
- Jean de Kervasdoue, John Kimberly, Victor Rodwin, La santé rationnée ? Ed. Economies, Paris, 1981, 240 p.
L'évolution que nous avons repérée de la «prise en charge» à «l'accompagnement» de la famille comporte le risque de pérenniser un fonctionnement particulier avec, d'une part, une famille et, d'autre part, une sorte de prothèse familiale avec substitut paternel, maternel, etc. qui ne manque pas d'évoquer l'analyse terminée et l'analyse interminable décrite par Freud. La différence entre « être à côté de » et « prendre la place de » est souvent mince.
L'évolution des interventions, d'abord sur l'enfant seul réputé porteur de troubles puis sur les interactions enfant/environnement appelle le commentaire suivant.
De façon très schématique le processus d'individualisation de l'enfant s'effectue selon trois grandes phases :
- une phase d'indifférenciation, de fusion, de syncrétisme où l'enfant, encore morcelé et sans unité, se confond avec son environnement ;
- une phase transitionnelle pendant laquelle s'élabore la différenciation de ce qui est de l'ordre du moi et du non-moi grâce à l'élaboration d'un espace particulier qui permettra la rupture entre espace ambiant et corporel et grâce à une modalité particulière de fonctionnement psychique selon laquelle l'enfant s'étaie, prend appui sur l'environnement ;
- enfin une phase différenciée où le moi se pose et s'impose à l'environnement et aux personnes extérieures.
Ces phases ont une traduction clinique : la psychose, l'état-limite, la névrose. En première approximation, il semble bien que plus on se trouve devant une fusion relationnelle, plus il est nécessaire de prendre en compte l'ensemble relationnel. En ce sens, l'intervention à domicile réaliserait une sorte d'extension de la psychothérapie du couple mère-enfant.
Autrement dit, l'indication d'une intervention à domicile se poserait plus dans les cas où le caractère fusionnel de la relation est évident, où la demande serait non formulée et non formulable.
Deux critères d'appréciation apparaissent donc importants, indifférenciation et étayage.
L'indifférenciation s'apprécie en terme d'identité des acteurs familiaux, nécessaire pour individualiser l'enfant mais aussi pour aller consulter à son propos. Dans le territoire familial, le praticien aura à vérifier quelque peu son identité professionnelle pour s'adapter à l'originalité familiale.
L'indifférenciation s'appréciera aussi en termes de places de tous les intervenants familiaux. Lorsqu'elles ne sont pas repérées, aider à le faire sera peut-être plus facile, précisément sur place.
L'indifférenciation s'appréciera enfin en termes de lieu social. Que représente pour certaines familles cette notion «d'ailleurs» qui nous paraît claire ?
L'étayage est le deuxième critère important d'appréciation. Il est évident que devant un ensemble relationnel familial qui ne fonctionne que par étayage de chaque élément sur les autres, n'en mobiliser que certains risque de conduire au problème du château de cartes.
Ces quelques considérations à propos du C.M.P.P. et des nouvelles formes d'intervention à domicile nous révèlent que les problèmes éthiques sont devant nous et non derrière.
Une analyse au premier niveau pourrait permettre de dire qu'il existe incontestablement un aspect d'effraction dans ces nouvelles pratiques. La démarche qui consiste pour des gens « à aller se faire voir » n'est à l'évidence pas la même que celle qui consiste « à aller voir chez eux». Les médecins le savent bien puisqu'ils promettent par serment d'Hippocrate interposé de taire ce qu'ils y voient.
Mais, si l'on observe de plus près l'ensemble de ces évolutions, nous remarquons la conjonction de plusieurs phénomènes.
Dans le champ psychopathologique, nous sommes passés de l'organicité à la psychogenèse, de la psychogenèse individuelle à la sociogenèse. D'autre part, nous avons remonté très loin la prise en charge de l'enfant jusqu'à l'accouchement et même pendant la grossesse.
De ce fait, les espaces d'intervention se remodèlent d'autant que les pratiques s'exercent de plus en plus dans le milieu même, qu'elles se déplacent. Cette tendance à la restructuration de l'espace social de nos interventions affecte les catégories conceptuelles avec lesquelles nous appréhendions la réalité, cela risque de les rendre caduques.
En ce qui concerne les processus de solidarité, on assiste à une sorte de remise en question du fonctionnement selon un axe vertical. Sur le plan idéologique deux mouvements opposés paraissent s'allier. L'un, libéral, proposant de ne plus s'occuper de traitement social, annonçant le «crépuscule des solidarités», l'autre «post soixante-huitard » pour lequel toute intervention sociale est un contrôle social.
Dans le même temps va se développer un poids administratif nouveau en amont et en aval de l'enfant, de sa famille, sous forme de précision des objectifs et d'évaluation des résultats.
Quant à la multidisciplinarité du dialogue équipe-famille, elle s'étend maintenant dans nombre de cas à la consultation entre plusieurs équipes différenciées, voire avec des non-professionnels, même s'ils risquent à leur tour d'être professionnalisés par « petits boulots» interposés, dans un travail de type santé communautaire.
Le C.M.P.P. dans ses évolutions est tout à la fois témoin, acteur et promoteur, à la confluence de la liberté individuelle et de la contrainte collective, du politique et du droit, du subversif et de la règle.
S'il est ce lieu neutre où s'élaborent, s'expérimentent de nouvelles pratiques familiales ou sociales, se voulant au service de l'individu en difficulté, il participe cependant à la production des lois de fonctionnement social.
Dès lors, on ne peut faire l'économie d'une réflexion sur l'éthique propre aux C.M.P.P., sur les valeurs auxquelles tiennent les praticiens qui y travaillent.
Ce sera l'objet de la quatrième partie.
51. Compte rendu à paraître des Journées scientifiques sur les interventions à domicile, 23 et 24 décembre 1986, organisées par la Société de psychiatrie de Montpellier et du Languedoc-Méditerranée.
QUATRIÈME PARTIE
LES VALEURS AUXQUELLES NOUS TENONS
Nous indiquions dans l'introduction que depuis de nombreuses années des praticiens de qualification et d'origine diverses avaient pris l'habitude de se rencontrer dans des réunions régionales ou nationales.
Cela ne pouvait avoir lieu sans qu'une sorte d'éthique se dégage peu à peu à propos de cette pratique, objet de leurs réflexions. Ce furent les valeurs qui furent ainsi peu à peu dégagées que nous allons indiquer maintenant. Elles sont sans cesse retrouvées comme une toile de fond dans le discours des participants aux débats, elles ont inspiré les prises de position face aux textes réglementaires, chacune d'elles comporte des conséquences dans la pratique.
Nous distinguerons successivement quatre valeurs :
- la vocation thérapeutique,
- son exercice dans le champ de la psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent,
- sa pratique par une équipe multidisciplinaire,
- son développement dans un cadre institutionnel.
1- La vocation thérapeutique
La tentative d'analyse historique de la mise en place des C.M.P.P. a d'emblée mis en évidence le fait suivant : l'idéologie générale de la création de ces institutions est d'intervenir auprès d'enfants laissés dans leur milieu habituel de vie à propos de ce qui se rompt ou se noue dans les échanges incessants entre ces enfants et leur environnement.
La mise en place d'une telle pratique se fonde immanquablement sur la notion qu'un jugement de valeur peut être attribué à tout fait de comportement, inscrivant la démarche dans le vaste réseau des régulations sociales.
L'accent peut alors être mis sur la régulation sociale elle-même. Il apparaît que le premier courant, d'origine psychopédagogique, que nous avons retrouvé à l'origine peut être mis sur l'individu en difficulté, le deuxième courant médico-psychologique en est l'expression, le service s'y effectue plus auprès du sujet que dans son environnement.
Cette référence essentielle à l'enfant et à sa famille en difficulté reste pour les praticiens qui participent à notre mouvement d'idées, une implacable loi.
La dimension de thérapie individuelle reste première par rapport à la dimension de normativité sociale, malgré la prise en compte des facteurs liés à l'environnement impliquant une nécessaire action auprès de celui-ci.
La déontologie de la pratique s'inspire de cette constatation.
L'acte est de type médical, il s'agira de dépister, de consulter en vue, sinon d'un diagnostic référant à une nosographie bien établie, du moins pour une élaboration compréhensive des difficultés. Le contrat sera de type thérapeutique basé sur l'accord volontaire de deux partenaires également libres.
Contrat personnel où l'équipe consultante est choisie intuitu personae, selon l'expression consacrée, en fonction de la confiance qu'elle inspire.
Contrat synallagmatique, car les parties y contractent des obligations réciproques, obligation des meilleurs moyens de soins pour les uns et non de résultats, obligation de s'y conformer pour les autres.
Contrat continu mais susceptible d'être rompu.
Il implique la liberté du choix de l'équipe par le client, il implique la liberté des prescriptions que mettra en œuvre l'équipe, il implique le secret dans cette intimité partagée que vont vivre ensemble thérapeute et patient, il implique l'accord préalable du sujet à toute démarche auprès de son environnement.
Certes, la référence à la norme reste présente dans le déroulement de l'action thérapeutique qui doit aboutir à ce que l'individu se situe mieux comme membre d'un groupe, d'une collectivité. Mais le choix lui appartient, la finalité essentielle de l'action entreprise étant qu'il retrouve cette identité personnelle lui permettant de choisir, se pliant tout à la fois aux exigences de la loi du désir et de celle de la réalité.
2. La vocation thérapeutique s'exerce dans le champ de la psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent
Les phénomènes dont il s'agit sont d'un ordre psychologique. La spécificité de la démarche thérapeutique ne se rattache donc pas au fonctionnement d'un viscère auquel le modèle théorique expéri-mentaliste peut être appliqué en totalité, mais à l'activité d'un sujet dont les perturbations sont constitutives d'un champ psychopathologique. C'est dans le champ de cette psychopathologie clinique de l'enfant et de l'adolescent que s'exerce l'activité de l'équipe. Ce champ ne se confond pas avec celui plus général de l'inadaptation. Le phénomène premier reste celui de la souffrance d'un individu étayant la pratique de caractère médical plus sur la notion de sujet souffrant et, en ce sens, malade, que sur celle de la maladie. Cette souffrance est d'un ordre psychologique.
Dans ce champ psychopathologique la démarche essentielle, restant à visée diagnostique et thérapeutique, s'y trouvera quelque peu modifiée par rapport à la démarche médicale traditionnelle.
Ainsi, ce qui apparaît essentiel est moins la forme prise par l'activité du sujet que sa signification.
Cela explique le glissement de deux temps bien différenciés de diagnostic et de traitement vers une démarche de compréhension psychologique associant les données des transactions intersubjectives et celles issues de Pobjectivation. Mais quelle que soit l'importance de ce glissement, il ne supprime ni la nécessité de comprendre avant d'agir, ni la nécessité de l'action, car comprendre ne suffit pas.
C'est dire que la rigueur devra être dosée avec l'imagination.
Par contre, la démarche nécessaire de compréhension condamne l'attitude de réponse stéréotypée par une thérapeutique supposée spécifique d'un trouble réputé, lui aussi, spécifique, sans se préoccuper de la signification de l'apparition de ce trouble dans la dynamique du sujet et de son environnement.
3. La vocation thérapeutique dans le champ de la psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent s'exerce par une équipe multi-disciplinaire
L'équipe ne peut être définie par la seule juxtaposition d'activités. Certes, elle est composée d'individus et leur attente respective envers le fonctionnement en équipe est un élément fondamental, il fonde l'aspect microsocial et se traduit par un style particulier de chaque équipe, mais les rapports interpersonnels exigent de passer par le phénomène de l'institutionnalisation, au plan de leur réglementation sociale. Dans ces noces en commun, chaque praticien y perdra quelque chose de sa définition, mais y gagnera beaucoup, s'il sait passer du simple agglomérat polydisci-plinaire à la transdisciplinarité.
Dès lors, si une équipe n'est pas qu'une simple juxtaposition, toute tentative d'en connaître la valeur se fourvoie si elle ne procède qu'à l'addition des valeurs respectives de ses constituants. La méprise peut s'exercer sur deux plans.
Le plan technique : l'équipe ne saurait être une sorte de complexe de consultations, rééducations et traitements dont le seul intérêt est de rassembler en un même lieu les variétés actuellement répertoriées et connues d'actions ponctuelles et spécifiques.
Le C.M.P.P. n'est ni une épicerie fine où l'on trouve des produits plus sophistiqués, ni le supermarché où l'on trouve réuni au même endroit tout ce dont on a besoin.
Le plan économique : en toute rigueur puisqu'il ne s'agit pas d'une addition, on ne peut apprécier la valeur de l'ensemble A-B—C—D... en posant que cette valeur est égale à A+B+C+D... A une époque où l'économie cède volontiers son sens de science humaine pour prendre celui d'une pratique très nettement restrictive et même si la perspective économiste mathématise quelque peu le réel, elle ne saurait confondre la théorie des ensembles et l'arithmétique primaire.
Mais les individus participant à l'équipe doivent aussi savoir qu'à l'instar de l'auberge espagnole, ils n'y trouveront souvent que ce qu'ils y auront apporté.
C'est une fois dépassé le stade des revendications affectives personnelles vis-à-vis de l'équipe que s'y développera toute une dynamique psychorelationnelle en termes de rôles, s'articulant à une dynamique socio-relationnelle en termes de fonction, de statut.
La genèse de l'équipe est directement liée à cette dynamique. Il faudra alors se résoudre à prendre le chemin, pas forcément long mais souvent lent, de l'évolution, en reconnaître les moments, savoir les attendre et les dépasser.
Dans ce cheminement, l'équipe devra se soumettre à trois impératifs :
- celui de la nécessaire permanence,
- celui du renoncement à la cohésion mythique pour atteindre la cohérence,
- celui de la nécessaire différence pour atteindre à la complémentarité.
Cette dynamique psychorelationnelle et socio-relationnelle doit être au service de l'enfant et de sa famille.
L'équipe doit donc se préoccuper que la dynamique dont elle procède soit, en elle-même, thérapeutique ; elle doit la reconnaître et l'utiliser à cette fin.
Reconnaître cette dynamique signifie pour l'équipe qu'elle doit éviter le piège d'un certain ordre où tout est en place sinon à sa place, dans une géographie parfaitement repérée où ne se passe aucune histoire.
Utiliser cette dynamique à des fins thérapeutiques signifie pour l'équipe ne pas confondre celui qui traite et celui qui est traité, même si l'expérience corrige quelque peu, et en ce domaine, cette dichotomie.
L'utilisation du phénomène groupai ne doit pas conduire à ce que l'équipe l'utilise, dans des conditions plus confortables de salariat, pour son propre psychodrame. Cela implique qu'aussi bien celui qui est responsable de l'équipe que celui qui la juge doivent être capables de repérer si cette fonction de régulation interne, psychodramatique, ne s'exerce pas au détriment de la fonction de production.
L'équipe doit repérer l'existence de limites individuelles, disciplinaires et multidisciplinaires, théoriques et pratiques et ne pas étendre abusivement le champ et les formes de ses interventions.
Il s'agit moins d'insérer des pratiques psychothérapiques dans l'institution que de rendre l'institution psychothérapique.
L'équipe est condamnée à évoluer, ne serait-ce que parce que son environnement évolue.
Cet environnement, il est social au sens très général du terme, aucune équipe ne peut ignorer cette évolutivité-là. Il ne s'agit pas pour autant de choisir entre la tradition et, selon le néologisme actuel, la «modernité», mais de rendre cohérente l'évolution intérieure avec l'évolution extérieure. Il s'agira moins d'adopter toute mode que de s'interroger sur ce que signifie sa survenue et la forme qu'elle prend, rijul ne peut prétendre agir dans l'environnement sans se préoccuper des transformations qu'il subit, préoccupation ne signifiant pas en l'occurrence unique occupation.
Attentive à son évolutivité interne, l'équipe doit toujours comporter ses propres points de repère, maîtriser les glissements de fonction et les transferts de compétence. Même si elle est édifiée selon un modèle de moindre hiérarchisation, cela ne saurait exclure :
- eu égard à la technique : l'existence d'un praticien plus généraliste, moins spécialiste que chacun mais capable d'assurer la fonction du guidancier ;
- eu égard à la dynamique psychorelationnelle : que le groupe constitutif de l'équipe puisse se passer de leader ;
- eu égard à la fonction sociale : que le groupe institutionnel puisse se passer de responsables ; la société ayant clairement défini que le responsable du traitement est le médecin, le responsable de l'institution son directeur.
La moindre hiérarchisation, si elle permet mieux les variations, n'implique pas l'abandon du ton principal. L'harmonie est à ce prix.
La multidisciplinarité, si elle implique une certaine responsabilité collective, ne supprime pas pour autant la responsabilité individuelle. La notion de responsabilité ne se contente pas d'une définition des fonctions et des statuts, mais réclame une vision claire des droits et des obligations.
On entend souvent parler dans de nombreuses institutions, dans cette conjoncture plus marquée par la récession de l'expansion, en terme de survie. Elle est, paraît-il, directement imposée par la concurrence, or seule la compétence nous en garantit.
La démarche s'adressant à des individus dans leur environnement, obligation est faite à l'équipe de tenir compte de ce dernier, ce qui implique, à côté de l'objectif principal, un prolongement médico-social complémentaire.
Cet environnement peut être l'environnement social au sens très large du terme. L'enfant et son environnement étant supposés constituer un champ dynamique dans lequel la modification d'un élément entraîne la modification de l'ensemble, des actions de santé mentale plus générales doivent être envisagées.
Elles peuvent l'être relativement à un enfant précis, elles s'intègrent alors à l'activité médicale à propos de cet individu. Elles peuvent l'être d'une manière plus générale, sans rapport avec des individus particuliers, ce qui répond à une conception de la santé mentale selon laquelle elle n'est pas qu'un bien propre à chaque individu relevant de la seule relation thérapeute-malade; elle est également un bien collectif dans lequel chacun peut exercer une responsabilité à son niveau, librement, volontairement, collectivement.
Compte tenu en effet de sa vocation individuo-centrique, l'équipe doit mener ces actions générales avec le souci d'aider ses partenaires sociaux à assumer leur responsabilité, dans une perspective de régulation plus que dans le souci d'être un agent révélateur du bon par rapport au mauvais dans une perspective normative.
Dans cet environnement social, l'école ne représente qu'un moment de la journée et de la vie de l'enfant, elle ne tire son importance dans le champ d'action des équipes que parce qu'il s'agit d'enfants vis-à-vis desquels elle représente, après la famille, la première forme institutionnalisée d'obligation sociale.
Cette pratique libérale dans l'environnement implique donc pour l'équipe une double exigence :
- celle de tisser un réseau de relations pour lequel le modèle de la convention apparaît le plus adapté eu égard à ce qu'il suppose de volonté réciproque ;
- celle de rester un lieu neutre par rapport aux autres lieux sociaux où peut naître la situation conflictuelle. Cela revient à dire que l'expression d'un enfant marquée du signe d'une quelconque défaillance doit pouvoir être entendue ailleurs que là où elle s'exprime. Mais cet «ailleurs» que représente l'équipe doit aussi se préoccuper du fait que le lieu où une défaillance s'est exprimée ne s'entend plus tout à fait, par la suite, de la même façon.
Il résulte de ces considérations que la vocation médicale de l'équipe comporte nécessairement un prolongement médico-social, ce phénomène étant loin d'affecter la seule équipe médico-psycho-pédagogique mais y prenant seulement une intensité plus particulière.
Ainsi, la pratique de l'équipe comporte-t-elle :
a) Une pratique qui demeure essentielle auprès d'individus,
comportant elle-même :
- des actions menées directement auprès de l'enfant physiquement présent, correspondant à la conception classique de la prestation médicale ;
- des actions menées à son propos auprès de son environnement familial, scolaire, professionnel, son milieu de vie, sans que l'un doive être seul appréhendé ;
- des actions de régulation interne propres à l'équipe à propos de cet ensemble d'actions concernant l'enfant.
La thérapeutique s'exerçant auprès d'un individu comporte, plus ou moins valorisées toutes ces composantes.
b) Une pratique plus générale et médico-sociale qui n'est que le prolongement de son activité proprement médicale pour laquelle l'équipe doit se coordonner avec les autres partenaires sociaux, volontairement et librement, tout en gardant son originalité.
Compte tenu de ces différentes composantes, il apparaît évident que vouloir juger du service rendu sur la seule production de séances auprès de l'enfant nie la finalité de ce type d'institution, cette considération étant loin de dispenser l'équipe de se préoccuper du meilleur dosage entre les composantes de son action eu égard à la qualité particulière de ceux auprès desquels elle intervient.
4. La vocation thérapeutique s'exerce dans un cadre institutionnel
Le rôle des institutions C.M.P.P., lieux d'échanges, de concertation, de transdisciplinarité où chaque discipline accepte d'être traversée par le regard de l'autre et ainsi de se dépasser elle-même, est précisément de permettre aux individus de se situer par rapport aux évolutions sociales qui les traversent et les dépassent.
Vie intérieure et position sociale, tels sont les deux termes qu'il va falloir transcender, non pour choisir à la place du sujet, mais pour lui redonner la capacité de choix.
Le déroulement de la prescription réglementaire que nous avons évoqué, nous a permis de saisir combien l'institution C.M.P.P. se déploie entre les deux pôles de la stabilisation sociale et de la mouvance individuelle.
Certes, on le trouve présent dès l'origine de ces institutions. Bien que leurs initiateurs aient été quelquefois membres de ces appareils, les C.M.P.P. ne germèrent directement ni des instances judiciaires, ni des instances de l'Education nationale, ni des instances hospitalières. Ils naquirent hors du champ des appareils sociaux organisés.
La promulgation de la réglementation consacra la place de ces institutions dans le champ de la santé mentale des enfants et des adolescents, ce qui n'empêcha aucune de continuer à évoluer selon sa propre logique génétique, tant il est vrai qu'il n'est de loi réelle que celle que les hommes pratiquent.
Pendant toute cette évolution s'exprimèrent tout à la fois la volonté des pouvoirs publics de mettre de l'ordre dans ce qu'un ministre lui-même qualifia d'«accident historique» et la volonté du public de conserver quelque pouvoir.
Dès lors, la seule justification des C.M.P.P. c'est qu'ils existent depuis près d'un demi-siècle, la seule garantie de leur avenir c'est qu'ils épousent, de la manière la plus intime, les courbes successives des générations.
Les équipes de nos C.M.P.P. ont su préserver le contrat thérapeutique individuel, garder son sens à la notion de responsabilité médicale sans la déshumaniser dans un mécanisme collectif. Mais l'évolution n'est pas sans danger, le risque de dépersonnalisation demeure si l'on substitue le collectif à l'individuel.
L'Etat dans cette évolution ne peut que choisir entre deux extrêmes.
Dans la première attitude, il dictera la loi à laquelle tous les citoyens devront se conformer, il définira le modèle qui nous rendra tous réellement des semblables. Mais, eu égard à notre pratique, qu'il serait triste, comme le remarque F. Dolto1, «que pour un enfant qui se veut démocratique, nous prenions des mœurs totalitaires».
Dans la deuxième attitude, il tentera de prendre en compte les ruptures, les mutations de l'évolution, les rejetons si mal définis à leur naissance que chaque génération secrète, il acceptera les différences et les organisera en communauté.
Certes, nul ne songerait dans aucune société à réclamer la liberté absolue de manœuvre, ce serait par là même nier la société.
Mais nous croyons que rien ne peut être valablement tenté, quelles que soient la rigueur, l'honnêteté du modèle proposé, si le service n'est pas, d'abord et avant tout, rendu à celui qui, seul dans la foule, par sa souffrance même, en exprime la difficulté.
Nous croyons qu'il ne peut y avoir d'action collective sans que se tisse tout un réseau de concertations entre les différents partenaires sociaux procédant de leur volonté réciproque. Faute de quoi, il ne s'agira plus de participer à une politique de secteur mais de n'être que l'agent de la mise en secteur d'une politique.
Aucun praticien ne peut demeurer insensible au vaste mouvement de repérage, de classification, d'orientation qui se dessine.
Comment prétendre réduire le mystère de l'avenir d'un enfant à quelques pages de dossier? Certes, au travers de la liberté de nos consultants, c'est la nôtre que nous défendons. Quelle liberté ?
Celle d'être un peu original, un peu phobique et un peu obsessionnel, voire de délirer quelque peu, celle d'admettre que chez l'homme le non-sens coexiste avec le sens, que l'erreur d'aujourd'hui est peut-être la vérité de demain, celle d'accepter que chez l'enfant le meilleur chemin n'est pas forcément la ligne droite, qu'il peut buissonner quelque peu hors des chemins tracés pour découvrir le monde.
1. Dolto F., intervention aux Journées nationales 1978 : «Famille et C.M.P.P., quel contrat?» Rev. méd. psych.-pédag., n° 2-3, 1979, 3e année, p. 71.
CONCLUSION
Nous souhaitions témoigner de la façon dont nous avons perçu les courants historiques à l'origine de la création et de l'évolution de l'institution C.M.P.P. Comment elle s'est enracinée dans les courants d'idées et a trouvé sa place dans le secteur associatif en affirmant sa vocation thérapeutique.
Nous souhaitions rendre compte des pratiques élaborées au cours des années, pratiques en évolution permanente mais dont l'esprit et la diversité fondent l'originalité du mouvement C.M.P.P.
Nous souhaitions exprimer ce que des responsables d'une Association nationale ont décanté, ont perçu comme essentiel après avoir écouté au fil des Journées nationales de leur Association le discours, les discours des équipes.
Pour ce faire, nous avons posé plusieurs regards sur le C.M.P.P.
Il ne s'agissait pas pour nous d'être exhaustifs ni de nous proposer comme modèle, comment l'être avec une telle matière?
Nous revendiquons, tout au contraire, une certaine subjectivité, celle qui s'est nourrie de nombreuses années d'expérience au contact des enfants et de leur famille dans le cadre d'une institution précise.
Regards sur l'histoire ? Le C.M.P.P. a quarante ans, âge de la maturité. Combien de modèles institutionnels furent créés puis abandonnés dans ces quarante années pour répondre à l'inadaptation psychologique d'un enfant? Le C.M.P.P. dure pendant que nombre d'institutions de l'enfance inadaptée ont périclité ou changé d'agrément. Peut-être parce que c'est une structure souple, enchâssée dans le réel, suffisamment légère pour ne pas risquer la sclérose, suffisamment marginale pour précéder les modes et les dogmes.
Regards sur la clinique? Toutes ces manifestations différentes de Martine, Béatrice, Fabien... vous ont révélé au travers de leur polymorphisme le dénominateur commun de leur souffrance.
«Je conseille le C.M.P.P. quand un gosse est en détresse et qu'on n'arrive pas à le tirer de sa détresse», nous a dit une mère de famille.
Car « tout seul on ne peut pas comprendre ce que l'on fait, il faut tout un cheminement», nous a dit une autre mère.
Regards sur les valeurs? Le C.M.P.P. est au carrefour de l'institution pédagogique et de l'institution» sanitaire, ces deux grands agents de normalisation sociale, hérités de la Révolution française. Ce faisant, il est hors de ces appareils, il ne participe pas au vaste processus de désignation des inadaptés ou handicapés, ni à celui de leur assignation à des institutions diverses, qu'il s'agisse de classes ou d'établissements spécialisés.
Mais à ce carrefour où il se situe apparaissent deux forces : l'une vise à la gestion des flux de population par référence à la norme et souhaite intégrer le C.M.P.P. dans le vaste processus de l'assignation. L'autre force rejette toute perception du social et entraîne à la surpsychologisation dispensant cette culture psychologique que Castel a définie comme une « posture culturelle qui tend à faire de l'installation dans le psychologique l'accomplissement de la vocation du sujet social».
«J'avais besoin d'un parcours un peu courbe, à la limite oblique», nous a dit un jour un de nos consultants. Est-ce cela le C.M.P.P. ? La traversière où nos consultants viendront parler de leurs difficultés psychologiques sans que cela soit traduit en termes de sélection et d'orientation, y parler de leurs difficultés sociales sans que cela soit perçu en termes d'assistance et de ségrégation ? Vie intérieure et position sociale, deux termes à transcender pour que l'enfant retrouve sa capacité de choix. Le C.M.P.P. n'est-il pas alors ce lieu neutre où s'imaginent ces pratiques nouvelles favorisant la vie intérieure, où s'expérimentent de nouvelles formes de solidarité?
Le lecteur en jugera.
TEXTES RÉGLEMENTAIRES CONCERNANT LE C.M.P.P.
I. TEXTES DE BASE
Annexe XXXIII - Décret n° 63-146 du 18 février 1963
Conditions techniques d'agrément des centres médico-psycho-pédagogiques de cure ambulatoire. Ce texte est l'acte de naissance des C.M.P.P.
Circulaire 35bis s.s. du 16 avril 1964, relative aux modalités de financement des centres médico-psycho-pédagogiques répondant aux exigences posées par l'annexe XXXII au décret du 9 mars 1956.
Circulaire du 8 juillet 1980 c.n.a.m., adressée par la Caisse Nationale d'Assurance Maladie aux Caisses Primaires. Elle concerne la prise en charge des enfants et adolescents handicapés dans les Centres d'Action-Médico-Sociale Précoce et les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques. Cette circulaire introduit la prise en charge à 100 % des séances du
Circulaire n° 126 du 6 décembre 1985 - Affaires sociales et Solidarité,
relative aux modalités provisoires de prise en charge par l'assurance maladie des frais de sectorisation psychiatrique ainsi qu'aux dispositions spécifiques aux C.M.P.P. à compter du 1er janvier 1986. Les six premières séances ainsi que les frais de secteur des C.M.P.P. associés seront désormais financés par l'assurance maladie.
Circulaire c.n.a.m. du 27 janvier 1986
Sectorisation psychiatrique, C.M.P.P. Modalités d'application de circulaire interministérielle n° 126 du 6 décembre 1985.
Circulaire d.g.s./s 872 du 15 juin 1984, relative aux dépenses d'hygiène mentale.
II. C.M.P.P. ET SECTEUR
Circulaire du 15 mars 1960, relative au programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales (non parue au Journal officiel).
— Circulaire n" 148 du 18 janvier 1971, relative à la lutte contre les maladies mentales et élaboration de la carte sanitaire dans le domaine de la psychiatrie.
Le C.M.P.P. n'est pas cité.
— Circulaire du 16 mars 1972, relative au programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales des enfants et des adolescents.
Le C.M.P.P. est cité comme centre de consultation et traitement en cure ambulatoire.
— Circulaire d.g.s./891/m.s. 1 du 9 mai 1974, relative à la mise en place de la sectorisation psychiatrique (non parue au Journal officiel).
Le libre choix du patient est précisé.
— Circulaire d.g.s./892/m.s. 1 du 9 mai 1974, relative à la mise en place de la sectorisation psychiatrique infanto-juvénile (non parue au Journal officiel).
«Les C.M.P.P. devront être associés de la façon la plus étroite au dispositif de secteur. »
— Instruction d.g.s.h./p.o.s. 3 c 3028 du 24 août 1981, relative à la prise en charge des enfants.
Constat est fait dans ce texte de la présence de plusieurs centaines de C.M.P.P. dans les départements, le C.M.P.P. peut concourir à ces actions.
— Circulaire n° 126 du 6 décembre 1985, relative aux modalités provisoires de prise en charge par l'assurance maladie des frais de sectorisation psychiatrique ainsi qu'aux dispositions spécifiques aux C.M.P.P. à compter du 1" janvier 1986.
— Loi n" 85-1468 du 31 décembre 1985, relative à la sectorisation psychiatrique.
Cette loi est l'acte de naissance tardif du secteur psychiatrique.
Il s'agit d'une reconnaissance légale d'un dispositif déjà expérimenté.
Décret n" 36-602 du 14 mars 1986, relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l'organisation de la sectorisation psychiatrique (Journal officiel 19 mars 1986).
Arrêté du 14 mars 1986, relatif aux équipements et services de lutte contre les maladies mentales, comportant ou non des possibilités d'hébergement (Journal officiel 19 mars 1986).
III. LE C.M.P.P. ET LES LOIS CONCERNANT LES HANDICAPÉS
François Bloch-Lainé, en 1966, inspecteur général des Finances, présente au Premier ministre un rapport : Etude du problème général de l'inadaptation des personnes handicapées (publié par la Documentation française en 1966). Ce document inspire pour une large part la philosophie des lois du 30 juin 1975.
- Loi n° 75-534 du 30 juin 1975, d'orientation en faveur des personnes handicapées (Journal officiel 1" juillet 1975).
- Loi n° 75-535 du 30 juin 1975, relative aux institutions sociales et médico-sociales (Journal officiel du 1er juillet 1975).
Le C.M.P.P. n'est pas nommément cité dans cette loi.
- Décret 75-1166 du 15 décembre 1975, pris pour l'application de l'article 6 de la loi 75 534 du 30 juin 1975 et relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission de l'éducation spéciale et des commissions de circonscription (Journal officiel 19 décembre 1975).
- Circulaire n° 31 a.s. 76-156 du 22 avril 1976, relative à la composition et au fonctionnement des commissions de l'éducation spéciale et des commissions de circonscription (non parue au Journal officiel) — B. O. n" 18 du 6.5.76).
L'article 45 000 stipule que la commission doit être saisie au-delà d'un délai de 6 mois à compter du premier examen de l'enfant au C.M.P.P.
Circulaire n° 8 a.s. du 3 février 1977, modifiant la circulaire (Direction des écoles n° 76-156 — Direction de l'action sociale n° 31) du 22 avril 1976 relative à la composition et au fonctionnement des commissions de l'éducation spéciale et des commissions de circonscription (non parue au Journal officiel).
Cette circulaire modifie l'article 45 000 en suspendant la disposition jusqu'au 1" janvier 1978.
Circulaire n° 74 a.s. et 77-448 du 22 novembre 1977, prorogeant les dispositions de la circulaire (Direction des écoles n° 77-041, Direction de l'action sociale n" 8) du 3 février 1977 (non parue au Journal officiel).
Cette dernière proroge la précédente «jusqu'à nouvel ordre».
Loi n° 86/17 du 6 janvier 1986, dite loi particulière, adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d'aide sociale et de santé (Journal officiel du 8 janvier 1986) ; b.o.s.n.s. 86/2. Cette loi adapte les lois du 30 juin 1975 au processus de décentralisation.
IV. LE C.M.P.P. ET LE C.A.M.S.P.
Décret n° 76-389 du 15 avril 1976, complétant le décret n° 56-284 du 9 mars 1956 modifié fixant les conditions techniques d'agrément des établissements privés de cure et de prévention pour les soins aux assurés sociaux par l'annexe XXXIIbis concernant les conditions techniques d'agrément des centres d'action médico-sociale précoce (Journal officiel du 4 mai 1976).
Circulaire n° 669/p.m.e. 2 du 9 juin 1976, relative aux centres d'action médico-sociale précoce (non parue au Journal officiel).
V. LE C.M.P.P. ET L'INTÉGRATION SCOLAIRE
Circulaire n° 82-2 et 82048 du 28 janvier 1982, relative à la mise en œuvre d'une politique d'intégration en faveur des enfants et adolescents handicapés (non parue au Journal officiel).
Circulaire n° 83-4 du 29 janvier 1983, relative à la mise en place d'actions de soutien et de soins spécialisés en vue de l'intégration dans les établissements scolaires ordinaires des enfants et adolescents handicapés ou en difficulté en raison d'une maladie, de troubles de la personnalité ou de troubles graves du comportement (non parue au Journal officiel).
1 On parle de cure ambulatoire quand l'enfant vient pendant un temps limité (de la demi‑heure à la demi‑journée) dans une institution pour une séance de soins (thérapie, rééducation, etc.) et retourne ensuite dans un milieu de vie habituel (école, famille...).2 Ce terme est dérivé du mot américain «client», qui ne comporte pas de connotation commerciale.3 Mesures modifiées en 1985‑1986.4 cf. à ce sujet les analyses de Donzelot, La police des familles, et de Ph. Meyer, L'Enfant et la raison d'État.5 Cf. la thèse de Yann Maléfant « La place réservée respectivement aux facteurs individuels et sociaux et l'inadaptation dans la pratique des C.M.P.P. », Université de Rennes, 1980.
6 Cf. l'article d'A. Langevin dans le n° 1 (1980) de la Revue médico‑psycho‑pédagogique consacrée à «l'approche psycho‑pédagogique de la famille».
7 Rebaptisés en 1986 ((Centres médico‑psychologiques », sans doute en hommage au grand frère (?).8 P.R.L. pédagogie relationnelle du langage, conception originale de la rééducation élaborée par Claude Chassagny et ses collaborateurs.9 39,74 % des conseils de consultation en C.M.P.P.
10 0,58 % des demandes dans la recherche précitée.11 Il existe deux types d'A.E.M.O. : administratif ou judiciaire.
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